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Et Beautrelet, soudain, ferma les yeux et serra convulsivement contre son front ses bras repliés. Là-bas – oh ! il pensa en mourir de joie, tellement l’émotion fut cruelle qui étreignit son cœur –, là-bas presque en haut de l’Aiguille d’Étretat, en dessous de la pointe extrême autour de laquelle voltigeaient des mouettes, un peu de fumée qui suintait d’une crevasse, ainsi que d’une cheminée invisible, un peu de fumée montait en lentes spirales dans l’air calme du crépuscule.

Notes :

↑ Arsène Lupin, gentleman-cambrioleur (Arsène Lupin en prison).

↑ Arsène Lupin, gentleman-cambrioleur (Herlock Sholmès arrive trop tard).

↑ Arsène Lupin, gentleman-cambrioleur (Le mystérieux voyageur).

↑ Arsène Lupin contre Herlock Sholmès (La Dame blonde).

↑ Arsène Lupin, pièce en 4 actes.

↑ Le fort de Fréfossé portait le nom d’un domaine voisin dont il dépendait. Sa destruction, qui eut lieu quelques années plus tard, fut exigée par l’autorité militaire, à la suite des révélations consignées dans ce livre.

L’Aiguille d’Étretat est creuse !

Phénomène naturel ? Excavation produite par des cataclysmes intérieurs ou par l’effort insensible de la mer qui bouillonne, de la pluie qui s’infiltre ? Ou bien œuvre surhumaine, exécutée par des humains, Celtes, Gaulois, hommes préhistoriques ? Questions insolubles sans doute. Et qu’importait ? L’essentiel résidait en ceci : l’Aiguille était creuse.

À quarante ou cinquante mètres de cette arche imposante qu’on appelle la Porte d’Aval et qui s’élance du haut de la falaise, ainsi que la branche colossale d’un arbre, pour prendre racine dans les rocs sous-marins, s’érige un cône calcaire démesuré ; et ce cône n’est qu’un bonnet d’écorce pointu posé sur du vide.

Révélation prodigieuse ! Après Lupin, voilà que Beautrelet découvrait le mot de la grande énigme, qui a plané sur plus de vingt siècles ! mot d’une importance suprême pour celui qui le possédait jadis, aux lointaines époques où des hordes de barbares chevauchaient le vieux monde ! mot magique qui ouvre l’antre cyclopéen à des tribus entières fuyant devant l’ennemi ! mot mystérieux qui garde la porte de l’asile le plus inviolable ! mot prestigieux qui donne le Pouvoir et assure la prépondérance !

Pour l’avoir connu, ce mot, César peut asservir la Gaule. Pour l’avoir connu, les Normands s’imposent au pays, et de là, plus tard, adossés à ce point d’appui, conquièrent l’île voisine, conquièrent la Sicile, conquièrent l’Orient, conquièrent le Nouveau-Monde !

Maîtres du secret, les rois d’Angleterre dominent la France, l’humilient, la dépècent, se font couronner rois à Paris. Ils le perdent, et c’est la déroute.

Maîtres du secret, les rois de France grandissent, débordent les limites étroites de leur domaine, fondent peu à peu la grande nation et rayonnent de gloire et de puissance – ils l’oublient ou ne savent point en user, et c’est la mort, l’exil, la déchéance.

Un royaume invisible, au sein des eaux et à dix brasses de la terre !... Une forteresse ignorée, plus haute que les tours de Notre-Dame et construite sur une base de granit plus large qu’une place publique... Quelle force et quelle sécurité ! De Paris à la mer, par la Seine. Là, Le Havre, ville nouvelle, ville nécessaire. Et à sept lieues de là, l’Aiguille creuse, n’est-ce pas l’asile inexpugnable ?

C’est l’asile et c’est aussi la formidable cachette. Tous les trésors des rois, grossis de siècle en siècle, tout l’or de France, tout ce qu’on extrait du peuple, tout ce qu’on arrache au clergé, tout le butin ramassé sur les champs de bataille de l’Europe, c’est dans la caverne royale qu’on l’entasse. Vieux sous d’or, écus reluisants, doublons, ducats, florins, guinées, et les pierreries, et les diamants, et tous les joyaux, et toutes les parures, tout est là. Qui le découvrirait ? Qui saurait jamais le secret impénétrable de l’Aiguille ? Personne.

