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«Jamais ma femme n'a eu cette idée», disait un homme; et il achetait quelques cristaux, car il avait des invités ce soir-là et ceux-ci seraient impressionnés par la richesse de ces coupes. Un autre client affirma pour sa part que le thé était toujours bien meilleur quand on le servait dans des récipients en cristal, car ainsi l'arôme se conservait mieux. Un troisième dit encore qu'il était de tradition en Orient d'utiliser le cristal avec le thé, en raison de ses pouvoirs magiques.

En peu de temps, la nouvelle se répandit, et beaucoup de gens se mirent à monter jusqu'au sommet de la rampe pour connaître la boutique qui avait inauguré

cette nouveauté dans un commerce si 82

de retour, et une licence d'importation et d'exportation entre son pays et le pays où il se trouvait actuellement.

Il attendit patiemment que le vieillard s'éveillât à son tour et vînt ouvrir le magasin. Ils allèrent alors prendre le thé

ensemble.

«C'est aujourd'hui que je m'en vais, dit le jeune homme. J'ai l'argent qu'il faut pour acheter mes moutons. Et vous en Le jeune homme s'éveilla avant le lever avez assez pour aller à La Mecque. »

du soleil. Onze mois et neuf jours s'étaient Le vieillard ne dit rien.

écoulés depuis qu'il avait pour la première

«Je vous demande votre bénédiction, fois foulé le sol du continent africain.

insista-t-il. Vous m'avez aidé. »

Il revêtit le costume arabe, en lin blanc, Le vieillard continua à préparer le qu'il avait acheté spécialement pour ce thé en silence. Enfin, au bout d'un certain jour-là. Il se coiffa du turban, tenu par un temps, il se tourna vers le jeune homme.

anneau en cuir de chameau. Enfin, il

«Je suis fier de toi, dit-il. Tu as donné

chaussa ses sandales neuves, et descendit une âme à ma boutique de cristaux. Mais sans faire aucun bruit.

je n'irai pas à La Mecque, tu le sais bien.

La ville dormait encore. Il se fit un sand-Comme tu sais aussi que tu ne rachèteras wich au sésame et but du thé chaud dans pas de moutons.

un verre en cristal. Ensuite, il s'assit sur le

— Qui vous a dit cela? demanda le seuil de la boutique et se mit à fumer le jeune homme, abasourdi.

narguilé, tout seul.

— Mektoub», dit simplement le vieux Il fuma en silence, sans penser à rien, Marchand de Cristaux.

Et il le bénit.

sans rien entendre que la rumeur continue dû vent qui soufflait en apportant l'odeur du désert. Puis, quand il eut fini, il plongea la main dans l'une de ses poches et resta quelques instants à contempler ce qu'il en avait retiré.

Il y avait là une belle somme d'argent. De quoi acheter cent vingt moutons, son billet 84

et eut à nouveau l'étrange sensation que le roi se trouvait à proximité. Il avait travaillé dur tout au long de cette année, et les signes indiquaient que le moment de partir était venu.

«Je vais me retrouver exactement tel que j'étais avant, pensa-t-il. Et les brebis ne m'ont pas enseigné à parler arabe. »

Et pourtant, les brebis avaient enseigné

une chose autrement importante: qu'il y Le jeune homme alla dans sa chambre et avait dans le monde un langage qui était rassembla tout ce qui lui appartenait. Cela compris de tous et que lui-même avait faisait trois sacoches bien remplies. Juste employé pendant tout ce temps pour faire au moment de partir, il remarqua que, progresser la boutique. C'était le langage dans un coin de la pièce, il y avait encore de l'enthousiasme, des choses que l'on fait sa vieille besace de berger. Elle était en avec amour, avec passion, en vue d'un piteux état, et il avait bien failli oublier jus-résultat que l'on souhaite obtenir ou en qu'à son existence. Dedans, il y avait tou-quoi l'on croit. Tanger n'était maintenant jours son bouquin, ainsi que le manteau.

plus pour lui une ville étrangère, et il eut le Lorsqu'il retira celui-ci, pensant en faire sentiment que, de même qu'il avait fait la cadeau au premier garçon qu'il rencontre-conquête de ce lieu, de même il pourrait rait dans la rue, les deux pierres roulèrent conquérir le monde.

par terre. Ourim et Toumim.

