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— Ah! maudit soit ce jour.

— Que voulez-vous dire?

— Je veux dire, expliqua la jeune femme, que si le capitaine Brocq est mort assassiné, c’est de ma faute; je veux dire que si un document confidentiel a disparu de chez lui, c’est parce que je l’ai pris… j’étais sa maîtresse… je suis responsable de sa mort!

Un grand silence succédait à cette déclaration sensationnelle.

Les juges, le commissaire du gouvernement, l’avocat de Fandor et Fandor lui-même ne savaient que penser. L’auditoire était haletant. Mais Bobinette poursuivait:

— Mon mauvais génie, messieurs, fut un bandit de la pire espèce, que vous connaissez tous sous le sobriquet de Vagualame. Vagualame, agent du Deuxième Bureau de l’état-major, et faisant officiellement du contre-espionnage?… soit. Mais, messieurs, Vagualame était également un espion de la France, un traître au service de l’étranger… pis encore: c’est lui qui a assassiné Brocq, vous savez qu’il est le meurtrier de la chanteuse Nichoune. Vagualame a fait de moi sa chose, son esclave. Hélas! je ne puis cependant pas tout rejeter sur lui ni prétendre que c’est sous la perpétuelle menace de ce monstre que j’ai trahi de toutes les façons: trahi mon pays, trahi l’amour qu’éprouvait pour moi le capitaine Brocq, que j’ai volé de toutes les manières, volé le document relatif à la mobilisation et volé aussi de l’argent, — des billets de banque, — sous prétexte de donner le change à la police et de faire croire à un vulgaire cambriolage. Ces billets, messieurs, vous les avez retrouvés entre les mains de l’infortuné Jérôme Fandor. Ils constituent, paraît-il, une charge accablante pour lui… Or, sachez qu’après avoir été volés de ma main, ils lui ont été remis par un de nos agents qui savait que de la sorte on compromettrait le faux caporal Vinson. Mais si j’ai agi ainsi, c’est non pas tant par désir de l’argent qu’on me donnait, non pas tant pour les promesses fallacieuses de fortune éventuelle que faisait à mes yeux miroiter Vagualame…, c’est… par rancoeur, par dépit, par haine, par amour!

Me Durul-Berton s’était soudain levé, se penchant vers la jeune femme:

— Parlez, parlez, mademoiselle, s’écria-t-il.

Bobinette lentement reprit:

— Par amour, oui, et c’est l’aveu qui me coûte le plus. Oui, si j’ai cédé aux propositions de l’ignoble Vagualame, si je me suis laissée entraîner par lui dans les sentiers affreux de l’espionnage et de la trahison, c’est par dépit d’un amour incompris, d’une passion intense, inimaginable, que j’éprouvais pour un homme… un homme dont le cœur était pris ailleurs… pour le fiancé de Mlle Wilhelmine, pour le lieutenant Henri de Loub…

Le colonel-président, d’un geste brusque, interrompit la jeune femme:

— Il suffit, mademoiselle, il suffit… Vous n’avez pas de nom à prononcer ici. Veuillez continuer votre déposition relative aux faits d’espionnage…

Bobinette raconta en détail comment elle avait consenti à cacher le fameux débouchoir que Vagualame, un jour, était venu lui apporter. C’est elle qui avait aidé le bandit à concevoir un plan audacieux pour livrer cette pièce à l’étranger. C’est elle qui s’était déguisée en prêtre pour conduire le caporal Vinson à Dieppe. Elle ignorait d’ailleurs avoir affaire à Jérôme Fandor. Jusqu’au télégramme de Vagualame.

— Eh! s’écria-t-elle, qui donc a encore tué le vrai caporal Vinson, il y a quelques jours à peine, au moment où il traversait la rue du Cherche-Midi? Vous l’ignorez peut-être, messieurs, moi je le sais… c’est le meurtrier du capitaine Brocq, c’est le meurtrier de la chanteuse Nichoune, c’est Vagualame… toujours.

«Vagualame» poursuivit Bobinette, s’animant de plus en plus — désormais la jeune femme semblait au paroxysme de l’exaspération, — elle hurlait ses révélations sans timidité, sans craintes, comme un apôtre qui veut convaincre, comme un martyr au plus rude de son supplice. Vagualame!.. vous vous demandez qui c’est, et vous cherchez dans les agents secrets, cette immonde population qui gravite autour de vos États-majors, à l’affût perpétuellement de quelque secret à surprendre…

Le commandant Dumoulin, qui depuis quelques instants ne tenait plus en place, s’était précipité vers elle; d’un geste brusque, l’officier lui fermait la bouche avec sa grosse main, et terrifié presque, mais résolu, se tournant vers le colonel président du Conseil de Guerre, exigeait:

— Mon colonel, monsieur le président… je réclame le huis clos! Il ne faut pas laisser porter de semblables accusations en public… Je vous en conjure, ordonnez le huis clos!

L’avocat de la défense se leva à son tour:

— Je suis d’accord, déclara-t-il, avec le ministère public, pour demander le huis clos.

Le colonel hocha la tête affirmativement, regardant le commandant Dumoulin, puis Me Durul-Berton.

Mais, tandis que les juges militaires s’entretenaient à voix basse des formalités à remplir pour que le huis clos fût prononcé dans les règles, le commandant Dumoulin, auquel le lieutenant Servin avait suggéré quelque chose, intervint à nouveau et dit:

— Monsieur le président, messieurs les membres du Conseil, eu égard aux graves déclarations du témoin, je requiers son arrestation immédiate.

L’officier venait à peine d’exprimer ce désir, qu’un grand cri retentissait.

Juve, devinant une intention de Bobinette, s’était précipité vers elle, mais, en dépit de sa rapidité, il arrivait juste pour recevoir la jeune femme défaillante dans ses bras.

Bobinette, qui sans doute avait pris sa décision depuis longtemps déjà, estimant le Conseil suffisamment renseigné pour prononcer l’acquittement de Fandor, venait d’absorber le contenu d’une petite fiole jusqu’alors dissimulée dans son manchon.

— La malheureuse, hurla Juve, elle s’est empoisonnée!

Ce fut, dès cet instant, un indescriptible désordre dans la salle d’audience.

— L’audience est suspendue! cria le colonel.

* * *

Il était neuf heures du soir, et la foule aussi nombreuse, aussi compacte dans la salle d’audience qu’à deux heures de l’après-midi, attendait.

Depuis la tentative de suicide de Bobinette, — la jeune femme n’était pas morte sur le coup et on l’avait emportée à l’infirmerie avec l’espoir, le très vague espoir de la ranimer, — l’audience avait été reprise et les magistrats dès lors siégeaient à huis clos. Mais les révélations de la coupable, non seulement avaient jeté le désarroi dans le réquisitoire que le commandant Dumoulin se proposait de prononcer, mais encore elles avaient fait la lumière dans l’esprit des juges et convaincu ceux-ci de l’innocence du journaliste qui, une dernière fois encore, avait expliqué pourquoi il s’était dissimulé sous l’uniforme du caporal Vinson.

À neuf heures du soir, le ministre public, ayant abandonné l’accusation, après une courte délibération sur le siège, le premier Conseil de Guerre rendait son jugement. Jugement qui s’achevait par l’acquittement de Fandor.

Fandor était libre.

Un peu étourdi, le jeune homme, que pressait de questions une foule hétéroclite et bizarre de civils et de militaires qui l’empêchait de sortir de la salle d’audience, ne savait trop que répondre aux uns et aux autres.

Machinalement, il serrait les mains cordiales qui se tendaient vers lui. Il avait souri à la recommandation du lieutenant Servin, qui venait de lui murmurer à l’oreille, non sans une pointe d’ironie: