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— L’audience est suspendue ! cria le colonel.

***

Il était neuf heures du soir, et la foule aussi nombreuse, aussi compacte dans la salle d’audience qu’à deux heures de l’après-midi, attendait.

Depuis la tentative de suicide de Bobinette, – la jeune femme n’était pas morte sur le coup et on l’avait emportée à l’infirmerie avec l’espoir, le très vague espoir de la ranimer, – l’audience avait été reprise et les magistrats dès lors siégeaient à huis clos. Mais les révélations de la coupable, non seulement avaient jeté le désarroi dans le réquisitoire que le commandant Dumoulin se proposait de prononcer, mais encore elles avaient fait la lumière dans l’esprit des juges et convaincu ceux-ci de l’innocence du journaliste qui, une dernière fois encore, avait expliqué pourquoi il s’était dissimulé sous l’uniforme du caporal Vinson.

À neuf heures du soir, le ministre public, ayant abandonné l’accusation, après une courte délibération sur le siège, le premier Conseil de Guerre rendait son jugement. Jugement qui s’achevait par l’acquittement de Fandor.

Fandor était libre.

Un peu étourdi, le jeune homme, que pressait de questions une foule hétéroclite et bizarre de civils et de militaires qui l’empêchait de sortir de la salle d’audience, ne savait trop que répondre aux uns et aux autres.

Machinalement, il serrait les mains cordiales qui se tendaient vers lui. Il avait souri à la recommandation du lieutenant Servin, qui venait de lui murmurer à l’oreille, non sans une pointe d’ironie :

— Le jugement ne fait pas mention, monsieur, des vêtements que vous portez, mais il semble établi qu’ils ne vous appartiennent pas. Restituez-les le plus tôt possible à l’autorité…, sans quoi, nous serions obligés de vous assigner à nouveau pour détournement d’effets militaires.

Toutefois, peu à peu, la foule s’écoulait et Fandor, demeuré avec quelques confrères de la presse, pouvait les entretenir un peu plus longuement de ses émotions et de ses peines.

Mais soudain Juve arriva.

Fendant la foule des gens qui entouraient Fandor, Juve s’approcha du journaliste, l’embrassa sur les deux joues, puis, après cette effusion de sympathie, il lui murmurait précipitamment à l’oreille :

— Maintenant, mon vieux Fandor, ce n’est pas le moment de nous attarder. Partons vite. Je te conduis chez toi, pour que tu changes de vêtements, car ce soir… nous avons à faire…

— Ce soir ?

36 – AMBASSADEURS !… ?

— Filons, Fandor, nous allons arriver en retard…

Jérôme Fandor passait son pardessus et, dégringolant l’escalier à la suite de Juve, qui lui-même descendait deux marches par deux marches, cria au policier :

— Voilà où je vous attendais, Juve, depuis un quart d’heure. Il va bien falloir que vous donniez une adresse à notre cocher ? Cette adresse m’apprendra enfin où vous me menez, pourquoi vous m’avez fait mettre en habit. Pourquoi vous-même vous vous êtes mis en queue de morue…, chose que, de mémoire d’homme, je ne vous ai jamais vu faire…

— Au fait ! c’est vrai ! dit Juve, je m’amuse à t’intriguer, c’est probablement stupide… Fandor, nous allons au bal…

— Au bal ?

— Parfaitement ! et j’imagine que nous y ferons danser quelqu’un… de la belle façon !

— Qui donc ?

— Le maître de la maison !

— Juve, vous parlez par énigmes…

— Non… sais-tu chez qui nous allons ?

— Je ne vous demande que cela, Juve…

— Nous allons chez Fantômas !… pour l’arrêter.

— Mais, bon Dieu, Juve, que voulez-vous dire ?… Vous m’avez affirmé l’autre jour qu’il vous était impossible d’arrêter Naarboveck, n’était-ce pas là la vérité ?

— Si.

— Et ça ne l’est plus ?

— Ça l’est encore !