«Lorsque tu veux vraiment une chose, Il se souvint alors du vieux roi et fut tout tout l'Univers conspire à te permettre de surpris de s'apercevoir qu'il n'avait plus réaliser ton désir », avait dit le vieux roi.

pensé à cette rencontre depuis bien long-Mais le vieux roi n'avait pas parlé de temps. Pendant toute une année, il avait voleurs, de déserts immenses, de gens qui travaillé sans répit, en se préoccupant seu-connaissent leurs rêves mais ne veulent lement de gagner assez d'argent pour ne pas les réaliser. Le vieux roi n'avait pas dit pas devoir retourner en Espagne la tête que les Pyramides étaient tout juste un tas basse.

de cailloux, et que n'importe qui pouvait

«Ne renonce jamais à tes rêves, avait dit faire un tas de cailloux dans son jardin. Et le vieux roi. Sois attentif aux signes. »

il avait aussi oublié de dire que, lorsqu'on a Il ramassa par terre Ourim et Toumim, assez d'argent pour acheter un plus gros 86

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troupeau que celui qu'on avait avant, on se que je connais déjà, mener à nouveau mes doit d'acheter ce troupeau.

moutons. » Et il n'était plus aussi satisfait Il ramassa la besace et la prit avec ses de sa décision. Il avait travaillé toute autres sacs. Il descendit l'escalier; le vieux une année pour réaliser un rêve, et ce bonhomme était en train de servir un rêve, de minute en minute, perdait peu à

couple d'étrangers, cependant que d'au-peu de son importance. Peut-être parce tres clients, dans la boutique, prenaient le que ce n'était pas son rêve, en fin de thé dans des verres en cristal. Pour cette compte.

heure matinale, c'était un bon début de

«Qui sait, après tout, s'il ne vaut pas journée. De l'endroit où il se trouvait, il mieux être comme le Marchand de Cris-remarqua pour la première fois que la che-taux? Ne jamais aller à La Mecque, et velure du Marchand de Cristaux rappelait vivre de l'envie de s'y rendre.» Mais il tout à fait celle du vieux roi. Il se souvint tenait dans ses mains Ourim et Toumim et du sourire qu'avait le marchand de sucre-ces deux pierres lui communiquaient la ries, le premier jour qu'il s'était réveillé à

force et la volonté du vieux roi. Par l'effet Tanger, alors qu'il n'avait ni où aller ni de d'une coïncidence — ou d'un signe, pensa-quoi manger: ce sourire, lui aussi, évo-t-il — il arriva au café dans lequel il était quait le souvenir du vieux roi.

entré le premier jour. Son voleur n'y était

« Comme s'il était passé par ici et qu'il y pas, et le patron lui apporta un verre de ait laissé une empreinte», pensa-t-il. A thé.

croire que chacune de ces personnes avait

«Je pourrai toujours redevenir berger, eu l'occasion de connaître le roi à un se dit-il. J'ai appris à soigner les moutons, moment ou un autre de son existence. Il et jamais je ne pourrai oublier comment avait bien dit, en vérité, qu'il apparaissait ils sont. Mais peut-être n'aurai-je plus toujours à celui qui vit sa Légende Person-d'autre occasion d'aller jusqu'aux Pyra-nelle.

mides d'Egypte. Le vieil homme avait un Il partit sans faire ses adieux au Mar-pectoral en or, et connaissait mon histoire.

chand de Cristaux. Il ne voulait pas pleu-C'était un vrai roi, un roi savant. »

rer: on aurait pu le voir. Mais il allait Il se trouvait à deux heures à peine, regretter toute cette période, et toutes les en bateau, des plaines d'Andalousie, mais bonnes choses qu'il avait apprises. Il avait entre lui et les Pyramides il y avait un davantage confiance en lui, et se sentait désert. Il comprit que la situation pouvait l'envie de conquérir le monde.

être envisagée aussi de la manière sui-

«Mais je m'en vais vers les campagnes vante : en vérité, il se trouvait maintenant 88

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à deux heures de moins de son trésor.