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Jérôme Fandor salua la jolie apparition.

4 — CHEZ LES NAARBOVECK

— Asseyez-vous donc, monsieur.

— C’est sa fille, pensa Fandor, je suis fichu, le diplomate ne va pas me recevoir. Je le regrette dans un sens, mais de l’autre, cette délicieuse personne…

— Vous avez demandé, monsieur, commençait la jeune femme, à voir M. de Naarboveck. C’est, sans doute au sujet d’une interview. M. de Naarboveck a pour principe de ne jamais faire parler de lui dans les journaux, aussi ne serez-vous pas étonné…

Fandor se disait:

— J’en ai pour cinq minutes au moins à entendre cette gentille personne m’assurer que son père ne veut pas parler. Après quoi, il viendra lui-même, et me racontera tout ce que j’aurai besoin de savoir…

Fandor suivit donc d’une attention distraite le discours de la jeune personne. À un moment, il plaça:

— Monsieur votre père…

Mais son interlocutrice sourit, l’arrêta net:

— Pardon, monsieur, dit-elle, vous faites erreur: je ne suis pas Mlle Wilhelmine de Naarboveck, comme vous le supposez, mais bien plus modestement sa dame de compagnie. On m’appelle Mlle Berthe…

— Bobinette! s’écria Fandor, presque malgré lui…

Il regrettait aussitôt cette interjection évidemment familière. La jeune femme ne s’en formalisa pas:

— On m’appelle en effet ainsi, monsieur… les intimes du moins, ajouta-t-elle avec une pointe malicieuse.

Fandor trouvait des phrases enjouées et correctes pour s’excuser:

Il fallait à toute force se faire séduisant, aimable; M. Dupont (de l’Aube) n’avait-il pas raconté à Fandor que la dernière venue chez le capitaine avant son étrange accident était précisément Mlle Berthe, dite Bobinette? Pourquoi? Comment? À découvrir.

Aux amabilités du journaliste, la jeune femme avait répondu en protestant qu’elle n’était nullement froissée de cette appellation familière:

— Hélas, monsieur, j’ai bien trop peur que mon nom, mon petit nom pour les amis, ne devienne vite connu du public. Car je suppose que si vous venez voir M. de Naarboveck c’est pour lui demander des renseignements sur cette malheureuse affaire. Le baron de Naarboveck, monsieur, ne vous dira rien que vous ne sachiez évidemment déjà, sauf, — ce qui n’est là un secret pour personne, — que le capitaine Brocq fréquentait ici d’une façon assez régulière. À maintes reprises il est venu dîner chez M. le baron et s’est occupé de divers travaux avec lui… Plusieurs de ses amis, des officiers, sont d’ailleurs également reçus ici: M. de Naarboveck aime beaucoup le monde…

— Et puis, interrompit Fandor, il a une fille, n’est-ce pas, mademoiselle?…

— Mlle Wilhelmine, en effet.

— Mademoiselle, interrogea Fandor, on a rapporté qu’hier après-midi, vous avez eu l’occasion de vous rencontrer avec le capitaine Brocq avant sa fin…?

La jeune femme regarda fixement le journaliste, comme pour lire sa pensée, comme pour deviner s’il savait qu’elle avait, non seulement rencontré le capitaine Brocq, mais passé avec lui, en tête à tête, une bonne heure. Fandor le savait mais il demeura impénétrable.

— J’ai eu l’occasion, en effet, hier, de passer chez le capitaine Brocq pour lui faire une communication.

— Vous allez me trouver bien indiscret, poursuivit Fandor, qui affectait de ne pas regarder la jeune femme, afin qu’elle fût plus à son aise, mais en réalité ne perdait pas un seul des jeux de sa physionomie, car il voyait son visage se refléter dans une glace, vous allez me trouver bien indiscret, mais pourriez-vous me dire quelle était la nature de… cette communication?

— Oh, parfaitement, monsieur. Le baron de Naarboveck donne prochainement une fête à laquelle devait assister le capitaine. Comme il était très artiste nous comptions lui demander de faire quelques menus à l’aquarelle. J’allais chez lui de la part de Mlle Wilhelmine…

La conversation s’arrêta court.

