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fille du commerçant, et parla de la vie au Puis il paya ce qu'il devait et l'invita à

village, où chaque jour était semblable au revenir l'année suivante.

précédent. Le berger raconta la campagne d'Andalousie, les dernières nouveautés qu'il avait vues dans les villes par où il 14

Il ne manquait plus maintenant que Alors que paraissaient les premières quatre jours pour arriver dans cette même lueurs de l'aube, le berger commença à

bourgade. Il était tout excité, et en même faire avancer ses moutons dans la direction temps plein d'incertitude: peut-être la du soleil levant. « Ils n'ont jamais besoin de jeune fille l'aurait-elle oublié. Il ne man-prendre une décision, pensa-t-il. C'est quait pas de bergers qui passaient par là

peut-être pour cette raison qu'ils restent pour vendre de la laine.

toujours auprès de moi.» Le seul besoin

«Peu importe, dit-il, parlant à ses brebis.

qu'éprouvaient les moutons, c'était celui Moi aussi, je connais d'autres filles dans d'eau et de nourriture. Et tant que leur ber-d'autres villes. »

ger connaîtrait les meilleurs pâturages Mais, dans le fond de son cœur, il savait d'Andalousie, ils seraient toujours ses que c'était loin d'être sans importance. Et amis. Même si tous les jours étaient sem-que les bergers, comme les marins, ou les blables les uns aux autres, faits de longues commis voyageurs, connaissent toujours heures qui se traînaient entre le lever et le une ville où existe quelqu'un capable de coucher du soleil; même s'ils n'avaient leur faire oublier le plaisir de courir le jamais lu le moindre livre au cours de leur monde en toute liberté.

brève existence et ignoraient la langue des hommes qui racontaient ce qui se passait dans les villages. Ils se contentaient de nourriture et d'eau, et c'était en effet bien suffisant. En échange, ils offraient généreusement leur laine, leur compagnie et, de temps en temps, leur viande.

« Si, d'un moment à l'autre, je me trans-17

formais en monstre et me mettais à les Celui-ci avait donc sa raison d'être, tuer un à un, ils ne commenceraient à

comme le jeune homme lui-même. Au bout comprendre qu'une fois le troupeau déjà

de deux années passées à parcourir les presque tout entier exterminé, pensa-t-il.

plaines de l'Andalousie, il connaissait par Parce qu'ils ont confiance en moi, et qu'ils cœur toutes les villes de la région, et ont cessé de se fier à leurs propres insc'était là ce qui donnait un sens à sa vie : tincts. Tout cela parce que c'est moi qui les voyager.

mène au pâturage. »

Il avait l'intention, cette fois-ci, d'expli-Le jeune homme commença à se sur-quer à la jeune fille pourquoi un simple prendre de ses propres pensées, à les trou-berger peut savoir lire: jusqu'à l'âge de ver bizarres. L'église, avec ce sycomore seize ans, il avait fréquenté le séminaire.

qui poussait à l'intérieur, était peut-être Ses parents auraient voulu faire de lui un hantée. Etait-ce pour cette raison qu'il prêtre, motif de fierté pour une humble avait encore refait ce même rêve, et qu'il famille paysanne qui travaillait tout juste éprouvait maintenant une sorte de colère à

pour la nourriture et l'eau, comme ses l'encontre des brebis, ses amies toujours moutons. Il avait étudié le latin, l'espa-fidèles ? Il but un peu du vin qui lui restait gnol, la théologie. Mais, depuis sa petite du souper de la veille et serra son manteau enfance, il rêvait de connaître le monde, et contre son corps. Il savait que, dans quelc'était là quelque chose de bien plus ques heures, avec le soleil à pic, il allait important que de connaître Dieu ou les faire si chaud qu'il ne pourrait plus mener péchés des hommes. Un beau soir, en son troupeau à travers la campagne. A allant voir sa famille, il s'était armé de cette heure-là, en été, toute l'Espagne dor-courage et avait dit à son père qu'il ne vou-mait. La chaleur durait jusqu'à la nuit, et lait pas être curé. Il voulait voyager.