— Ah ça ! ne jouons pas sur les mots. C’est trop grave, Juve. Nous savons que Naarboveck est Fantômas, mais vous m’avez juré qu’il était impossible d’arrêter Naarboveck, vous me l’affirmez encore et pourtant vous m’annoncez que nous allons arrêter Fantômas… Que voulez-vous dire ?

Pour toute réponse, Juve tira sa montre et, le doigt sur le cadran :

— Tiens, regarde, Fandor, il est exactement dix heures et demie, n’est-ce pas ? nous allons être chez Naarboveck à onze heures moins le quart. Il me sera impossible de l’appréhender – tu le comprendras, cela, à onze heures vingt environ… – mais tu verras qu’à minuit moins le quart, minuit peut-être au plus tard, il me sera fort aisé de mettre la main au collet de Fantômas… et je ne m’en ferai pas faute !

— Juve, vous êtes assommant avec vos mystères…

— Mon cher Fandor, répondait Juve, pardonne-moi de n’être pas plus explicite… Je t’ai dit que Naarboveck était au-dessus d’une arrestation, je t’ai dit que nous allions arrêter Fantômas, tout cela est subordonné à une volonté qui doit lever ce soir un dernier obstacle qui m’empêche de procéder à la capture du bandit…

— La volonté de qui, mon Dieu ?

— La volonté d’un roi !… mais chut !…

— Bien, Juve, je m’en rapporte à vous… quoi qu’il arrive, j’aurai soin d’être continuellement à vos côtés… si vous avez besoin de moi…

— Merci, Fandor !…

« Tu sais, ajouta Juve, qu’une fois encore nous risquons notre peau ?… Je suis sûr de la victoire finale, sauf si la balle stupide d’un revolver…

— Ça va bien ! Juve, vous voulez me faire peur.

La voiture tournait à l’extrémité du pont Alexandre.

***

L’hôtel du baron de Naarboveck était brillamment illuminé.

Le bal battait son plein dans les salons du premier étage.

Un orchestre de tziganes dissimulé derrière un massif de plantes vertes dans un angle de la principale pièce exécutait ses valses les plus entraînantes, et joyeusement la foule tourbillonnait, foule nombreuse, élégante, composée de tout ce qui compte à Paris.

Mme Paradel, la délicieuse femme du Ministre des Affaires Étrangères, s’entretenait cordialement avec le maître de maison. Considérant Wilhelmine, qui passait affairée devant elle, sans toutefois omettre de la saluer d’un gracieux signe de tête, elle murmura :

— Charmante jeune fille !

Puis, se tournant vers de Naarboveck et affectant une mine inquiète :

— Mais vous devez être désolé, mon cher baron ! N’ai-je pas entendu dire que vos jeunes mariés allaient partir pour le centre de l’Afrique ?…

— Oh ! riposta en riant le diplomate, on a beaucoup exagéré, madame. Mon futur gendre, Henri de Loubersac, quitte en effet l’État-Major, mais c’est avec le grade de capitaine, et ses chefs l’envoient, non pas, comme vous le croyez, au milieu des nègres, mais tout simplement à Alger… excellente garnison…

— J’aime à croire, reprit la ministresse, que vous irez bientôt leur rendre visite.

Le baron s’inclina comme son interlocutrice s’écartait de lui, il en profita pour se diriger vers l’entrée des salons.

Deux visiteurs dont la silhouette n’avait pas échappé aux regards perspicaces du maître de maison s’avançaient lentement vers lui.

Naarboveck réprima un tressaillement et, interrogea les nouveaux venus :

— Vous êtes, messieurs, de mes invités ?…

— Cela va sans dire, répliqua l’un des arrivants… Vous pouvez être assuré, baron, que mon ami Fandor et moi-même, nous ne nous serions pas permis…

— Mais je sais, je sais, monsieur Juve, dit le baron. D’ailleurs, je vous attendais…

— Nous nous en serions voulu aussi de ne point venir vous apporter dès ce soir les félicitations auxquelles vous avez droit !

— Vraiment, s’écria de Naarboveck, vous parlez du mariage de Wilhelmine ?