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symboles du pèlerinage effectué. L'un de envers les pauvres. »

ces pèlerins, un cordonnier qui gagnait sa Il se tut. Ses yeux s'emplirent de larmes vie à réparer les chaussures des uns et des tandis qu'il parlait du Prophète. C'était un autres, m'a dit qu'il avait marché près homme plein de ferveur et, même s'il se d'un an dans le désert, mais qu'il se sentait montrait souvent impatient, il s'efforçait beaucoup plus fatigué quand il avait dû

de vivre en accord avec la loi musulmane.

parcourir quelques pâtés de maisons à

«Et quelle est la cinquième obligation?

Tanger pour aller acheter du cuir.

demanda le jeune homme.

— Et pourquoi n'allez-vous pas main-

— Voici deux jours, tu m'as dit que je tenant à La Mecque? demanda le jeune n'avais jamais fait de rêves de voyage, homme.

répondit le Marchand. La cinquième obli-

— Parce que c'est La Mecque qui me gation de tout bon musulman est de faire maintient en vie. C'est ce qui me donne la un voyage. Nous devons, au moins une fois force de supporter tous ces jours qui se 74

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ressemblent, ces vases plantés là sur les étagères, le déjeuner et le dîner dans ce restaurant minable. J'ai peur de réaliser mon rêve et n'avoir ensuite plus aucune raison de continuer à vivre.

«Toi, tu rêves de moutons et de pyramides. Tu n'es pas comme moi, parce que tu veux réaliser tes rêves. Moi, tout ce que je veux, c'est rêver de La Mecque. J'ai déjà

imaginé des milliers de fois la traversée du désert, mon arrivée sur la place où se Deux mois encore passèrent. L'éventaire trouve la Pierre Sacrée, les sept tours que attira de nombreux clients à la boutique de je dois accomplir autour d'elle avant de cristaux. Le jeune homme calcula qu'en pouvoir la toucher. J'ai déjà imaginé qui travaillant six mois de plus il pourrait sera à mes côtés, qui devant moi, les pro-retourner en Espagne et acheter soixante pos et les prières que nous échangerons et moutons, et même soixante de plus. En dirons ensemble. Mais j'ai peur que ce ne moins d'un an, il aurait ainsi doublé son soit une immense déception, de sorte que troupeau, et pourrait négocier avec les je préfère encore me contenter de rêver. »

Arabes, car il avait réussi à apprendre cette langue étrange. Depuis ce fameux Ce jour-là, le Marchand donna au jeune matin sur la place du marché, il ne s'était garçon l'autorisation de construire l'éven-plus servi d'Ourim et de Toumim, parce taire.

que l'Egypte était devenue pour lui un rêve Tout le monde ne peut pas voir ses rêves aussi lointain que l'était La Mecque pour de la même façon.

le Marchand de Cristaux. Toutefois, il était maintenant satisfait de son emploi et ne cessait de penser au jour où il débarque-rait en vainqueur à Tarifa.

«Souviens-toi de toujours savoir ce que tu veux», avait dit le vieux roi. Le jeune homme savait ce qu'il voulait, et travaillait dans ce but. Peut-être son trésor était-il d'être venu sur cette terre étrangère, d'être tombé sur un voleur, et de multiplier par 77

deux le nombre de ses moutons sans avoir braises dans le narguilé et aspira une dépensé un centime.

longue bouffée.

Il était fier de lui. Il avait appris des

« Voilà trente ans que je tiens cette bou-choses importantes; comme le commerce tique. Je connais le cristal de bonne et de des cristaux, le langage sans paroles, et les mauvaise qualité, je connais à fond toutes signes. Un après-midi, il vit un homme en les particularités de ce commerce. Je suis haut de la montée, qui se plaignait qu'on habitué à mon magasin, à sa dimension, ne pût trouver un endroit convenable pour à sa clientèle. Si tu te mets à vendre du boire quelque chose après avoir gravi cette thé dans des verres en cristal, l'affaire va rampe. Le jeune homme connaissait main-prendre davantage d'importance. Et moi, tenant le langage des signes, et alla trouver je devrai changer ma façon de vivre.

son patron pour lui parler :

— Est-ce que ce ne serait pas une bonne

« Nous devrions offrir du thé aux gens chose ?

qui montent la rampe, lui dit-il.

