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Nul, à moins d’être au courant de ces dispositions immobilières, ne se douterait que la porte basse que l’on remarque à peine dans le vestibule d’entrée, juste en face de l’escalier qui accède au premier étage, n’est autre que l’entrée de la prison. En effet, sitôt cette porte basse franchie, on est dans le couloir sur lequel donnent les cellules.

À la porte de la prison se tient d’ordinaire un gardien, dont le rôle est moins de surveiller les prisonniers et de prévenir leurs tentatives d’évasion que d’ouvrir aux personnes qui ont besoin d’entrer dans le sinistre local.

Lorsque arrive la nuit, la surveillance se relâche souvent. Le gardien est en même temps chargé de l’entretien des bureaux et lorsqu’il a sa clé dans sa poche, certain que nul n’enfoncera la lourde fermeture, il va et vient dans la maison.

De Naarboveck qui, évidemment, s’était renseigné au préalable, était non seulement au courant de ces détails, mais savait que ce jour-là, comme les jours précédents d’ailleurs, comme les jours à venir jusqu’à la date du procès Fandor, vu l’affluence de curieux, d’avocats, etc., on avait décidé de donner au gardien un aide et que celui-ci prenait son service à partir de six heures. Il était six heures passées.

Selon toutes probabilités, lorsque les faux avocats frapperaient de l’intérieur de la prison pour se faire ouvrir la porte communiquant avec l’extérieur, ce serait le gardien supplémentaire qui viendrait leur livrer passage!

Non sans émotion, Naarboveck tapa de son index au judas ménagé dans la lourde clôture.

Un bruit de verrous retentit, la prison s’entrouvrait, la silhouette du gardien apparut et Fandor réprima un soupir de satisfaction: c’était un geôlier qui ne le connaissait pas, c’était le remplaçant prévu, escompté!

— Tiens! s’écria celui-ci, en saluant militairement les gens de robe, vous étiez donc deux?…

— Naturellement mon brave, répliqua Naarboveck d’un ton prodigieusement calme, votre collègue ne voua a-t-il pas prévenu que mon secrétaire m’avait rejoint?

— J’avais compris qu’il allait venir, fit l’homme, je ne savais pas qu’il était déjà là.

Mais le baron de Naarboveck l’interrompait et, avec un gros rire:

— Nous partons ensemble…, quoi de plus naturel?

— C’est votre droit, grommela l’homme, vous avez fini d’interroger le prévenu Fandor?

Le geôlier allait entrer dans la prison pour vérifier si la cellule du prisonnier était bien fermée… Naarboveck l’arrêta par le bras.

— Mon brave, dit-il en lui glissant une pièce d’argent dans la main, nous ne sommes pas en tenue convenable pour sortir dans la rue, et nos vêtements civils sont restés au Palais de Justice, faites-nous donc le plaisir d’arrêter un fiacre que nous prendrons devant l’entrée de la cour.

Le geôlier précéda les deux avocats dans la cour et, sur le pas de la porte cochère, attendit le passage d’un véhicule: Un taximètre flaira le client. L’automobile vint se ranger le long du trottoir. En moins d’une seconde, le baron de Naarboveck s’y était précipité avec Jérôme Fandor, pâle d’émotion, et tout en saluant de la main le gardien respectueux qui s’inclinait profondément, il jeta au mécanicien cette adresse:

— Au Palais de Justice.

* * *

— Monsieur Fandor, que dites-vous de cela?

— Ah baron! comment pourrai-je jamais vous exprimer toute ma reconnaissance, mais, désormais, m’expliquerez-vous?…

De Naarboveck sourit d’un sourire étrange et mystérieux. Prolongeant son silence à plaisir, il s’amusait à considérer le journaliste dont la stupéfaction ne cessait de croître.

Échappés du Cherche-Midi, le baron et Fandor s’étaient gardé d’aller au Palais de Justice. Le taxi-auto dérouté avait gagné la rue Lepic et s’était arrêté dans une petite rue déserte, devant une maison en ruine, éclairée de très loin par un bec de gaz vacillant.

Naarboveck avait réglé la course, puis les deux hommes en toges avaient traversé un petit jardinet inculte et bourbeux.

Ils arrivaient devant un pavillon. De Naarboveck s’y introduisait suivi de Fandor.

