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« Ce n'était pas la peine de nettoyer quoi Egypte. Il y a des milliers de kilomètres de que ce soit. La loi coranique oblige à don-désert entre Tanger et les Pyramides. »

ner à manger à quiconque a faim.

Il y eut alors un intervalle de silence tel

— Mais alors, pourquoi m'avez-vous que la ville parut soudain s'être endormie.

laissé faire ce travail? demanda le jeune Il n'y avait plus de bazars, c'en était fini garçon.

des discussions entre marchands, des hom-

— Parce que les cristaux étaient sales.

mes qui montaient dans les minarets et qui Et toi comme moi avions besoin de net-chantaient, des belles épées à la poignée toyer nos têtes de mauvaises pensées. »

tout incrustée. Fini de l'espérance et de Quand ils eurent fini de manger, le Mar-l'aventure, des vieux rois et des Légendes chand se tourna vers le jeune homme : Personnelles. Plus de trésor, plus de pyra-

«Je voudrais que tu travailles dans mon mides. C'était comme si le monde tout magasin. Aujourd'hui, il est entré deux entier était devenu muet parce que l'âme clients pendant que tu nettoyais les cris-du jeune garçon faisait silence. Il n'y avait taux : c'est un bon signe. »

ni douleur, ni souffrance, ni déception:

«Les gens parlent beaucoup de signes, simplement un regard vide qui traversait pensa le berger. Mais ils ne savent pas au la petite porte du bar, et une immense juste de quoi ils parlent. Comme moi, qui envie de mourir, de tout voir finir pour ne m'étais jamais aperçu que, depuis tant toujours à cette minute même.

d'années, je parlais avec mes brebis un Le Marchand le regarda, ébahi. C'était langage sans paroles. »

comme si toute l'allégresse qu'il avait

«Veux-tu travailler pour moi?» Le Mar-pu voir ce matin-là s'était subitement en-chand de Cristaux insistait.

volée.

«Je peux travailler pour le reste de la

« Je peux te donner de l'argent pour que journée, répondit le garçon. Je nettoierai tu retournes dans ton pays, mon fils », dit le jusqu'au petit matin tous les cristaux de Marchand de Cristaux.

la boutique. En échange, il me faut de Le jeune homme resta silencieux. Puis il l'argent pour être demain en Egypte. »

se leva, rajusta ses vêtements, et ramassa Du coup, le vieux se mit à rire.

sa besace.

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«Je vais travailler chez vous», dit-il.

Et, après un autre silence prolongé, il ajouta, pour finir :

«Il me faut de l'argent pour acheter quelques moutons. »

SECONDE PARTIE

Il n'y avait pas loin d'un mois que le jeune homme travaillait chez le Marchand de Cristaux, et ce n'était pas un emploi de nature à le satisfaire vraiment. Le Marchand ne cessait de bougonner toute la journée derrière son comptoir, en lui recommandant constamment de faire attention aux objets, pour ne rien casser.

Il restait là, cependant, parce que, si le Marchand était sans doute un vieux gro-gnon, du moins n'était-il pas injuste ; l'employé recevait une assez jolie commission sur chaque pièce vendue, et il avait déjà pu économiser quelque argent. Ce matin-là, il avait fait ses calculs : en continuant à travailler tous les jours dans les mêmes conditions, il lui faudrait une année entière pour pouvoir acheter quelques moutons.

« J'aimerais bien faire un éventaire pour les cristaux, dit-il à son patron. On pourrait mettre une étagère à l'extérieur, qui attirerait les passants depuis le pied de la montée, là en bas.

— Je n'ai jamais fait une chose pareille, répondit le Marchand. Une étagère, les 71

gens l'accrochent au passage, et les cris-Espagnol. Même si celui-ci gagnait plus taux se brisent.

qu'il n'eût été normal ; comme il avait tou-

— Quand je parcourais la campagne jours cru que les ventes n'augmenteraient avec mes brebis, elles pouvaient toujours pas davantage, il lui avait offert une com-

être victimes de la morsure d'un serpent.

mission assez élevée; et son intuition lui Mais ce risque fait partie de la vie des disait que, d'ici peu, le garçon retournerait moutons et des bergers. »

à ses brebis.