pendant tout ce temps il lui faudrait trans-porter son manteau avec lui. Malgré tout,

«Des hommes venus du monde entier quand il avait envie de se plaindre de cette sont déjà passés par ce village, mon fils. Ils charge, il se souvenait que, grâce à cette viennent ici chercher des choses nouvelles, charge, précisément, il n'avait pas ressenti mais ils restent toujours les mêmes le froid du petit matin.

hommes. Ils vont jusqu'à la colline pour

«Nous devons toujours être prêts à

visiter le château, et trouvent que le passé

affronter les surprises du temps », songeait-valait mieux que le présent. Ils ont les che-il alors; et il acceptait avec gratitude le veux clairs, ou le teint foncé, mais sont poids de son manteau.

semblables aux hommes de notre village.

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— Mais moi, je ne connais pas les châteaux des pays d'où viennent ces hommes, répliqua le jeune homme.

— Ces hommes, quand ils voient nos champs et nos femmes, disent qu'ils aime-raient vivre ici pour toujours, poursuivit le père.

— Je veux connaître les femmes et les terres d'où ils viennent, dit alors le fils.

Car eux ne restent jamais parmi nous.

— Mais ces hommes ont de l'argent plein L'horizon se teinta de rouge, puis le leurs poches, dit encore le père. Chez nous, soleil apparut. Le jeune homme se souvint seuls les bergers peuvent voir du pays.

de la conversation avec son père et se sen-

— Alors, je serai berger. »

tit heureux; il avait déjà connu bien des Le père n'ajouta rien de plus. Le lende-châteaux et bien des femmes (mais aucune main, il donna à son fils une bourse qui ne pouvait égaler celle qui l'attendait à

contenait trois vieilles pièces d'or espa-deux jours de là). Il possédait un manteau, gnoles.

un livre qu'il pourrait échanger contre un

«Je les ai trouvées un jour dans un autre, un troupeau de moutons. Le plus champ. Dans mon idée, elles devaient aller important, toutefois, c'était que, chaque à l'Eglise, à l'occasion de ton ordination.

jour, il réalisait le grand rêve de sa vie : Achète-toi un troupeau et va courir le voyager. Quand il se serait fatigué des monde, jusqu'au jour où tu apprendras campagnes d'Andalousie, il pourrait vendre que notre château est le plus digne d'inté-ses moutons et devenir marin. Quand il en rêt et nos femmes les plus belles. »

aurait assez de la mer, il aurait connu Et il lui donna sa bénédiction. Le gardes quantités de villes, des quantités de çon, dans les yeux de son père, lut aussi femmes, des quantités d'occasions d'être l'envie de courir le monde. Une envie qui heureux.

vivait toujours, en dépit des dizaines d'an-

«Comment peut-on aller chercher Dieu nées au cours desquelles il avait essayé de au séminaire?» se demanda-t-il, tout en la faire passer en demeurant dans le même regardant naître le soleil. Chaque fois que lieu pour y dormir chaque nuit, y boire et c'était possible, il tâchait de trouver un y manger.

nouvel itinéraire. Il n'était jamais venu jusqu'à cette église, alors qu'il était pour-21

tant passé par là tant de fois. Le monde était grand, inépuisable ; et s'il laissait ses moutons le guider, ne serait-ce qu'un peu de temps, il finirait par découvrir encore bien des choses pleines d'intérêt. « Le problème, c'est qu'ils ne se rendent pas compte qu'ils parcourent de nouveaux chemins tous les jours. Ils ne s'aperçoivent pas que les pâturages ont changé, que les saisons sont différentes. Car ils n'ont d'autre préoccupation que la nourriture et l'eau. »

La vieille conduisit le jeune homme au

«Peut-être en est-il ainsi pour tout le fond de la maison, dans une pièce séparée monde, pensa le berger. Même pour moi, de la salle par un rideau en plastique mul-qui n'ai plus d'autres femmes en tête ticolore. Il y avait là une table, une image depuis que j'ai rencontré la fille de ce com-du Sacré-Cœur de Jésus, et deux chaises.