Si, Lupin.

Et Lupin devient cette sorte d’être vraiment disproportionné que l’on connaît, ce miracle impossible à expliquer tant que la vérité demeure dans l’ombre. Si infinies que soient les ressources de son génie, elles ne peuvent suffire à la lutte qu’il soutient contre la Société. Il en faut d’autres plus matérielles. Il faut la retraite sûre, il faut la certitude de l’impunité, la paix qui permet l’exécution des plans.

Sans l’Aiguille creuse, Lupin est incompréhensible, c’est un mythe, un personnage de roman, sans rapport avec la réalité. Maître du secret, et de quel secret ! c’est un homme comme les autres, tout simplement, mais qui sait manier de façon supérieure l’arme extraordinaire dont le destin l’a doté.

Donc, l’Aiguille est creuse, et c’est là un fait indiscutable. Restait à savoir comment l’on y pouvait accéder.

Par la mer évidemment. Il devait y avoir, du côté du large, quelque fissure abordable pour les barques à certaines heures de la marée. Mais du côté de la terre ?

Jusqu’au soir, Beautrelet resta suspendu au-dessus de l’abîme, les yeux rivés à la masse d’ombre que formait la pyramide, et songeant, méditant de tout l’effort de son esprit.

Puis il descendit vers Étretat, choisit l’hôtel le plus modeste, dîna, monta dans sa chambre et déplia le document.

Pour lui, maintenant, c’était un jeu que d’en préciser la signification. Tout de suite il s’aperçut que les trois voyelles du mot Étretat se retrouvaient à la première ligne, dans leur ordre et aux intervalles voulus. Cette première ligne s’établissait dès lors ainsi :

e . a . a . . é t r e t a t . a . .

Quels mots pouvaient précéder Étretat ? Des mots sans doute qui s’appliquaient à la situation de l’Aiguille par rapport au village. Or, l’Aiguille se dressait à gauche, à l’ouest... Il chercha et, se souvenant que les vents d’ouest s’appelaient sur les côtes vents d’aval et que la porte était justement dénommée d’Aval, il inscrivit :

En aval d’Étretat . a . .

La seconde ligne était celle du mot Demoiselles, et, constatant aussitôt, avant ce mot, la série de toutes les voyelles qui composent les mots la chambre des, il nota les deux phrases :

En aval d’Étretat – La chambre des Demoiselles.

Il eut plus de mal pour la troisième ligne, et ce n’est qu’après avoir tâtonné que, se rappelant la situation, non loin de la chambre des Demoiselles, du castel construit à la place du fort de Fréfossé, il finit par reconstituer ainsi le document presque complet :

En aval d’Étretat – la chambre des Demoiselles – Sous le fort de Fréfossé – Aiguille creuse.

Cela, c’était les quatre grandes formules, les formules essentielles et générales. Par elles, on se dirigeait en aval d’Étretat, on entrait dans la chambre des Demoiselles, on passait selon toutes probabilités sous le fort de Fréfossé et l’on arrivait à l’aiguille.

Comment ? Par les indications et les mesures qui formaient la quatrième ligne :

Cela, c’était évidemment les formules plus spéciales, destinées à la recherche de l’issue par où l’on pénétrait, et du chemin qui conduisait à l’Aiguille.

Beautrelet supposa aussitôt – et son hypothèse était la conséquence logique du document – que, s’il y avait réellement une communication directe entre la terre et l’obélisque de l’Aiguille, le souterrain devait partir de la chambre des Demoiselles, passer sous le fort de Fréfossé, descendre à pic les cent mètres de la falaise, et, par un tunnel pratiqué sous les rocs de la mer, aboutir à l’Aiguille creuse.

L’entrée du souterrain ? N’était-ce pas les deux lettres D et F, si nettement découpées, qui la désignaient, qui la livraient peut-être aussi grâce à quelque mécanisme ingénieux ?

Toute la matinée du lendemain, Isidore flâna dans Étretat et bavarda de droite et de gauche pour tâcher de recueillir quelque renseignement utile. Enfin, l’après-midi, il monta sur la falaise. Déguisé en matelot, il s’était rajeuni encore, et il avait l’air d’un gamin de douze ans, avec sa culotte trop courte et son maillot de pêcheur.