Le Marchand alla servir un client qui

«Pourquoi voulais-tu aller voir les Py-voulait acheter trois vases de cristal. Il ramides ? » demanda-t-il, pour détourner la vendait maintenant mieux que jamais, conversation du sujet de l'éventaire.

comme si le monde était revenu en arrière,

«Parce qu'on m'en a souvent parlé», au temps où la rue était l'une des princi-répondit le jeune homme, évitant de parler pales attractions de Tanger.

de son rêve. Le trésor était maintenant un

« Il y a de plus en plus de passage, dit-il souvenir toujours pénible, et il s'efforçait à son employé quand le client fut parti. Ce de n'y plus penser.

qu'on gagne me permet de vivre mieux,

«Je ne connais personne ici qui veuille et te permettra de retrouver tes moutons traverser le désert simplement pour aller dans peu de temps. A quoi bon en demander davantage à la vie ?

voir les Pyramides, dit le Marchand. Ce

— Parce que nous devons suivre les n'est qu'un tas de cailloux. Tu peux aussi signes», répondit le jeune homme, sans bien te construire une pyramide dans ton réfléchir. Il regretta d'avoir parlé ainsi, jardin.

car le Marchand n'avait jamais eu l'occa-

— Vous n'avez jamais fait de rêves de sion de rencontrer un roi.

voyage », dit le jeune homme, tout en allant

« C'est ce qu'on appelle le Principe Favo-servir un autre client qui venait d'entrer rable, avait dit le vieillard. La Chance dans la boutique.

du Débutant. Parce que la vie veut que tu vives ta Légende Personnelle. »

Le surlendemain, le bonhomme reparla Toutefois, le Marchand comprenait bien de l'éventaire à son jeune employé : de quoi lui parlait son employé. La seule

«Je n'aime pas beaucoup les change-présence de ce dernier dans la boutique ments, dit-il. Ni toi ni moi ne sommes constituait un signe et, au fil des jours, comme Hassan, qui est, lui, un riche com-avec l'argent qu'il encaissait, il ne songeait merçant. S'il se trompe en faisant un pas à regretter d'avoir embauché le jeune achat, cela ne le dérange pas trop. Mais 72

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nous deux, nous devons supporter le poids dans notre vie, aller à la ville sainte de La de nos erreurs. »

Mecque.

«Voilà qui est vrai», pensa le jeune

«La Mecque est encore bien plus loin homme.

que les Pyramides. Quand j'étais jeune, j'ai

« Pourquoi as-tu envie de cet éventaire ?

préféré investir le peu d'argent que j'avais demanda le Marchand.

dans l'ouverture de ce commerce. J'espé-

— Je veux retourner plus vite à mes bre-rais être un jour assez riche pour aller à La bis. Quand la chance est de notre côté, il Mecque. J'ai commencé en effet à gagner faut en profiter, et tout faire pour l'aider de l'argent, mais je ne pouvais confier à

de la même façon qu'elle nous aide. C'est personne le soin des cristaux, car les cris-ce qu'on appelle le Principe Favorable. Ou taux sont des objets délicats. Pendant ce encore la Chance du Débutant. »

temps, je voyais passer dans ma boutique Le vieux resta un moment sans rien dire.

des quantités de gens qui étaient en route Puis:

pour La Mecque. Il y avait des pèlerins for-

« Le Prophète nous a donné le Coran, et tunés, qui étaient accompagnés de tout un nous a imposé seulement cinq obligations cortège de domestiques et de chameaux, à observer au cours de notre existence.

mais la plupart étaient bien plus pauvres La plus importante est celle-ci : il n'existe que moi.

qu'un Dieu et un seul. Les autres obliga-

«Tous partaient et revenaient heureux, tions sont : la prière cinq fois par jour, le et plaçaient à la porte de leur demeure les jeûne du Ramadan, et le devoir de charité