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— Votre Majesté n’oubliera pas qu’avec son nom, une ligne de son écriture, Elle peut aplanir toutes les difficultés…

C’était, avec d’autres termes, la même phrase que Juve s’obstinait à répondre !

Le roi qu’il entretenait, qu’il sollicitait ainsi avec une passion étrange, se rendait compte de l’entêtement du policier :

— Ah çà ! Juve, dit-il, avez-vous seulement pesé la valeur du décret que vous me demandez ? Savez-vous que, s’il est immérité, ce document fera la honte de mon pays ?

— Sire, je sais que je ne demande rien à Votre Majesté qu’Elle ne puisse m’accorder, qu’Elle ne doive m’accorder… Sire, j’ai jusqu’ici sollicité, que Votre Majesté m’excuse, ce n’est plus le solliciteur qu’Elle a maintenant devant Elle… Votre Majesté me comprend sans doute ? C’est Juve qui demande à Votre Majesté sa signature…

— Je vous comprends, Juve. Jadis, lors de mon voyage officiel à Paris, vous m’avez sauvé la vie, vous avez sauvé la vie à la reine… au péril de votre propre existence, et je vous ai dit, alors, que je n’aurais rien à vous refuser, que je ne vous refuserais rien, jamais… c’est à cela que vous faites allusion ?…

— Sire, je réponds à Votre Majesté que je n’invoquerai point la dette qu’il lui plaisait de reconnaître… Votre Majesté me force à lui rappeler sa parole…

Le roi, qui maintenant se promenait de long en large dans son cabinet de travail, se laissa tomber dans un fauteuil :

— Si je vous donnais ce décret, Juve, demandait-il, vous iriez aujourd’hui même, sitôt rentré en France, sitôt revenu à Paris, le porter à la Chancellerie ?

— Oui, Sire…

— Vous êtes franc, Juve ! vous n’attendriez pas d’avoir d’autres preuves de ce que vous avancez ?

— Non, Sire.

— Il faut donc, Juve, que je m’en rapporte entièrement à votre parole, à votre certitude, à votre conviction ?

— Oui, Sire…

— Juve ! Juve ! si vous l’exigez, au nom de la promesse que je vous fis jadis, je vous signerai ce décret, mais vous perdrez mon amitié, vous aurez surpris ma bonne foi… Décidez. Vous êtes le maître, Juve. Exigez ce décret, je vous le donne !

— Votre Majesté ne pense point ce qu’Elle dit, répondait Juve. Votre Majesté ne voudra point m’acculer à ce dilemme : perdre son amitié, perdre sa confiance, ou laisser échapper l’unique occasion…

— Si, Juve ! je veux vous acculer…

— Alors, Sire, je n’exige pas. Mais c’est ma vie que Votre Majesté brise, Sire, car mon honneur à moi veut que j’en finisse, coûte que coûte. Avec l’appui de Votre Majesté, c’est possible. Livré à mes ressources, tout est perdu !…

— Juve, vous êtes cruel. Ah ! j’aurais presque mieux aimé que vous exigiez ce décret !… Mais, pour Dieu, tout n’est pas fini. Attendez, je vais ordonner une enquête ! Dans quinze jours…

— Dans quinze jours, Votre Majesté sait bien qu’il sera trop tard…

— Juve, pouvez-vous me mettre en face de cet homme ? Pouvez-vous le convaincre d’imposture devant moi ?

— Que veut dire Votre Majesté ?

— Je veux dire, Juve, que, quel que soit le scandale, quelle que soit l’humiliation qui peut en résulter pour moi, je vous donnerais séance tenante le décret que vous me réclamez si j’étais assuré que vous ne faites point erreur… Vous m’apportez des présomptions, vous ne me fournissez point de preuves… Obtenez que cet homme jette, fût-ce une seconde, le masque, et je laisserai votre justice suivre son cours, Juve, oubliez que vous parlez à un roi. Imaginez que je suis votre ami. Pouvez-vous, quels que soient les risques à courir, nous mettre face à face dans de telles conditions que la vérité réapparaisse ?…

Juve soudain baissait la tête, réfléchissait :

— Je vais demander à Votre Majesté, fit-il lentement, une démarche extraordinaire… je vais lui demander de risquer sa vie peut-être, je vais demander à Votre Majesté…

L’émotion de Juve était telle que, obligé de s’asseoir, en dépit de toutes les conventions protocolaires, c’était à voix basse qu’il poursuivit :

— Je vais demander à Votre Majesté de m’accompagner dans trois jours, lorsque…

35 – AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

— Le Conseil, messieurs, debout !

— Armes sur l’épaule…

— Reposez… armes !

Cependant, un par un, pénétrant dans la salle par le fond et venant au bureau du tribunal, constitué par une longue table recouverte d’un simple tapis vert, les juges militaires du 1er Conseil de Guerre s’avançaient solennellement. L’un derrière l’autre, ils s’installèrent à leurs places respectives.

Ces officiers, au nombre de sept, étaient en grand uniforme, sabre au côté, épaulettes aux épaules et plumets réglementaires aux casques ou aux képis.

L’audience s’ouvrait à une heure de l’après-midi. Si elle avait attiré tant de monde, c’est que le Conseil allait juger le cas extraordinaire de Jérôme Fandor.

Le Conseil était présidé par un colonel de dragons au visage distingué, énergique. Ses cheveux blonds en brosse étaient légèrement argentés sur les tempes.

Il avait pour assesseurs deux commandants : l’un appartenant à l’infanterie, l’autre à l’artillerie. Un capitaine d’infanterie de marine comptait également au nombre des juges. Enfin siégeaient encore à ce tribunal deux lieutenants, l’un de hussards, l’autre du génie. Et tout au bout enfin de la table, ayant à peine la place de s’asseoir, et comme s’il avait été admis là en supplément, se remarquait un gros adjudant du train des équipages.

À droite du tribunal avaient pris place, devant un bureau surchargé de volumineux dossiers, les officiers qui allaient remplir le rôle de ministère public : c’étaient le commandant Dumoulin, plus congestionné que jamais, tout à côté duquel se tenait le lieutenant Servin. Près du lieutenant se trouvait un vieillard aux cheveux blancs, officier d’administration d’un grade indéfinissable et qui remplissait les fonctions de greffier.

Les commissaires du gouvernement étaient adossés aux fenêtres qui donnaient sur le vaste jardin, cependant qu’en face d’eux se trouvait le banc des prévenus, gardé par deux soldats, baïonnette au canon. Derrière ce banc était encore la table, représentant la barre, où viendrait s’appuyer le défenseur au moment de la plaidoirie.

Derrière la ligne de fantassins qui coupait en deux la salle, se trouvaient des banquettes étroites et des pupitres plus étroits encore, où les représentants de la presse judiciaire s’étaient entassés tant bien que mal.

Puis après les journalistes, les bousculant sans cesse, s’appuyant jusque sur leurs épaules, s’amassait la foule des curieux.

Sitôt l’intérêt provoqué par l’apparition des membres du Conseil un peu calmé, l’attention de la foule se portait sur le héros de cette sensationnelle aventure, sur l’homme qui avait nécessité un tel déploiement de forces, provoqué une telle affluence et dont les faits et gestes depuis quelques jours préoccupaient tout le monde…

Jérôme Fandor, affectant une attitude modeste et réservée, légèrement tourmentée aussi, paraissait indifférent à l’interrogatoire muet de ces centaines d’yeux qui se braquaient sur lui.

Le journaliste portait l’uniforme du caporal Vinson, encore qu’il eût sollicité de revêtir une tenue civile.

Le commissaire du gouvernement déclarait en effet qu’avant toute chose il importait de démontrer légalement que l’individu qui comparaissait devant le Conseil de Guerre était ou n’était pas le caporal Vinson.

Cela tranché, on aurait à examiner le rôle joué par l’accusé dans les mystérieuses affaires d’assassinats et d’espionnage qui, depuis quelques semaines, bouleversaient la France entière.