Fandor s’était soudain retourné; derrière lui, depuis quelques instants déjà, sans doute, se tenait quelqu’un qu’il n’avait pas entendu entrer.

C’était un homme à moustache toute blanche, portant les favoris et l’impériale, à la mode de 1850.

Fandor avait reconnu le baron de Naarboveck, il allait s’excuser de n’avoir point remarqué son arrivée, mais le baron, très cordialement, sourit au journaliste et avec une bonhomie affectée:

— Pardonnez-moi, monsieur Fandor, de n’avoir pu vous recevoir moi-même, mais j’avais un invité. Au surplus, Mlle Berthe a dû vous dire quelles étaient mes théories sur l’interview…

Fandor esquissa un geste.

— Oh! elles sont catégoriques, mais cela ne doit pas vous empêcher, monsieur Fandor, de prendre une tasse de café avec nous… j’ai la plus grande estime pour votre directeur, M. Dupont (de l’Aube), et la façon dont il vous recommande fait que j’aurais scrupule à ne pas vous considérer comme un des nôtres, comme un ami.

M. de Naarboveck, familièrement, avait posé sa main sur l’épaule du jeune homme que confondait tant de bonne grâce; il le fit passer dans la pièce voisine.

C’était une bibliothèque, très haute de plafond. La pièce sobrement meublée était élégante, soignée. Devant une grande cheminée de bois, deux jeunes gens se tenaient debout, causant familièrement.

Ils s’arrêtèrent à l’entrée du journaliste que présenta le baron de Naarboveck, tandis que venait derrière eux Mlle Berthe.

Jérôme Fandor s’inclinait devant les personnes qu’il ne connaissait pas encore:

— Monsieur Jérôme Fandor, avait dit Naarboveck.

Puis il nommait:

— Mademoiselle de Naarboveck, ma fille… Monsieur de Loubersac, lieutenant de cuirassiers…

Un silence plana après ces présentations aux allures solennelles.

— Sans cet animal de Brocq et la marotte de Dupont (de l’Aube), se disait Fandor, je serais actuellement en train de m’endormir dans mon sleeping et de rouler vers Dijon!..

Mlle de Naarboveck, avec l’aisance d’une maîtresse de maison, offrait au journaliste une tasse de café brûlant, Mlle Berthe lui proposait du sucre.

Fandor remercia, encombré par sa tasse, obligé de répondre en même temps aux deux femmes et à M. de Naarboveck, qui, comme s’il s’en souvenait tout d’un coup, lui disait:

— Mais, monsieur Jérôme Fandor, vous portez un nom qui évoque bien des choses! N’est-ce donc pas vous, ce fameux journaliste que l’on trouvait sans cesse, il y a quelques mois, à la poursuite d’un mystérieux bandit appelé Fantômas?

Entendre parler de Fantômas dans ce milieu si simple, si naturel, si bourgeois, où étaient réunis des gens dont la vie au grand jour ne devait être affectée par aucune complication, troublée par nul mystère! Évidemment, Fantômas, le criminel, les aventures, la police et le reportage, cela devait être pour eux de l’imaginaire, du roman, de l’hébreu!

Cependant, aux dernières paroles de M. de Naarboveck, Mlle Berthe s’était rapprochée du journaliste et le considérait avec curiosité:

— J’ai lu, en effet, monsieur, fit-elle, beaucoup de choses sur les étranges affaires dont M. de Naarboveck vient d’évoquer le souvenir.

«Mais, dites-moi, monsieur, voulez-vous me permettre de vous poser une question? peut-être sera-ce mon tour d’être indiscrète…, mais vous l’étiez bien tout à l’heure?»

— C’est un engagement formel de vous répondre que vous exigez de moi, mademoiselle?

Bobinette hocha la tête d’un air gamin et, tout en sollicitant d’un coup d’oeil lancé à M. de Naarboveck une approbation que celui-ci consentit d’un léger hochement de tête. Tout naïvement, elle demanda à Fandor: