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«Ah! s'ils savaient qu'à moins de deux aperçu que sa besace était déchirée. Il se heures de bateau il existe tant de choses baissa pour ramasser Ourim et Toumim et différentes...»

les remettre à l'intérieur du sac. Mais, en Le monde nouveau apparaissait devant les voyant par terre, une autre phrase lui ses yeux sous la forme d'un marché désert, revint en mémoire :

mais il avait déjà vu cette place pleine de vie, et il ne l'oublierait plus jamais. Il se

«Apprends à respecter et à suivre les souvint de l'épée ; il avait payé le prix fort signes », avait également dit le vieux roi.

pour la contempler un instant, mais aussi Un signe. Le jeune homme se mit à rire n'avait-il jamais rien vu de semblable jus-tout seul. Puis il ramassa les deux pierres que-là. Il eut soudain le sentiment qu'il et les remit dans sa besace. Il n'avait pas pouvait regarder le monde soit comme la l'intention de la recoudre; les pierres malheureuse victime d'un voleur, soit pourraient s'échapper par ce trou quand comme un aventurier en quête d'un trésor.

elles voudraient. Il avait compris qu'il y a

«Je suis un aventurier en quête d'un tré-certaines choses qu'on ne doit pas deman-sor», pensa-t-il, avant de sombrer, épuisé, der — pour ne pas échapper à son propre dans le sommeil.

destin.

«J'ai promis de prendre mes propres décisions », dit-il en lui-même.

Mais les pierres avaient dit que le vieillard était toujours à ses côtés, et cette réponse lui redonna confiance. Il considéra de nouveau le marché désert, et ne ressentit plus le désespoir qu'il avait éprouvé auparavant. Ce n'était plus un 60

bonne journée de travail. C'était un sourire qui, d'une certaine façon, rappelait le vieillard, ce vieux roi mystérieux dont il avait fait la connaissance. «Ce marchand ne fabrique pas des friandises parce qu'il voudrait voyager, ou épouser la fille d'un commerçant. Non, il confectionne des sucreries parce qu'il aime ce métier», pensa le jeune homme. Et il observa qu'il était capable de faire comme le vieillard : Il se réveilla en sentant quelqu'un le savoir si quelqu'un est proche ou éloigné

secouer par l'épaule. Il avait dormi en de sa Légende Personnelle rien qu'en plein milieu de la place du marché, qui regardant cette personne. «C'est facile, et allait maintenant reprendre son anima-je ne m'en étais encore jamais aperçu. »

tion.

Quand ils eurent fini d'installer la bara-Il regarda autour de lui, cherchant ses que, le bonhomme lui offrit la première moutons, et se rendit compte qu'il était pâtisserie qu'il venait de préparer. Il la maintenant dans un autre monde. Au lieu mangea avec grand plaisir, remercia, et se d'en éprouver de la tristesse, il se sentit mit en route. Alors qu'il était déjà à quel-heureux. Il n'avait plus à partir en quête que distance, il se fit la réflexion que la d'eau et de nourriture, et il pouvait se lan-baraque avait été montée par deux per-cer à la recherche d'un trésor. Il n'avait sonnes, dont l'une parlait arabe et l'autre pas un sou en poche, mais il avait foi en la parlait espagnol.

vie. Il avait choisi, la veille au soir, d'être Et cependant, ces deux personnes un aventurier semblable aux personnages s'étaient parfaitement entendues.

des livres qu'il avait l'habitude de lire.

«Il existe un langage qui est au-delà des Il se mit à se promener sans hâte sur la mots, se dit-il. J'avais déjà eu cette expé-place. Les marchands commencèrent à

rience avec les brebis, voici maintenant monter leurs baraques ; il aida un homme que je fais la même avec les hommes. »

qui vendait des sucreries à installer la Il était donc en train d'apprendre sienne. Il y avait sur le visage de cet diverses choses nouvelles. Des choses dont homme-là un sourire qui n'était pas il avait déjà eu l'expérience, et qui pourtant comme les autres: il était plein d'allé-

étaient nouvelles parce qu'elles s'étaient gresse, ouvert à la vie, prêt à attaquer une trouvées sur son chemin sans qu'il s'en fût 62

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rendu compte. Et cela parce qu'il avait l'habitude de ces choses. «Si je peux apprendre à déchiffrer ce langage qui se passe des mots, je parviendrai à déchiffrer le monde. »

«Tout est une seule et unique chose», avait dit le vieil homme.

Il décida de flâner tout tranquillement dans les petites rues de Tanger : c'était seulement de cette façon qu'il réussirait à percevoir les signes. Cela exigeait sans doute Le Marchand de Cristaux vit le jour se une bonne dose de patience, mais la lever et ressentit la même impression d'an-patience est la première vertu qu'apprend goisse qu'il éprouvait chaque matin. Il un berger.

était depuis près de trente ans dans ce même endroit, une boutique située au Une fois encore, il comprit qu'il mettait sommet d'une rue en pente, où il était bien en pratique dans ce monde étranger les rare que passât un client. Maintenant, il mêmes leçons que lui avaient enseignées était trop tard pour changer quoi que ses brebis.

ce fût: tout ce qu'il avait appris au cours

«Tout est une seule et unique chose», de sa vie, c'était acheter et vendre des avait dit le vieil homme.

cristaux. Il y avait eu un temps où sa boutique était connue de beaucoup de gens: marchands arabes, géologues français et anglais, soldats allemands, qui avaient toujours de l'argent plein les poches. En ce temps-là, c'était une grande aventure que de vendre des cristaux, et il imaginait comment il allait devenir un homme riche, et toutes ces belles femmes qu'il aurait un jour, quand il serait vieux.

Et puis le temps passa, peu à peu, et la cité de même. Ceuta prospéra plus que Tanger, et le commerce prit une autre voie. Les voisins partirent s'installer ail-65

leurs, et il ne resta bientôt plus que quelques rares boutiques dans la montée. Personne n'allait gravir une rue en pente pour quelques malheureuses boutiques.

Mais le Marchand de Cristaux n'avait pas le choix. Il avait vécu trente ans de sa vie à acheter et vendre des objets de cristal, et il était maintenant trop tard pour s'engager dans une nouvelle direction.

Toute la matinée, il resta à observer les allées et venues, peu nombreuses, dans la Il y avait à la porte un écriteau indiquant petite rue. C'était ce qu'il faisait depuis des qu'on parlait là plusieurs langues. Le jeune années, et il connaissait les habitudes de homme vit apparaître quelqu'un derrière chacun des passants.

le comptoir.

Alors qu'il manquait à peine quelques

«Si vous voulez, dit-il, je peux nettoyer minutes avant l'heure du déjeuner, un ces vases. Dans l'état où ils sont, personne jeune étranger s'arrêta devant la vitrine. Il ne voudra jamais les acheter. »

était habillé comme tout le monde, mais Le commerçant le regarda sans rien dire.

l'œil expérimenté du Marchand de Cris-

«En échange, vous me payez quelque taux lui permit de deviner qu'il n'avait pas chose à manger, d'accord ? »

d'argent. Malgré tout, il décida de rentrer L'homme restait muet. Il comprit que dans sa boutique et d'attendre quelques c'était à lui de prendre une décision. Dans minutes que le jeune homme s'en allât.

sa besace, il y avait le manteau, et il n'en aurait plus besoin dans le désert. Il le sortit, et se mit à nettoyer les vases. Durant une demi-heure, il put nettoyer tous les cristaux qui se trouvaient en vitrine. Pendant ce laps de temps, deux clients entrèrent, qui en achetèrent plusieurs.

Lorsqu'il eut fini de tout nettoyer, il demanda au propriétaire de lui donner quelque chose à manger.

«Allons déjeuner», dit le Marchand de Cristaux.

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Il accrocha une pancarte à la porte, et

« Même si tu nettoyais mes cristaux pen-ils allèrent jusqu'à un tout petit bar en dant toute une année, même si tu gagnais haut de la montée. Une fois qu'ils furent une bonne commission sur la vente de assis à l'unique table existante, le Mar-chacun d'entre eux, il te faudrait encore chand de Cristaux dit en souriant : emprunter de l'argent pour aller jusqu'en