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vaut un autre pour mourir. Parce que je ne vis ni dans mon passé ni dans mon avenir. Je n'ai que le présent, et c'est lui seul qui m'intéresse. Si tu peux demeurer toujours dans le présent, alors tu seras un homme heureux. Tu comprendras que dans le désert il y a de la vie, que le ciel a des étoiles, et que les guerriers se battent parce que c'est là quelque chose d'inhé-rent à la vie humaine. La vie alors sera une fête, un grand festival, parce qu'elle est Il ouvrit les yeux alors que le soleil com-toujours le moment que nous sommes en mençait à surgir à l'horizon. Devant lui, là

train de vivre, et cela seulement. »

où avaient brillé les petites étoiles pendant la nuit, s'allongeait une interminable file Deux nuits plus tard, alors qu'il était sur de palmiers dattiers qui occupait toute le point de s'endormir, le jeune homme l'étendue du désert.

regarda vers l'astre qui indiquait la direc-

«Nous y sommes arrivés!» s'exclama tion dans laquelle ils marchaient. Il lui l'Anglais, qui venait lui aussi de se réveil-sembla que l'horizon était un peu plus bas, ler.

car il y avait au-dessus du désert des cen-Le jeune homme, cependant, resta muet.

taines d'étoiles.

Il avait appris le silence du désert, et se

« C'est l'Oasis, lui dit le chamelier.

contentait de regarder les palmiers en face

— Alors, pourquoi n'y allons-nous pas de lui. Il avait encore un long chemin à

tout de suite ?

parcourir pour arriver jusqu'aux Pyra-

— Parce que nous avons besoin de dor-mides; et ce matin-là, un jour, ne serait mir. »

plus pour lui qu'un souvenir. Mais maintenant c'était le moment présent, la fête dont avait parlé le chamelier, et il essayait de vivre ce moment avec les leçons de son passé et les rêves de son futur. Un jour, cette vision de milliers de palmiers ne serait plus qu'un souvenir. Mais, en cet instant, elle signifiait pour lui l'ombre, l'eau, et un refuge devant la guerre. De la 119

même façon qu'un chameau qui blatérait pouvait se transformer en signal de danger, de même une file de palmiers pouvait représenter un miracle.

«Le monde parle plus d'un langage», pensa-t-il.

«Quand la marche du temps s'accélère, les caravanes aussi se hâtent», pensa l'Alchimiste, en voyant arriver dans l'Oasis des centaines de personnes et d'animaux.

Les habitants se précipitaient en criant à

la rencontre des nouveaux venus, la poussière soulevée masquait le soleil du désert, et les enfants sautaient d'excitation à la vue des étrangers. L'Alchimiste observa que les chefs de tribus se rassemblaient pour rejoindre le Chef de la Caravane et qu'ils tenaient ensemble un long conciliabule.

Mais rien de tout cela n'intéressait l'Alchimiste. Il avait déjà pu voir des quantités de gens arriver et repartir, cependant que l'Oasis et le désert demeuraient immuables. Il avait vu des rois et des men-diants fouler ces étendues de sable qui changeaient de forme sous l'action du vent, mais qui étaient toujours celles-là

mêmes qu'il avait connues quand il était enfant. Malgré tout, il ne parvenait pas à

maîtriser au fond de son cœur un peu de 121

cette allégresse que ressentait tout voyageur quand, après la terre jaune et le ciel d'azur, le vert des palmiers dattiers apparaissait devant ses yeux.

« Peut-être Dieu a-t-il créé le désert pour que l'homme puisse se réjouir à la vue des palmiers », pensa-t-il.

