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trée de la ville, dans l'étable d'un nouvel Alors qu'il arrivait à se concentrer ami qu'il s'était fait. Il connaissait beau-un peu sur sa lecture (et c'était bien agréa-coup de monde dans ces parages — et ble, car il y avait un enterrement dans la c'était bien pourquoi il aimait tant voyager.

neige, ce qui lui donnait une sensation de On arrive toujours à se faire de nouveaux fraîcheur, sous ce soleil brûlant), un vieil amis, sans avoir besoin de rester avec eux homme vint s'asseoir à côté de lui et enga-jour après jour. Lorsqu'on voit toujours les gea la conversation.

mêmes personnes, comme c'était le cas au

«Que font ces gens? demanda le vieilséminaire, on en vient à considérer qu'elles lard, en désignant les passants sur la font partie de notre vie. Et alors, puis-place.

qu'elles font partie de notre vie, elles finis-

— Ils travaillent», répondit le berger, sent par vouloir transformer notre vie. Et si sèchement; et il fit semblant d'être ab-nous ne sommes pas tels qu'elles souhaite-sorbé par ce qu'il lisait. En réalité, il son-28

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geait qu'il allait tondre ses brebis devant la

«Hum! fit le vieillard, en examinant le fille du commerçant, et qu'elle serait à

volume sur toutes ses faces, comme si même de constater qu'il pouvait faire des c'eût été un objet bizarre. C'est un livre choses bien intéressantes. Il avait déjà

important, mais fort ennuyeux. »

imaginé cette scène des dizaines de fois.

Le berger fut bien surpris. Ainsi, le bon-Et, toujours, il voyait la jeune fille s'émer-homme savait lire, lui aussi, et avait déjà lu veiller quand il commençait à lui expli-ce livre-là. Et si c'était un ouvrage en-quer que les moutons doivent être tondus nuyeux, comme il l'affirmait, il était encore de l'arrière vers l'avant. Il tâchait aussi de temps de le changer pour un autre.

se rappeler quelques bonnes histoires à

«C'est un livre qui parle de la même lui raconter tout en tondant les bêtes.

chose que presque tous les livres, poursui-C'étaient, pour la plupart, des histoires vit le vieillard. De l'incapacité des gens à

qu'il avait lues dans des livres, mais il les choisir leur propre destin. Et, pour finir, il raconterait comme s'il les avait vécues lui-laisse croire à la plus grande imposture du même. Elle ne saurait jamais la différence, monde.

puisqu'elle ne savait pas lire dans les

— Et quelle est donc la plus grande livres.

imposture du monde? demanda le jeune Le vieillard insista, cependant. Il ra-homme, surpris.

conta qu'il était fatigué, qu'il avait soif,

— La voici: à un moment donné de et demanda à boire une gorgée de vin. Le notre existence, nous perdons la maîtrise, garçon offrit sa bouteille ; peut-être l'autre de notre vie, qui se trouve dès lors gouver-allait-il le laisser tranquille.

née par le destin. C'est là qu'est la plus Mais le vieil homme voulait absolument grande imposture du monde.

bavarder. Il demanda au berger ce qu'était

— Pour moi, cela ne s'est pas passé de le livre qu'il était en train de lire. Celui-ci cette façon, dit le jeune homme. On voulait pensa se montrer grossier et changer de faire de moi un prêtre, et j'ai décidé d'être banc, mais son père lui avait appris à res-berger.

pecter les personnes âgées. Alors il tendit

— C'est mieux ainsi, dit le vieillard.

le bouquin au vieux bonhomme, pour deux Parce que tu aimes voyager. »

raisons : la première était qu'il se trouvait

«Il a deviné mes pensées», se dit San-bien incapable d'en prononcer le titre; et tiago.

la seconde, c'était que, si le vieux ne savait Pendant ce temps, le vieux feuilletait le pas lire, c'était lui qui allait changer de gros livre, sans la moindre intention de le banc, pour ne pas se sentir humilié.

rendre. Le berger remarqua qu'il était 30

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habillé d'étrange façon : il avait l'air d'un

«Et qu'est-ce que vous faites, à Salem?