— Je suis accoutumé à mon existence.

— Il y a déjà beaucoup d'endroits, par Avant ta venue, je pensais que j'avais ici, où l'on peut prendre le thé, répondit le perdu tout ce temps dans le même endroit, Marchand.

cependant que tous mes amis, au contraire,

— Nous pourrions le servir dans des changeaient, que leurs affaires périclitaient verres en cristal. De cette façon, les gens ou prospéraient. Cela me plongeait dans apprécieront le thé, et voudront acheter une très grande tristesse. Maintenant, je les cristaux. Car ce qui séduit le plus les sais que ce n'était pas vraiment ainsi : en hommes, c'est la beauté. »

fait, la boutique a exactement la taille que Le Marchand considéra son employé

j'ai toujours souhaitée. Je ne veux pas pendant un certain temps, sans rien ré-changer, parce que je ne sais comment pondre. Mais, ce soir-là, après avoir fait changer. Je suis désormais tout à fait habi-ses prières et fermé le magasin, il s'assit tué à moi-même. »

sur le trottoir et l'invita à fumer avec lui le Le jeune homme ne savait que dire. Le narguilé, cette curieuse pipe que fument vieux reprit alors :

les Arabes.

« Tu as été pour moi une bénédiction. Et

«Après quoi cours-tu? demanda le vieux voici qu'aujourd'hui je comprends une Marchand de Cristaux.

chose: c'est que toute bénédiction qui

— Je vous l'ai dit: j'ai besoin de rache-n'est pas acceptée se transforme en malé-ter mes brebis. Et pour cela il faut de l'ar-diction. Je n'attends plus rien de la vie. Et gent. » Le vieil homme mit de nouvelles toi, tu m'obliges à entrevoir des richesses 78

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et des horizons dont je n'avais jamais eu guilé, il dit au jeune homme qu'il pouvait commencer à proposer du thé aux clients idée. Alors, maintenant que je les connais, dans les verres en cristal.

et que je connais mes immenses possibili-Certaines fois, il est impossible de conte-tés, je vais me sentir beaucoup plus mal nir le fleuve de la vie.

que je n'étais auparavant. Parce que je sais que je peux tout avoir, mais je ne le veux pas. »

«Heureusement que je n'avais rien dit au marchand de pop-corn», se dit le jeune homme.

Ils continuèrent à fumer le narguilé pendant quelque temps, cependant que le soleil se couchait. C'était en arabe qu'ils conversaient, et le jeune homme était content de lui, parce qu'il parlait arabe. Il y avait eu une époque où il croyait que ses brebis pouvaient tout lui apprendre sur le monde. Mais les brebis étaient incapables d'enseigner l'arabe.

«Il doit y avoir encore d'autres choses, dans le monde, que les brebis ne savent pas enseigner, pensa-t-il, tout en observant le Marchand sans rien dire. Parce qu'elles ne cherchent rien d'autre que l'eau et la nourriture. Je crois que ce ne sont pas elles qui enseignent: c'est moi qui apprends. »

«Mektoub, dit finalement le Marchand.

— Qu'est-ce que c'est que ça?

— Il faudrait que tu sois né arabe pour comprendre. Mais la traduction doit être quelque chose comme "c'est écrit".»

Et, tout en éteignant les braises du nar-80

ancien. D'autres boutiques ouvrirent, où

l'on servait aussi le thé dans des verres en cristal, mais elles n'étaient pas situées en haut d'une rue en pente, ce qui fait qu'elles restaient toujours vides.

Très vite, le Marchand fut amené à

embaucher deux autres employés. Il dut bientôt importer, en même temps que les cristaux, d'énormes quantités de thé, consommées jour après jour par les Les gens gravissaient la rue en pente et hommes et les femmes qui avaient soif de se sentaient fatigués en arrivant là-haut.

choses nouvelles.

Alors, tout au bout de cette rampe, se trou-Ainsi passèrent six mois.

vait une boutique de beaux cristaux, et du thé à la menthe bien rafraîchissant. Ils entraient boire le thé, servi dans de magnifiques verres en cristal.