Il résolut alors de se concentrer sur des questions d'ordre plus pratique. Il savait qu'avec cette caravane arrivait l'homme à

qui il devait enseigner une partie de ses Les nouveaux arrivants furent amenés secrets. Les signes l'en avaient informé. Il immédiatement en présence des chefs trine connaissait pas encore cet homme, baux de Fayoum. Le jeune homme avait mais ses yeux expérimentés le reconnaî-du mal à en croire ses yeux : au lieu d'un traient à l'instant où il le verrait. Il espé-puits entouré de quelques palmiers (selon rait que ce serait quelqu'un d'aussi doué

la description qu'il avait lue une fois dans que son disciple précédent.

un livre d'histoire), il s'apercevait que

«Je ne sais pourquoi ces choses doivent l'Oasis était beaucoup plus grande que absolument se transmettre de bouche à

bien des villages d'Espagne. Elle com-oreille », songeait-il. Ce n'était pas exacte-prenait trois cents puits, cinquante mille ment parce qu'il s'agissait de véritables dattiers, et un grand nombre de tentes secrets : Dieu révélait libéralement Ses de couleur disséminées au milieu des pal-secrets à toutes les créatures.

miers.

Il ne voyait à cela qu'une explication:

« On croirait les Mille et Une Nuits », dit ces choses devaient se transmettre de cette l'Anglais, impatient de rencontrer au plus manière parce qu'elles étaient sans doute tôt l'Alchimiste.

faites de Vie Pure, et ce type de vie est bien Ils furent aussitôt entourés d'enfants, difficile à capter sous forme de peintures qui regardaient avec curiosité les mon-ou par les paroles.

tures, les chameaux, les gens qui arri-Car les gens cèdent à la fascination des vaient. Les hommes voulaient savoir s'ils tableaux et des mots et, pour finir, ils avaient aperçu les signes d'une bataille, et oublient le Langage du Monde.

les femmes se disputaient les étoffes et les pierres que les marchands avaient apportées. Le silence du désert semblait mainte-123

nant un rêve lointain; tout le monde par-revolver chromé, qu'il remit à l'homme lait sans discontinuer, riait, s'égosillait, chargé de collecter les armes.

comme si l'on avait quitté un monde de

«Pourquoi un revolver? demanda le purs esprits pour se retrouver parmi les jeune homme.

hommes. Les gens étaient joyeux et satis-

— Pour m'aider à me fier aux gens», faits.

répondit l'Anglais. Il était heureux d'être En dépit des précautions prises la veille, parvenu au terme de sa quête.

le chamelier expliqua au jeune homme que Le jeune homme, pour sa part, songeait les oasis, dans le désert, étaient toujours à son trésor. Plus il se rapprochait de son considérées comme des terrains neutres, rêve, plus les choses devenaient difficiles.

parce que la majeure partie de ceux qui y Ce que le vieux roi avait appelé la Chance vivaient étaient des femmes et des enfants.

du Débutant ne se manifestait plus. C'était Et il y avait des oasis aussi bien d'un côté

maintenant, il le savait, l'épreuve de l'obs-que de l'autre; de sorte que les guerriers tination et du courage pour qui est à la allaient combattre au milieu des sables recherche de sa Légende Personnelle. Aussi du désert et laissaient les oasis en paix, ne devait-il pas se précipiter, se montrer comme des lieux d'asile.

impatient. Autrement, il risquerait de ne Le Chef de la Caravane rassembla tout pas voir les signes que Dieu avait mis sur son monde, non sans quelque difficulté, et sa route.

commença à donner ses instructions. On

« C'est Dieu qui les a placés sur mon che-allait rester là tant que durerait la guerre min», pensa-t-il, s'étonnant lui-même. Jus-entre les clans. En tant que visiteurs, les que-là, il avait considéré les signes comme gens de la caravane seraient hébergés sous quelque chose qui appartenait au monde.

les tentes des habitants de l'Oasis, qui leur Quelque chose comme de manger ou dor-offriraient les meilleures places. C'était mir, comme de partir en quête de l'amour, la loi de l'hospitalité traditionnelle. Puis ou à la recherche d'un emploi. Mais il il demanda à tous, y compris ses propres n'avait jamais pensé que ce pouvait être sentinelles, de remettre leurs armes aux un langage employé par Dieu pour lui hommes désignés par les chefs de tribus.

montrer ce qu'il devait faire.

«Ce sont les règles de la guerre, expli-

«Ne sois pas impatient, répéta-t-il qua-t-il. De cette façon, les oasis ne peu-encore, à sa propre adresse. Comme l'a dit vent servir de refuge à des combattants. »