Arabe, ce qui n'était pas si extraordinaire

— Ce que je fais à Salem ? » Pour la pre-dans la région. L'Afrique se trouvait à

mière fois, le vieillard éclata d'un grand quelques heures seulement de Tarifa ; il n'y rire. «Mais je suis le Roi de Salem, quelle avait qu'à traverser le petit détroit en question ! »

bateau. Très souvent, des Arabes venus Les gens disent de bien drôles de choses.

faire des emplettes apparaissaient en ville, Quelquefois, il vaut mieux vivre avec les et on les voyait prier de bien curieuse brebis, qui sont muettes, et se contentent façon plusieurs fois par jour.

de chercher de la nourriture et de l'eau.

«D'où est-ce que vous êtes? demanda-Ou alors, avec les livres, qui racontent des t-il.

histoires incroyables quand on a envie

— De bien des endroits.

d'en entendre. Mais quand on parle avec

— Personne ne peut être de plusieurs les gens, ceux-ci vous disent certaines endroits, dit le garçon. Moi, je suis berger, choses qui font qu'on reste sans savoir et je peux me trouver en différents en-comment poursuivre la conversation.

droits, mais je suis originaire d'un seuclass="underline"

«Je m'appelle Melchisédec, dit le vieil une ville proche d'un très vieux château.

homme. Combien as-tu de moutons ?

C'est là que je suis né.

— Ce qu'il faut», répondit le berger. Le

— Alors, disons que je suis né à Salem. »

vieux voulait en savoir un peu trop sur sa Le berger ne savait pas où se trouvait vie.

Salem, mais ne voulut pas poser de ques-

«Alors, nous avons un problème. Je ne tion, pour ne pas se sentir humilié du peux pas t'aider tant que tu penses avoir fait de sa propre ignorance. Il continua à

ce qu'il te faut de moutons. »

regarder la place pendant un moment. Les Le garçon commença à éprouver un cer-gens allaient et venaient, et paraissaient tain agacement. Il ne demandait aucune fort affairés.

aide. C'était le vieux qui lui avait demandé

«Comment est-ce, à Salem? demanda-du vin, qui avait voulu bavarder, qui s'était t-il enfin, cherchant un indice quelcon-intéressé à son livre.

que.

« Rendez-moi ce livre, dit-il. Il faut que

— Comme toujours, depuis toujours.»

j'aille chercher mes moutons et que je Ce n'était pas vraiment un indice. Du continue ma route.

moins savait-il que Salem n'était pas en

— Donne-m'en un sur dix, dit le vieil-Andalousie. Sinon, il aurait connu cette lard. Et je t'apprendrai comment faire ville.

pour parvenir jusqu'au trésor caché. »

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«Pourquoi un roi bavarde-t-il avec un Le jeune homme se ressouvint alors de berger? demanda le jeune homme, gêné, son rêve, et soudain tout devint clair. La et plongé dans le plus grand étonnement.

vieille ne lui avait rien fait payer, mais ce

— Il y a plusieurs raisons à cela. Mais vieux (qui était peut-être son mari) allait disons que la plus importante est que tu as réussir à lui soutirer bien davantage, en été capable d'accomplir ta Légende Per-

échange d'un renseignement qui ne cor-sonnelle. »

respondait à aucune réalité. Ce devait être Le jeune homme ne savait pas ce que un gitan lui aussi.

voulait dire «Légende Personnelle».

Cependant, avant même qu'il n'eût dit le

«C'est ce que tu as toujours souhaité

moindre mot, le vieil homme se baissa, faire. Chacun de nous, en sa prime jeu-ramassa une brindille et se mit à écrire sur nesse, sait quelle est sa Légende Person-le sable de la place. Au moment où il se nelle.

baissa, quelque chose brilla sur sa poitrine,

«A cette époque de la vie, tout est clair, avec une telle intensité que le garçon en fut presque aveuglé. Mais, d'un geste éton-tout est possible, et l'on n'a pas peur de namment rapide pour un homme de son rêver et de souhaiter tout ce qu'on aime-