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Le rideau dissimulant la fenêtre venait en effet de s’écarter et lentement, aux yeux du misérable, apparaissait la silhouette majestueuse et digne, du roi de Hesse-Weimar, Frederick-Christian II.

Le souverain était blême et l’on sentait qu’une colère sourde bouillonnait dans son cœur.

Le policier s’était rapproché de lui et Frederick-Christian sortant de sa poche une large enveloppe, la tendit à Juve:

— Je suis victime, déclara-t-il, de l’imposture de ce monstre, mais je sais reconnaître mes erreurs et aussi les réparer, monsieur Juve: voici le décret que vous m’avez demandé annulant la nomination du baron de Naarboveck!

Fantômas, au cours de cette brève scène, s’était peu à peu reculé dans un angle de la pièce, le visage contracté.

Mais, aux derniers mots du roi, Fantômas se redressa. Lui aussi tira de sa poche un document et avec un sourire féroce, il le tenait au souverain:

— Sire, déclara-t-il, à mon tour de vous donner ceci… C’est le plan volé chez le capitaine Brocq… le plan de mobilisation de toute l’armée française, que votre État-Major…

— Assez, monsieur! hurla le roi qui, dans un geste d’indignation, jeta à terre le papier que lui présentait Fantômas.

Cependant, Juve, sans le moindre souci des attitudes protocolaires, ramassait avec empressement le document.

Le roi qui l’avait vu faire poursuivait, en hâte, comme pour s’excuser et prévenir le soupçon que l’on aurait pu formuler à son égard:

— Ce plan, Juve, déclara-t-il, appartient à votre pays, jamais nous n’avons voulu…

Un instant les deux hommes quittèrent des yeux Fantômas, et cet instant suffit au bandit pour soudain se dissimuler… disparaître…

Juve, loin de perdre la tête, appela:

— Michel!

L’inspecteur de la Sûreté, posté dans la galerie toute voisine, entra aussitôt.

Derrière lui parurent quelques messieurs en habit noir, qui n’étaient autre que des agents de la Préfecture.

En deux mots, Juve renseigna Micheclass="underline"

— Fantômas est là… dissimulé… mais non pas évadé… Ces murs peut-être recèlent une cachette… mais point un passage, une issue…

«Enlevons tous ces meubles, qui constituent une véritable barricade et fortifient le monstre dans sa retraite.»

Quelques minutes s’écoulaient, angoissantes, silencieuses. Juve avait obtenu, exigé que le roi quittât la pièce dont le policier, assisté de Michel, défendait soigneusement l’entrée.

Des domestiques arrivèrent, laquais aux faces glabres, qui disposèrent sur la cheminée quelques vases de fleurs qui, ailleurs encombraient sans doute. Puis ils se retirèrent sans se douter du drame qui se déroulait, sans soupçonner un instant que derrière l’amoncellement insolite de meubles qui se trouvaient dans la bibliothèque, se cachait leur maître, le baron de Naarboveck, et que ce maître n’était autre que Fantômas, désormais acculé par la police, mais sans doute aussi prêt à vendre chèrement sa vie…

Ils eurent un semblant d’hésitation, puis Juve commanda:

— En avant!

Aidé de six hommes, le policier et l’inspecteur Michel commencèrent le bouleversement définitif de la bibliothèque, remuant les meubles un par un, regardant sous les canapés, écartant les rideaux, les tentures.

Rien… Pas de Fantômas!

— Par exemple! murmura Juve.

Cependant, Juve était également sûr de lui: la bibliothèque ne comportait pas de trappes ni de porte secrète, le plancher ne s’ouvrait pas, le plafond n’était pas mobile.

Juve prit une décision soudaine:

— Tirez-moi tous ces meubles dans la galerie, ordonna-t-il, nous allons bien voir… Fantômas n’est ni invisible, ni impondérable…, il ne peut être sorti d’ici, il faut donc qu’il y soit.

Non sans peine, car il fallait agir en hâte et sans bruit, les agents déménagèrent par l’étroite porte de la bibliothèque les gros meubles qui s’y trouvaient, les menus objets également.

On avait enlevé un confortable fauteuil de cuir, quatre chaises, un guéridon, deux étagères, et la pièce se démeublait de plus en plus, lorsque, soudain, Wilhelmine apparut à l’entrée.

Pendant ces tragiques événements, le bal continuait et la fête était plus animée que jamais. De temps à autre les trois personnages qui s’étaient trouvés réunis dans cette bibliothèque avaient perçu les refrains entraînants des valses des tziganes et le joyeux murmure des conversations animées.

À la vue du désordre organisé par Juve, la jeune fille demeura interdite, stupéfaite.

Le policier, nerveux à l’extrême, parut interloqué, aussi, par cette apparition soudaine, mais il sembla défaillir au premier mot que lui adressait la jeune fille:

— Monsieur Juve, dit en effet celle-ci, sur un ton fort naturel, je suis bien contente de vous trouver. Le baron de Naarboveck m’envoie à vous…

Juve bondit:

— Qui cela, mademoiselle?

— Le baron de Naarboveck, répéta la jeune fille, étonnée par l’attitude de Juve.

— Le baron de Naarboveck me demande? insista celui-ci. Où?… Depuis quand?…

Très simplement Wilhelmine expliqua:

— Je le quitte à la seconde, à l’entrée du salon: il sortait d’ici… Mais pourquoi mettez-vous tous ces meubles dans la galerie?… Il m’a dit: «Wilhelmine, je suis un peu fatigué et je remonte un instant dans ma chambre, mais va donc dire à M. Juve…»

Wilhelmine s’interrompit, car Juve s’était ressaisi, et, sans se préoccuper de Wilhelmine, il se précipitait dans la galerie encombrée des meubles retirés de la pièce.

Et soudain le policier s’arrêta, figé de stupeur.

Il venait de se heurter à un grand fauteuil, qu’il n’avait pas remarqué jusqu’alors, bien que cependant ce meuble figurât dans l’installation de la bibliothèque. Mais désormais son allure insolite devait retenir l’attention du policier.

Atterré, Juve le considérait:

C’était un siège extraordinaire et merveilleusement aménagé. Les accoudoirs et le dossier, ainsi d’ailleurs que le fond, s’ouvraient par le milieu et à l’intérieur du fauteuil étaient ménagés des vides, prévus évidemment pour que quelqu’un puisse s’y dissimuler. C’était, en réalité, un fauteuil double, un fauteuil à double fond, une merveilleuse cachette, un fauteuil dans lequel on était invisible, et qui, une fois refermé sur vous, paraissait vide, inoccupé.

Juve, désormais, comprenait ce qui venait de se passer.

Oh! la chose était fort simple!

Fantômas, au moment d’être pris, profitant d’une seconde d’inattention, avec une agilité surprenante s’était introduit dans son fauteuil secret… et ce qu’il avait prévu était arrivé.

Juve, pour appréhender le bandit, avait fait fouiller la pièce, puis ordonner de la vider. Dès lors, du fauteuil abandonné dans la galerie, Fantômas était sorti le plus tranquillement du monde.

Même il avait poussé l’ironie, au moment où il quittait — pour toujours — son magnifique hôtel de la rue Fabert, jusqu’à envoyer Wilhelmine prévenir Juve de son évasion…

Juve comprit tout cela, et c’était un coup affreux qui le frappait au cœur. Il demeura anéanti.

— Qu’avez-vous donc, mon cher Juve? interrogea doucement une voix.

Fandor qui venait de voir le diplomate qu’il savait être Fantômas — et Fantômas sur le point d’être arrêté — traverser rapidement le bal et disparaître dans la foule des danseurs.

Le policier ne répondit pas tout de suite. De grosses larmes roulaient sur ses joues creusées par la fatigue et le souci. Lentement il articula:

— Fantômas… Je le tenais… Et c’est moi qui ai fait sortir de la bibliothèque ce maudit fauteuil… c’est grâce à moi…