Par un escalier en colimaçon les deux hommes gravirent un étage, puis le diplomate ayant tourné un commutateur, le journaliste s’aperçut qu’il était avec son sauveur dans un atelier de peintre, vaste et assez élégamment meublé. Des rideaux épais cachaient une large baie vitrée; le plafond très élevé était à peine mansardé. Pour créer cet atelier, on avait dû réunir l’une à l’autre trois ou quatre pièces, car plusieurs colonnes de fer, grosses colonnes de soutènement, traversaient par le milieu l’atelier, rompant ainsi, assez malheureusement d’ailleurs, l’harmonie de la vaste salle.

Curieusement, Fandor avait inventorié cet atelier, cherchant un objet familier, un meuble, un tableau qui pût lui faire savoir où il se trouvait.

Mais rien. Tout ce qui ornait cette pièce était inconnu du journaliste.

M. de Naarboveck, sitôt arrivé, s’était dépouillé de sa toge et, désormais, plus libre de ses mouvements, allait et venait. Le diplomate était vêtu d’un élégant complet.

Le journaliste, lui aussi, avait enlevé la bienheureuse robe d’avocat grâce à laquelle il s’était échappé. Il portait le pantalon noir que Naarboveck lui avait fourni et demeurait en manche de chemise, n’ayant pas de veston et ayant laissé dans la cellule sa tunique militaire.

— Savez-vous, monsieur Fandor, où nous nous trouvons?

— Je n’en ai pas la moindre idée, déclara le journaliste…

— Cherchez un peu, poursuivit le diplomate…

Fandor fouillait des yeux les alentours, torturait sa mémoire, il eut un geste vague, avoua

— Je n’en sais décidément rien!

— Monsieur, déclara alors de Naarboveck, en se rapprochant du journaliste comme s’il craignait d’être entendu en parlant haut, vous n’êtes pas sans connaître, au moins de nom, un certain individu énigmatique qui joue un rôle important dans les affaires dont nous sommes l’un et l’autre les victimes à des titres différents. Nous sommes chez lui.

— Son nom?

Le baron de Naarboveck qui, tout en considérant Fandor, allait et venait, écoutant par moments, mais semblant en outre lire dans la pensée du journaliste, reprit la parole:

— Votre ami Juve, fit-il, monsieur, qui est un policier de la plus grande valeur, s’est depuis quelque temps acharné à la poursuite de notre hôte d’aujourd’hui, de ce Vagualame chez qui nous nous trouvons… Cela lui a occasionné d’ailleurs pas mal de mésaventures qui lui ont prouvé que Vagualame n’était pas l’imbécile qu’il paraissait, et peut-être Juve s’en apercevra-t-il encore d’ici peu… cependant…

— Mon ami Juve, questionna-t-il, ne court, je l’espère, aucun risque? je vous en supplie, monsieur renseignez-moi sur ce point, car désormais je suis libre…

— Attention, monsieur Fandor!.. souvenez-vous que vous êtes un évadé et qu’à l’heure actuelle votre fuite doit être connue… méfiez-vous donc.

Puis il changea de sujet. Brusquement, sans ordre, d’une façon bizarre:

— Vagualame, chez qui nous sommes, reprit-il, avait une collaboratrice, mademoiselle Berthe, dite Bobinette. Bobinette a eu des torts, des torts graves, mais, monsieur, paix à sa mémoire, n’en parlons plus, elle a expié.

— Bobinette est donc morte?

Fandor digérait cette nouvelle, lorsque soudain, au moment où le dernier coup de dix heures sonnait au cartel du mur, la lumière s’éteignit, l’atelier fut plongé dans une obscurité profonde… et le journaliste se sentit appréhender, ligoter avec une brutalité inouïe, cependant qu’au préalable on l’enveloppait, croyait-il, dans un grand linge qui lui immobilisait les bras. Sur son visage des mains mystérieuses fixaient une sorte de masque souple, on lui enfonçait quelque chose sur la tête, un chapeau peut-être, puis, attiré dans le noir, cependant que les cordes serrées lui meurtrissaient les chairs, Fandor se rendit compte qu’on l’immobilisait, debout, le long de quelque chose, probablement l’une de ces colonnes qui traversaient l’atelier du plancher au plafond. Le journaliste crut percevoir une voix lointaine qui murmurait: