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— Mais enfin, pourquoi diable, Fandor, t’es-tu costumé en Fantômas?… Pour un prisonnier militaire, ça n’est pas du tout convenable!..

Trokoff, qu’il avait pris pour Vagualame, pour Fantômas, qui tout à l’heure encore le menaçait de mort, c’était Juve?

Fandor eut l’air si stupéfait, si ahuri, que Juve-Trokoff, le considérant toujours, reprit en souriant:

— Voyons, mon petit Fandor, tâche donc de rappeler un peu tes esprits et de me répondre clairement… veux-tu?…

Mais le journaliste haletait:

— Vous! Juve! vous êtes Juve!..

Le policier haussait les épaules:

— Il y a des chances! faisait-il… Enfin! je vois qu’il faut que je parle le premier, parce que tu ne me semblés pas du tout en état de discourir, toi!.. Bon! écoute: je connais les Russes. Eux s’imaginent que je suis un de leur chef, Trokoff… Chef de conspirateurs, voilà en effet, ma dernière transformation!.. Donc, j’ai appris ce soir, que ces imbéciles croyaient tenir Fantômas, ils étaient convoqués ici pour juger ce bandit… je les ai accompagnés en leur disant que c’était moi, Trokoff, qui les avais appelés. Tu saisis?… Maintenant, reporte-toi au moment où tu nous as vu entrer… Sais-tu qu’attaché à ton poteau tu faisais une épatante figure de Fantômas? une si épatante figure de Fantômas, que pendant quelques instants, moi, Juve, je me suis presque demandé si ce n’était pas véritablement le vrai Fantômas qui était en face de moi… Par bonheur, j’ai vu tes mains. On ne voyait que cela de toi, grâce à cette cagoule dont on t’avait affublé, et tu n’ignores pas que le dessin des veines sur les mains est absolument caractéristique pour chaque individu, au point qu’à Vienne, le service de l’anthropométrie est entièrement fondé sur ce principe!.. Je me suis dit: «Ce Fantômas, c’est mon petit Fandor.» Je n’ai plus eu qu’une idée: faire filer mes Russes. Seulement, quand je suis revenu, vous m’avez sauté dessus, j’ai bien cru y passer… Bon Dieu! si jamais tu avais tiré un coup de revolver, tu risquais fort de me tuer, moi, Juve, et, après cela, de tomber, toi, Fandor, victime de…

— De Naarboveck… de Naarboveck, qui est Fantômas.

— Tu l’as dit, Fandor, et ce n’est pas malheureux. Vagualame, Naarboveck et Fantômas ne font qu’un. Et une fois de plus, le Maître du Crime ne joue pas sous son vrai visage, que personne ne connaît d’ailleurs.

Mais Fandor soudain se dressa:

— Juve… Juve… nous sommes fous de rester ainsi à discuter. Naarboveck vient de disparaître, il ne peut être loin… Fantômas, à coup sûr, doit passer chez lui, même si, se sentant démasqué, il a décidé de disparaître à tout jamais. Ne le laissons pas échapper! Juve, pour Dieu, dépêchons-nous…

Mais le policier ne bougea point de son fauteuil…

— Comme tu viens d’éprouver des émotions violentes, je veux bien te pardonner ta naïveté; Fandor, voyons, il y a déjà trois minutes que Naarboveck s’est enfui, et tu t’imagines qu’il est encore temps de le rattraper? C’est enfantin!

— Mais, je vous le dis, Naarboveck, forcément, va revenir chez lui. Allons le guetter, établissons une souricière…

— Nous ne pouvons pas arrêter Naarboveck…

— Pourquoi? Que voulez-vous dire?

— Fandor, tu ignores encore la dernière ruse de ce misérable. J’ai le droit de mettre la main au collet de Fantômas et, je te le répète, je ne puis appréhender Naarboveck!..

Et, comme Fandor regardait le policier avec des yeux stupides d’émotion, égarés, Juve poursuivait:

— Sans doute, il te semble que je te parle chinois, en ce moment?… Bien!.. Fais-moi confiance, Fandor, je n’ai pas encore le droit de te révéler ce secret, mais n’en doute point, hélas. Naarboveck est inviolable…

— Mon Dieu!

