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— Et il est inviolable?

— Naturellement. Conformément aux conventions internationales, tout représentant accrédité est inviolable… quel que soit l’endroit où il se trouve. À plus forte raison dans l’immeuble de l’ambassade… mais tout n’est pas fini… excuse-moi, j’ai à faire!

Brusquement, le policier quitta Fandor, se faufila au milieu des innombrables habits noirs et des femmes décolletées.

Juve s’approcha d’un invité isolé dans l’assistance. C’était un homme fort distingué, jeune encore, de trente-cinq ans environ, il portait une moustache blonde soigneusement frisée, avec les pointes retroussées à l’allemande. Juve s’inclina devant lui, murmurait avec une profonde déférence:

— Ah! merci d’être venu, merci, Majesté!..

— Je suis ici, monsieur, le prince Louis de Kalbach, respectez mon incognito et faites vite, je vous prie. Ma présence à Paris est ignorée de tous, je désire qu’il en soit ainsi, j’ai comme vous savez l’heureuse chance de n’être point connu de mon… de cet… individu…

Juve allait répondre mais quelqu’un le tirait par le bras. Le policier se retourna.

Il vit le lieutenant de Loubersac qui, le visage radieux:

— Ah! monsieur Juve, que je suis heureux de vous rencontrer!.. mais j’allais oublier!.. précisément M. Lépine vous cherchait tout à l’heure…

— Parfait, mon lieutenant, répliqua l’inspecteur de la Sûreté, je vais le voir à l’instant, mais j’en profite pour vous féliciter…

Le policier rejoignit le populaire préfet de police qui se tenait à l’écart, sur la galerie dominant le hall.

M. Lépine, en dépit du sourire aimable qu’il affectait, était soucieux.

— Juve, interrogea-t-il, êtes-vous de service ici?…

— Oui et non, monsieur le préfet…

M. Lépine ouvrit de grands yeux.

Mais Wilhelmine de Naarboveck surgit soudain: Rayonnante de beauté, de bonheur, elle aperçut le policier et, l’attirant dans le salon:

— Monsieur, fit-elle, en bonne maîtresse de maison je m’aperçois que vous ne dansez pas, voulez-vous me permettre de vous présenter à quelques charmantes jeunes filles?

— Sapristi, pensa Juve, ça n’est ni le moment… ni de mon âge…

Cependant, le préfet se tiraillait la barbiche, signe précurseur d’une certaine nervosité. Il attira de nouveau le policier dans un coin écarté et sans préambule, demanda:

— Juve, à quoi pense donc la Sûreté?

— Je l’ignore, monsieur le préfet…

— Comment! poursuivit celui-ci; il y a dans ces salons un visiteur qui ne m’a pas été signalé et cependant… Ignorez-vous donc, vous aussi, Juve, que le baron de Naarboveck reçoit ce soir un roi?…

— Ça, déclara Juve, je le sais…, Frederick-Christian II…

— Vous le savez, vous le savez, grommela-t-il, et l’administration l’ignore… enfin! Mais puisque vous savez tant de choses, que vient-il faire ici, ce roi?…

— Il vient me voir! déclara Juve…

— Juve, vous êtes fou…

— Non, monsieur le préfet, voyez plutôt…

Le policier rompant soudain l’entretien s’écarta de M. Lépine, s’approcha du souverain et lui dit quelques mots à voix basse…

Or, le préfet de police vit, non sans un indescriptible étonnement, le roi écouter attentivement les propos du policier, puis hocher la tête, sortir du salon et gagner la galerie sur laquelle s’ouvraient différentes pièces dont la deuxième, la plus éloignée, était la bibliothèque.

Mais Juve qui avait discrètement regardé l’heure à sa montre, eut un tressaillement. Le policier se composa un visage sévère et avec l’allure d’un homme qui prend une décision irrévocable, chercha des yeux le baron de Naarboveck. Lorsqu’il l’eut découvert, il alla à lui et proposa:

— Monsieur de Naarboveck, voulez-vous que nous causions un instant? non pas ici…

— Dans ma bibliothèque? proposa de Naarboveck. Vous y tenez, monsieur?

