— Probable!
— On vous a donc relâché?…
Vagualame parut hésiter quelques secondes… Devait-il dire à la jeune femme, ce qu’il savait pertinemment, qu’il n’avait jamais été arrêté? qu’il y avait deux Vagualame? Devait-il ruser, au contraire? Le bandit essaya de tergiverser.
— Pressons le pas, dit-il, il fait un temps du diable, allons nous mettre à l’abri…
— Où ça?
— Tu verras bien… chez des amis…
Bobinette répéta:
— On vous a donc relâché?
— Bobinette, tu n’es qu’une sotte, dit le vieux joueur d’accordéon. L’homme que l’on a arrêté chez toi était un agent de police qui s’était fait ma tête pour te cuisiner… tu t’es laissée prendre à son manège comme une imbécile…
Interdite, Bobinette considérait le bandit.
— Mais alors, dit-elle subitement, si un agent s’est grimé en Vagualame, c’est que l’on sait que vous êtes coupable!.. C’est que l’on vous poursuit? et c’est une imprudence folle que vous faites en venant me rejoindre ainsi habillé… Pourquoi ne vous êtes-vous pas camouflé?
— Probablement ai-je un plan, une raison que tu ignores, Bobinette? fit-il… Mais laissons cela. Comment n’as-tu pas deviné la supercherie, rien qu’à la voix, à l’enrouement?… Comment, depuis, n’as-tu pas compris la vérité? Tu aurais dû tout saisir lorsque tu as reçu ma dépêche à Rouen… hein?… Enfin, ne revenons pas sur le passé!.. Par bonheur, ton extraordinaire naïveté n’a pas eu trop de conséquences… sauf la stupide façon dont tu as laissé reprendre le débouchoir, et dont tu as fait échapper le faux caporal Vinson… nous en reparlerons!
— Mais… est-ce que je pouvais agir autrement?
Elle n’insistait pas, toutefois. Vagualame venait de lui jeter un tel regard qu’elle ne pouvait plus douter: elle se trouvait bien en face de son maître. Et le maître n’admettait pas les discussions…
À peine osa-t-elle interroger encore:
— Comment avez-vous appris mon adresse à la Chapelle? Je ne l’ai donnée à personne…
— Cela, c’est mon affaire, tu devrais t’être aperçue que je sais, toujours ce que j’ai besoin de savoir?
— Mais comment êtes-vous venu aujourd’hui au Veau-qui-Pleure? Geoffroy ne vous connaît pas et lui seul savait que je devais le voir!.. Vous m’avez suivie?
— Mettons que je t’ai suivie… As-tu bientôt fini de me poser des questions? Je suppose que c’est un peu mon tour de te demander ce que tu deviens?
— Vous devez le savoir, murmura-t-elle. Quand, en revenant de Rouen, j’ai décidé de ne pas rentrer chez le baron de Naarboveck, je me suis enfuie à la Chapelle. Vous m’avez écrit immédiatement de déménager, d’aller me présenter comme demoiselle de compagnie chez Mme Olga Dimitroff. J’y ai été: cette dame m’a engagée… je suis encore chez elle…
— Il était idiot, fit-il enfin, idiot de ta part d’aller te réfugier à l’hôtel. Pour peu qu’elle l’ait voulu, la police t’aurait immédiatement pincée, c’est pourquoi je t’ai envoyée chez une de mes vieilles amies… ou, du moins, chez une personne à qui je pouvais te recommander… Eh bien, Bobinette, il va falloir quitter cette maison…
— Pour aller où?
— Loin d’ici…
— Pourquoi?
— Parce que Juve a de bons yeux, parce que Fandor, lui aussi, commence à y voir clair… Le filet se resserre… Moi, je ne crains rien, je trouverai bien le moyen de passer au travers…, je ne suis pas de ceux qui se laissent prendre à une souricière… mais toi, vu ta simplicité, il est vraiment tout à fait temps de te mettre à l’abri des recherches de la police… Je vais te donner de l’argent… et, tu m’entends, Bobinette, dans cinq jours tu feras en sorte d’être, à onze heures du soir, déguisée en bohémienne, sur la route de Sceaux à Versailles, à la première borne kilométrique qui se trouve sur le bas côté gauche après les hangars d’aviation… Tu as bien saisi?
— Déguisée en bohémienne, Vagualame. Pourquoi?
— Cela ne te regarde pas… Tu n’as qu’à faire ce que je t’ai dit: je te donne des ordres, et pas d’explications!..
Vagualame fouilla dans ses poches. Il ajouta, en tendant à la jeune femme un carnet:
— Dans les pages de cet agenda, tu trouveras deux billets de banque de cent francs, c’est plus qu’il ne te faut pour te grimer convenablement. Je te redonnerai de l’argent au moment de ton départ, car je vais t’envoyer à l’étranger…
Tout en causant, Bobinette et Vagualame s’étaient éloignés du Veau-qui-Pleure.
Par un dédale de petites rues noires et mystérieuses, le bandit avait conduit sa compagne jusqu’à une sorte d’impasse fermée à l’un de ses bouts par une haute maison. Au rez-de-chaussée, une large boutique occupait la moitié de la façade, et, bien que la devanture de fer fût descendue, on pouvait voir, à des rais de lumière, qu’on veillait à l’intérieur.
Brutalement, ainsi qu’il faisait toujours, Vagualame mit la main sur l’épaule de Bobinette.
— Attention! recommanda-t-il, il ne s’agit plus de plaisanter maintenant!.. Tu vas venir avec moi; je vais l’introduire, parce que cela est nécessaire, chez de nombreux amis que j’ai ici… des amis qui d’ailleurs me connaissent depuis peu de temps et qui, par conséquent, te diront peut-être des choses qui t’étonneront… Inutile d’en avoir l’air… Si je te mène là, c’est pour que tu saches dorénavant, et pendant les cinq jours qui te restent encore à demeurer à Paris, où me joindre si besoin en était… Tu me comprends? Tu n’aurais qu’à écrire une lettre et à venir la porter à la patronne de cette librairie…
— De cette librairie? interrogeait Bobinette.
— Oui. C’est une librairie… Donc, tu saisis ce que je te conseille? En cas de besoin, tu écris une lettre à mon nom, au nom de Vagualame, tu la remets directement à la patronne… elle me la fera parvenir…
Tout en parlant, Vagualame avait frappé trois coups espacés, puis encore deux autres coups au volet de fer de la boutique. Une clé grinça dans la serrure, la porte s’ouvrit. Le bandit, d’une bourrade, fit passer devant lui Bobinette, qui, subitement éblouie, se demandait si elle ne rêvait point lorsque, abandonnant la rue obscure, fouettée d’un vent glacial où la pluie s’était reprise à tomber en lourdes averses, elle pénétra dans une boutique brillamment éclairée.
— Bonjour, Sophie, dit Vagualame à une jeune femme qui venait au-devant de lui, rien de nouveau, ce soir?
— Rien de nouveau, Vagualame…
— Sophie, reprenait Vagualame, je vous amène une nouvelle amie… qui, peut-être, pourrait avoir un de ces jours à vous apporter une lettre pour moi…
La patronne de la boutique, dévisageant curieusement Bobinette, se contenta de répondre:
— Les frères sont-ils prévenus, Vagualame?
— Les frères ne sont point encore prévenus, mais je leur présenterai mon amie au premier jour…
Au moment où Vagualame terminait, on frappait à la devanture. Une voix:
— Police, ouvrez.
Le bandit, cependant, ne semblait nullement ému…
— Tiens, fit-il simplement et d’un ton quelque peu narquois, voilà que vous avez été encore une fois signalée comme n’obéissant pas aux prescriptions de la loi sur le travail.
Et, tout en parlant, Vagualame, qui menaçait du doigt la femme qu’il avait appelée Sophie, se dirigea vers la porte de la boutique, où, collant son œil à la serrure, il regarda ceux qui se présentaient chez la libraire à cette heure indue.
Mais Vagualame avait à peine appuyé son visage à ce trou de serrure que l’accordéoniste se prenait à pâlir.
— Bougre, ce n’est pas ce que je croyais… c’est la brigade des recherches… L’inspecteur Juve! l’agent Michel!.. Du sang-froid, Sophie, ils ne peuvent connaître votre maison… Si ils agissent en vertu d’une dénonciation, ils en seront pour leurs frais.