— Bah! ne t’inquiète pas, Fandor, la partie n’est pas perdue! j’ai encore une carte à retourner, et je la retournerai cette nuit… donc… laissons cela… songe plutôt que j’ai grande hâte de savoir comment toi, que je croyais tranquillement au Cherche-Midi, tu en es arrivé à jouer les Fantômas dans les ateliers déserts?…

Fandor raconta donc à Juve l’extraordinaire façon dont il était sorti de la prison militaire:

— Maintenant, qu’allons-nous faire?

— Attention, Fandor, ne mêlons point les questions; tu devrais dire: «Que vais-je faire? Qu’allez-vous faire?» Toi, Fandor, si tu m’en crois, et tu m’en croiras, tu vas très sagement retourner au Cherche-Midi et demander que l’on te coffre à nouveau… T’être échappé, c’est une faute grave… S’évader, c’est plaider coupable; or, tu es innocent… donc retourne à ta geôle… Je te promets que tu n’y resteras pas longtemps…

— Et vous, Juve? que projetez-vous?

— Oh! moi, c’est très ennuyeux, dit-il; il faut que je me mette en habit… je n’aime pas cela… Et puis il faut que je prenne le train, Fandor… oui, ne me regarde pas avec ces yeux ronds… Je vais prendre le train en habit…

* * *

Mince, élégant, Juve écoutait dans le cabinet de travail somptueux les observations d’un personnage qui lui parlait sur un ton à la fois amical et hautain:

— Non, ce n’est pas possible, vous m’en demandez trop… vous ne vous rendez point compte, Juve, des complications de toutes sortes qu’une intervention de ma part pourrait soulever si, par hasard, vous faisiez erreur…

Le policier gardait son attitude impassible. Une ride lui barrait le front d’un pli obstiné.

— Je ferai respectueusement observer à Votre Majesté qu’il s’agit tout juste d’une signature à donner…

— Mais, Juve, encore une fois, c’est une signature qui peut mettre le feu aux poudres…

— Votre Majesté voudra bien considérer que d’une signature Elle peut tout arranger…

— Juve, vous n’y pensez pas. Pour la centième fois, je vous le répète, je ne puis vous donner ce décret… Le cas est exceptionnel, je suis persuadé que, même en remontant dans les plus lointaines annales, vous ne pourriez me citer un précédent…

— Votre Majesté n’oubliera pas qu’avec son nom, une ligne de son écriture, Elle peut aplanir toutes les difficultés…

C’était, avec d’autres termes, la même phrase que Juve s’obstinait à répondre!

Le roi qu’il entretenait, qu’il sollicitait ainsi avec une passion étrange, se rendait compte de l’entêtement du policier:

— Ah çà! Juve, dit-il, avez-vous seulement pesé la valeur du décret que vous me demandez? Savez-vous que, s’il est immérité, ce document fera la honte de mon pays?

— Sire, je sais que je ne demande rien à Votre Majesté qu’Elle ne puisse m’accorder, qu’Elle ne doive m’accorder… Sire, j’ai jusqu’ici sollicité, que Votre Majesté m’excuse, ce n’est plus le solliciteur qu’Elle a maintenant devant Elle… Votre Majesté me comprend sans doute? C’est Juve qui demande à Votre Majesté sa signature…

— Je vous comprends, Juve. Jadis, lors de mon voyage officiel à Paris, vous m’avez sauvé la vie, vous avez sauvé la vie à la reine… au péril de votre propre existence, et je vous ai dit, alors, que je n’aurais rien à vous refuser, que je ne vous refuserais rien, jamais… c’est à cela que vous faites allusion?…

— Sire, je réponds à Votre Majesté que je n’invoquerai point la dette qu’il lui plaisait de reconnaître… Votre Majesté me force à lui rappeler sa parole…

Le roi, qui maintenant se promenait de long en large dans son cabinet de travail, se laissa tomber dans un fauteuiclass="underline"

— Si je vous donnais ce décret, Juve, demandait-il, vous iriez aujourd’hui même, sitôt rentré en France, sitôt revenu à Paris, le porter à la Chancellerie?