— Immensément! dit Juve.

— Et, poursuivit de Naarboveck, que prétendez-vous dire ou faire au cours de cet entretien?

— Démasquer Fantômas et l’arrêter ensuite.

— Comme il vous plaira.

* * *

Dans la bibliothèque, encombrée d’un excès de meubles n’appartenant pas à cette pièce et qu’on avait relégués là pour débarrasser les salons à l’occasion du bal, Juve et le baron de Naarboveck engagèrent un duel oratoire des plus émouvants.

Ils étaient seuls, bien seuls, et Juve, qui avait fait passer devant lui le baron, savait que cette pièce n’avait qu’une seule issue. Si jamais de Naarboveck voulait employer la force ou la ruse pour en sortir, il lui faudrait d’abord éloigner Juve de la porte devant laquelle il se trouvait.

Certes, il y avait bien, à l’autre extrémité de la bibliothèque, la fenêtre donnant sur l’Esplanade des Invalides, mais cette fenêtre était dissimulée par les rideaux que l’on avait fermés, et Juve ne craignait pas de voir son adversaire s’échapper par là: il savait — il était le seul à le savoir — qu’entre cette fenêtre et ces rideaux, se trouvait quelque chose… quelqu’un…

— Vous souvient-il, monsieur de Naarboveck, de cette soirée au cours de laquelle la police vint ici chez vous, pour procéder à l’arrestation de Vagualame?

— Oui, répliqua de Naarboveck… et c’est vous, monsieur Juve, qui vous êtes fait prendre sous ce déguisement…

— En effet… Est-ce que vous vous souvenez, monsieur de Naarboveck, d’une certaine conversation qui eut lieu entre le policier Juve et le vrai Vagualame au domicile de Jérôme Fandor?

— Non, déclara le baron, pour cette bonne raison que la conversation était un dialogue entre deux personnes: Juve et Vagualame.

— Pourtant ce Vagualame n’était autre que Fantômas.

— Eh bien?

Juve, après un silence d’une seconde, brûla ses vaisseaux:

— Naarboveck, s’écria-t-il, inutile de ruser plus longtemps: Vagualame, c’est Fantômas, Vagualame c’est vous, Fantômas, c’est vous! Nous le savons, nous vous avons identifié et demain matin l’anthropométrie prouvera, aux yeux de tous, ce qui est aujourd’hui une conviction, une certitude pour certains seulement. Depuis longtemps, vous vous voyez poursuivi, traqué, vous avez remarqué que le cercle fermé autour de vous se resserrait chaque jour et, jouant votre dernier atout, tentant l’impossible même, vous avez médité cette abominable comédie qui consistait à duper un souverain et à vous faire nommer son ambassadeur, afin de bénéficier pour un temps plus ou moins long de l’inviolabilité diplomatique… ah! évidemment, ça n’est pas mal trouvé…

— N’est-ce pas?…

— Vous avouez donc?…

— Et quand ça serait?… déclara le mystérieux personnage. Puisque vous avez découvert la vérité… sans doute, monsieur Juve, avez-vous l’intention de me dénoncer, de prouver que le baron de Naarboveck n’est autre que Fantômas? Ah! je reconnais votre adresse, j’avoue même qu’il se peut fort bien que vous obteniez l’autorisation de m’arrêter d’ici quelques jours.

— Non! pas dans quelques jours, interrompit Juve, brusquement, mais immédiatement.

— Pardon, les lettres de créance que je possède sont authentiques et nul au monde ne peut me relever de mes fonctions…

— Si! fit Juve…

— Qui?

— Le roi, dit Juve.

De Naarboveck hocha la tête malicieusement:

— Frederick-Christian, en effet, seul peut m’enlever ma qualité d’ambassadeur, mais… qu’il vienne donc…

Juve, à ce moment, s’arrêta de parler. Il leva le doigt lentement vers le fond de la bibliothèque, vers la fenêtre.

Et de Naarboveck qui suivait machinalement ce mouvement ne put retenir un cri de stupéfaction, un cri d’angoisse!