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Et sans laisser le temps à la jeune femme de l’interrompre:

— Dis-moi, que connais-tu de plus misérable, de plus bas, de plus méprisable, de plus honteux que la trahison, le piège tendu? que la souricière combinée contre celui que n’a jamais été que votre ami, que votre défenseur? Dis-moi, Bobinette, qu’y a-t-il de plus haïssable que le Judas qui vous vend d’un baiser? Dis-moi, Bobinette, qu’y a-t-il de moins digne de pitié que la lâcheté du criminel qui trahit son complice? du bandit qui livre son chef, pour rien, pour de l’argent, peut-être, pour moins, par peur! pour se sauver lui-même?… Allons! réponds! réponds, Bobinette! je te l’ordonne!

— Je ne vous comprends pas!.. j’ai peur!..

— Vraiment! dit-il enfin, tu ne me comprends pas? Tu as peur?… Allons donc! si tu as peur, c’est que tu me comprends!..

Dans un râle, Bobinette hurla:

— Mais vous êtes fou! Vagualame… que croyez-vous? Pitié!.. pitié!..

— Bobinette, tu te trompes étrangement!.. Je ne suis pas de ceux à qui l’on crie pitié… Je ne connais point ce mot! je n’ai point cette faiblesse! je ne l’ai jamais eue! je ne l’aurai jamais, pour personne!..

Il se tut une seconde, puis reprit, comme emporté dans une subite colère:

— Et tu crois que je suis fou? Ah çà! Bobinette, mais quelle femme es-tu donc pour essayer de me tromper? Quelle est donc ta folie, à toi, pour penser que tu vas me duper? moi?

— Vagualame, qui êtes-vous? dites-le-moi…

— Qui je suis! pardieu!.. tu le demandes? tu veux le savoir? Eh bien! qu’il soit fait suivant ta volonté!.. C’est ta dernière volonté!.. Qui je suis?… regarde!

Lentement, d’un mouvement digne et sûr, Vagualame déroula la longue cape dans laquelle il était enveloppé.

Il arracha son chapeau qu’il jeta à ses pieds et les bras croisés, fixant Bobinette, il l’apostrophait:

— Ose dire mon nom, ose me nommer!..

Le mendiant de tout à l’heure, sa cape enlevée, dépouillé de son chapeau, apparut soudain, non plus comme un vieillard au corps tassé, mais comme un homme à coup sûr jeune, vigoureux, superbement musclé. Il était vêtu, ganté plutôt, d’un maillot collant de laine noire qui, des pieds jusqu’au cou, le gainait étroitement…

Bobinette ne pouvait apercevoir son visage: celui-ci était dissimulé par une longue cagoule noire enveloppant entièrement sa tête. Seuls les yeux d’où sortaient deux reflets fauves, deux regards de feu, lumineux, impressionnants dans leur fixité, étaient apparents…

Cette vision, la vision de cet homme, sans visage, sans ressemblance avec un autre homme, la vision de cette apparition au masque anonyme, au corps de statue, de cet être qui n’était aucun être reconnaissable, avait quelque chose de si précis en son mystère que Bobinette, un quart de seconde, l’ayant contemplé, hurla d’une voix rauque, inhumaine, mourante:

— Fantômas! ah! vous êtes Fantômas!

… L’orage redoublait de violence, la tempête déchaînée multipliait ses hurlements sinistres, la nuit se faisait plus sombre, la pluie plus lourde, le vent plus impétueux.

— Fantômas! vous êtes Fantômas!

Comme à dessein, comme jouissant du trouble de la pauvre fille, le bandit ne se hâtait pas de répondre:

— Eh bien, oui! faisait-il enfin, je suis Fantômas!.. Je suis celui que le monde entier recherche, que nul n’a jamais vu, que nul ne peut reconnaître! Je suis le Crime! Je suis la Nuit! Je n’ai pas de visage, pour personne, parce que la nuit, parce que le crime n’ont pas de visage… Je suis la puissance illimitée; je suis celui qui se raille de tous les pouvoirs, de toutes les forces, de tous les efforts. Je suis le maître de tous, de tout, de l’heure, du temps. Je suis la Mort. Bobinette, tu l’as dit, je suis Fantômas…

Il semblait à la malheureuse que la respiration lui manquait.

Tandis que le bandit prononçait sa sinistre apologie, tandis qu’il se vantait de l’impunité qu’il avait su toujours s’assurer, en ne se laissant jamais voir sous sa véritable forme, en trompant toujours ceux qui s’acharnaient à sa poursuite, Bobinette croyait mourir, croyait s’écrouler sur le sol… ses jambes vacillaient, un vertige l’entraînait toute, elle tomba à genoux:

— Pitié! maître!.. pitié! Fantômas!

Il railla encore:

— Fantômas avoir pitié! Ah! Bobinette, comme ton cerveau est petit! comme ton intelligence est médiocre! vouloir accoler ces deux mots: Fantômas et pitié… Quelle dérision!

Il poursuivit, pris d’une colère furieuse:

— Fantômas ne fait point merci; Fantômas ordonne et qui lui résiste disparaît…

— Mais qu’ai-je fait?… maître, Fantômas… qu’ai-je fait?…

Lentement, le bandit qui avait ramassé sa cape, s’enroula dans le vêtement mystérieux. Encore qu’il eût lâché Bobinette, il ne pouvait venir à la pensée de cette dernière de tenter seulement de prendre la fuite. De toute la force de sa volonté, Fantômas l’immobilisait comme un oiseau est hypnotisé devant le chat qui le guette. Il jouait avec elle. Il était certain d’en être maître au moment où il lui plairait de s’en saisir…

— Ce que tu as fait? tu as voulu me trahir. Tu as indiqué à la police, à Juve ou à Fandor, à mes ennemis personnels, à ceux qui veulent ma mort, aux seuls hommes qui jusqu’ici aient su déjouer mes plans, le repaire des Russes.

— Je ne l’ai pas fait, hurla Bobinette. Je vous jure…

Mais Fantômas était convaincu que la jeune femme l’avait trahi. Pour une fois son admirable perspicacité se trouvait en défaut. Il ne soupçonnait pas comment Juve avait pu savoir cette adresse. Il était persuadé que seule Bobinette avait pu la fournir, et il dédaigna de répondre directement à la protestation de la jeune femme:

— Tu vas mourir, dit-il… Mais il ne sera pas dit que moi, Fantômas, j’aurai jamais porté la main sur l’un de ceux qui me servent, sur l’un de ceux que j’emploie… tu vas mourir, mais ce ne sera pas de ma main, je te donne à la mort, je ne veux pas te tuer…

* * *

Bobinette entendait des cloches carillonner. Il semblait à la jeune femme qu’elle ne reposait pas sur le sol, qu’elle était légère, légère… Et puis, tout à coup, Bobinette avait la sensation que rien ne la soutenait plus, qu’elle croulait, qu’elle roulait dans un abîme. Bobinette fit un effort sur elle-même, voulut ouvrir les yeux, tenter un mouvement, elle se dressa, s’assit, souleva ses paupières… elle ne rêvait pas. Bobinette comprit qu’elle s’était évanouie et qu’elle avait imaginé les sensations ressenties la minute d’avant alors qu’elle revenait à la vie peu à peu… Elle revenait à la vie. Cela lui semblait surprenant, au point qu’encore étourdie, elle se demanda si il était bien vrai qu’elle vivait encore. Fantômas l’avait menacée de mort, et elle vivait, cela n’était pas possible. Et ce fut soudain une minute d’angoisse qui la tenaillait. Où était-elle?

Bobinette se sentait si faible, si étourdie, qu’elle demeura assise, sans tenter un mouvement… Que s’était-il passé exactement?… Oui! c’était bien cela… Au moment où Fantômas lui disait qu’elle allait mourir, elle était tombée sur la route, sa jupe était encore mouillée… elle avait froid… mais qu’était-il arrivé depuis?

Bobinette entendit le vent qui soufflait. La pluie tombait toujours, mais elle remarqua qu’elle ne la recevait plus sur le visage…

— Où suis-je?

Nette, la réponse à la question lui apparut soudain:

— Fantômas m’a enfermée dans la roulotte, c’est dans la roulotte contre laquelle nous étions appuyés que je suis prisonnière…

Elle tâta le sol autour d’elle… Elle était bien sur un plancher, grossièrement raboté… elle s’agenouilla, elle étendit les bras et heurta une paroi… Vraiment oui, elle était dans la roulotte, elle pouvait craindre que Fantômas soit tout près, elle pouvait redouter son apparition… Elle n’était pas sauvée.