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En deux enjambées, Vagualame rejoignit alors Bobinette, interdite et blême de frayeur. Il prit la jeune femme par le bras, l’attira violemment vers le fond de la salle, gagna un recoin de la boutique, dont le sol, par exception, n’était pas encombré de piles de livres… Et, une fois là, Vagualame ordonna à Bobinette:

— Serre tes jupes entre tes jambes… N’aie pas peur!..

Le bandit ne se trompait pas: c’était bien la brigade des recherches qui cernait l’entrée de la boutique.

Sans bruit, glissant au long des maisons comme de véritables ombres, sur la pointe des pieds, le revolver d’une main, une lanterne sourde de l’autre, une quinzaine de bourgeois s’étaient groupés.

Juve, qui les commandait, donnait ses derniers ordres:

— Faites attention, Michel, nous avons vu entrer les oiseaux, donc ils sont là… Il ne faut pas qu’ils nous échappent… Dès que je vais être entré dans la boutique, ne quittez plus cette porte… Il n’y a pas d’autre issue… ne laissez sortir personne.

— Soyez tranquille, Juve, personne ne sortira.

À peine s’était-il écoulé trois minutes entre la première sommation de Juve et le moment où la libraire ouvrait sa porte… Mais ces trois minutes, le bandit les avait mises à profit.

— Ne crie pas! n’aie pas peur! souffla Vagualame en poussant Bobinette… Ce n’est pas encore ce coup-ci qu’ils nous prendront!..

Bobinette se sentit bousculée, entraînée dans un coin de la pièce… et soudain le sol se déroba sous ses pas. Elle roula sur une sorte de plan incliné, un véritable toboggan…

Bobinette, glissant dans le vide, cramponnée à Vagualame, entendit au-dessus de sa tête le claquement sourd d’une trappe qui se refermait…

— Silence, répétait le bandit, tandis que la jeune femme, parvenue à l’extrémité de la glissière, roulait sur le plancher d’une sorte de cave où s’entassaient encore des piles de volumes…

Déjà Vagualame avait tiré de sa poche une boîte d’allumettes. À la lueur clignotante de la brindille de bois, il faisait signe à sa compagne d’écouter.

— C’est bien cela, dit-il, les agents perquisitionnent dans la boutique et, en ce moment, bousculent les piles de livres en s’imaginant que nous sommes cachés derrière eux… Quels imbéciles… Tel que je connais Juve, d’ailleurs, dans trois minutes au maximum, il aura trouvé la trappe secrète et descendra ici par le chemin que nous avons pris… car il ne sera jamais assez bête pour imaginer que nous avons fui tout bonnement par l’escalier qui débouche dans la boutique.

— Mon Dieu! gémit Bobinette, si vous croyez qu’il trouve la trappe, qu’allons-nous faire?

Vagualame ne semblait nullement ému. Il haussa les épaules et, ayant tiré de sa poche un rat-de-cave, l’alluma.

— Dame, dit-il, en haussant la lumière, il y a plusieurs partis à prendre: tu peux, si tu le veux, Bobinette, choisir un volume dans tous ces livres et attendre tranquillement… Tu peux, si tu le préfères… mais assez!

Vagualame soudain s’approchait du tas que formait dans un angle de la réserve où il se trouvait une importante collection de journaux illustrés… Du poing, il frappa trois coups sur le dos des brochures, disant à voix basse:

— Ouvrez! ce sont des frères!..

Et Bobinette, stupéfaite, vit l’énorme pile de volumes osciller sur sa base, puis, sans bruit, se diviser en deux, se séparer… Les journaux démasquaient une porte secrète… Mais la jeune femme n’eut pas le temps de réfléchir à ce nouveau mystère. Vagualame déjà l’entraînait.

— Tu vois, ma chère amie, railla-t-il, qu’il n’est point inutile d’avoir des relations dans tous les mondes, et que ton excellente patronne, Olga Dimitroff, a été fort bien inspirée en me racontant jadis où et comment se réunissaient à Paris les tchékistes qui complotaient contre l’État.

Bobinette croyait rêver. Vagualame venait de la faire passer dans une sorte de grande salle éclairée par des torches de résine, et dans cette salle une vingtaine de jeunes gens, debout, saluèrent avec vénération Vagualame, s’avançant vers eux la main tendue…

* * *

À peine Juve avait-il pénétré dans la librairie qu’il s’était convaincu qu’à part «Sophie» nul n’était plus dans la pièce…

— Parbleu, dit-il à mi-voix, je sais où les prendre…

Il s’apprêtait déjà à traverser la boutique lorsqu’il revint sur ses pas:

— Ne laissez sortir personne! répéta-t-il aux agents demeurés sur le seuil de la porte, sauf moi, bien entendu… Ah! autre chose: déménagez-moi toutes ces piles de volumes, derrière lesquelles il est possible, à la rigueur, que mes lascars se soient dissimulés… surveillez aussi l’orifice du petit escalier qui débouche ici, c’est le seul chemin par où une évasion puisse être tentée… Pour moi, je vais faire le tour des caves et je rabattrai le gibier par cet escalier…

Sophie, la libraire, protestait:

— Mais il n’y a rien dans mes caves! Je ne comprends pas ce que la police vient faire chez moi!..

Juve n’avait cure d’une pareille affirmation, et, le plus naturellement du monde, se dirigeait vers un des angles de la boutique…

Il y avait beau temps, en effet, que le policier, renseigné sur tous les bouges de Paris, comme sur toutes les sociétés secrètes, politiques ou autres qui y tiennent de mystérieux rendez-vous, connaissait l’existence de la trappe mystérieuse et de la glissière qui conduisait aux caves de la librairie où il se trouvait. Ne voyant ni Vagualame ni Bobinette, il avait immédiatement compris de quel côté les deux misérables avaient fui.

— Allons chez les Russes! s’était-il dit.

Et, n’écoutant que son courage, serrant la crosse de son revolver, prêt à faire le coup de feu s’il en était besoin, Juve, sous les yeux étonnés des simples agents de la Sûreté, moins bien renseignés que lui, fit fonctionner la trappe qu’un contrepoids referma sur sa tête. Ainsi que l’avait prévu Vagualame, Juve tomba donc dans la cave quelques secondes à peine après la sortie du bandit et de sa complice.

Juve, à vrai dire, ne connaissait pas la salle des réunions secrètes, non plus que la porte dissimulée derrière la pile des journaux illustrés. Encore tout étourdi par la glissade (la glissière tombait en effet dans le deuxième dessous des caves), Juve haussa sa lanterne et ne fut pas peu surpris de se trouver dans un réduit complètement vide…

— Ah çà! murmura-t-il, qu’est-ce que cela veut dire? Ils ne sont pas ici?…

Et il songea immédiatement qu’à coup sûr Bobinette et Vagualame devaient s’être cachés derrière un amas de livres au moment où ils l’avaient entendu ouvrir la trappe, dans la boutique. Mais alors même qu’il faisait cette supposition, Juve, dont l’esprit d’observation était toujours en éveil, se rendit compte, non sans stupeur, qu’une pile de journaux illustrés fortement inclinée se redressait lentement… Le policier bondit et, introduisant son revolver dans la fente subsistant encore entre les volumes, empêcha ceux-ci de se joindre complètement…

Que se passait-il de l’autre côté de cette collection truquée, de cette collection qui, sans aucun doute, venait de s’ouvrir pour laisser passer Bobinette et Vagualame?

Juve, avidement, colla son oreille à l’étroite fissure qui marquait les bords de la porte dissimulée… Des voix d’hommes en train de discuter.

— Vous avez raison, disait un interlocuteur invisible… c’est Fantômas qui nous vaut toutes ces perquisitions, toutes ces tracasseries… Ce sont ses crimes qui énervent les policiers, qui leur donnent envie, pour triompher aux yeux de l’opinion publique, de nous traquer plus rigoureusement que jamais.