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Il demanda.

— Elle était tout à l’heure dans la salle de jeu, n’est-ce pas ?

— Oui, avec son père, ce vieux à moustache et à barbiche blanche.

Alors la princesse donna quelques détails sur cette jeune femme dont la beauté faisait sensation à Aix. Elle était veuve du comte Mosska, écuyer du roi, tué en duel à la suite d’une querelle de jeu. L’accident datait à peine de dix-huit mois. Depuis ce moment elle voyageait, ayant quitté Bucarest pour se remettre, disait-on, de son profond chagrin.

— Et, elle est remise ? interrogea Mariolle avec une nuance imperceptible d’ironie.

La princesse sourit, en répondant :

— Je crois que oui.

Puis elle se leva, car elle avait des habitudes régulières imposées par le régime des eaux, et, lorsqu’elle fut partie, Mariolle, à son tour, s’en alla, voulant faire un tour dans le parc avant de se mettre au lit.

Cette heure passée avec ces femmes élégantes dont le contact est doux, l’avait animé, égayé, consolé. Il sentait, à n’en point douter, que son reste de mélancolie s’évanouissait au milieu de ces gens qui l’accueillaient avec faveur, et il se mit à penser à eux comme on fait en quittant des êtres très intéressants et peu connus.

Il marcha longtemps dans les allées du parc, sous la nuit chaude, sous la nuit étouffante de cette petite ville au fond d’une vallée, qui semble une étuve pendant les mois d’été ; mais à mesure que s’écartait de lui la sensation directe des femmes qu’il venait de quitter, l’impression de solitude, retrouvée chaque soir depuis sa rupture avec Henriette, l’envahissait de nouveau. Les ténèbres lui paraissaient illimitées et la terre vide, car personne ne l’attendait plus dans sa chambre à coucher. Ainsi qu’il l’avait dit au comte de Lucette, la gaieté du matin, l’espèce d’espoir indéterminé qui s’éveille, avec nous, chaque jour, dans notre cœur, puis l’agitation de la vie et ses contacts, ses petites distractions habituelles, écartaient de lui, jusqu’au soir, l’indécis besoin de tendresse et le besoin précis de caresses entrés en lui maintenant, comme en tous ceux qui ont longtemps vécu dans une amoureuse intimité. La crise revenait à la même heure, faite de souvenirs et de désirs où se mêlait de la rancune, un recommencement de colère contre cette gueuse dont il avait souffert, dont il souffrait encore. Il se félicitait pourtant de l’avoir enfin lâchée, et se répétait comme pour s’affermir, se consoler, se convaincre qu’il ne devait pas la regretter : «  Cristi, quelle chance que ce soit fini !  » Il rentra tout doucement, gagna sa chambre, se mit au lit, et, comme il était fatigué du voyage et de sa journée, il s’endormit presque tout de suite.

Variante

— Avec les femmes, les plus fins sont des imbéciles.

— Quand on les aime.

— Je ne l’ai jamais aimée.

— Henriette Lambel ?

— Oui, Henriette Lambel, je ne l’ai jamais aimée.

— Répète encore ?

— Je ne l’ai jamais aimée.

— Non... elle est trop forte, celle-là

— C’est la vérité, mon cher.

— Alors pourquoi es-tu resté collé avec elle pendant trois ans bien qu’elle fût une rosse ? Car tu le savais, qu’elle était une rosse.

— Je le savais.

— Elle te trompait. Le savais-tu, qu’elle te trompait ?

— Je l’ai su.

— Donc tu acceptais tout, ce qui est excusable quand on aime, mais ce qui devient incompréhensible quand on n’aime pas.

— Mon cher, écoute. Je vais essayer de me faire comprendre, ce qui n’est pas très facile, et de t’expliquer le genre d’attachement qui me liait à cette fille.

— Oh ! Je devine : la chair et ses artifices.

— Non, autre chose : son charme pervers.

— Alors, tu l’aimais ?

— Non je subissais un attrait que je détestais, contre lequel aussi je ne pouvais me défendre.

— C’est une des formes de l’amour.

— Non, c’est une des formes de la faiblesse humaine, et une des preuves de la puissance et du danger de l’éducation.

— Qu’est-ce que tu me chantes là ?

— Ecoute, tu me connais assez, puisque nous sommes des amis de collège, pour me comprendre. Tu me parlais tout à l’heure de papa. Tu te rappelles quel homme c’était, le plus malin sceptique que j’aie connu, un sceptique gras, jovial, sans pessimisme, comme on dit aujourd’hui, un sceptique qui a été deux fois ministre à une époque où l’on voit vraiment de drôles de choses. Et il les voyait bien lui, il les flairait, les devinait, les éventait avec sa rouerie tranquille et son incroyance radicale. A l’école de mon père, j’ai appris la rosserie humaine comme on apprend naturellement à nager quand on vous jette à l’eau tous les jours. Je n’ignore point que c’est de la rosserie et qu’on s’y noie, mais j’ai gardé pour elle un certain penchant blâmable ; et d’ailleurs je sais nager dedans. Donc, j’ai vécu dans ce monde extraordinairement pourri qui touche aux gouvernements, au milieu d’hommes à tout faire, de femmes mariées qui sont des filles et de filles que ‘e ne savais plus distinguer, en mon âme et conscience, de ces femmes mariées. Elevé là-dedans, j’aime ça, comme l’homme grandi aux champs aime les plaines, comme l’homme grandi dans les villes aime les rues. J’aime tellement ça, qu’une honnête femme, mais là, une femme vraiment honnête, m’embête autant qu’un ecclésiastique de campagne, même si elle est fort belle. Quant à celles qui ne sont pas honnêtes, elles me plaisent, mais je les méprise, oui, mon cher, je les méprise au nom d’une certaine droiture qui est en moi, mais dont je ne me sers pas ostensiblement, ou plutôt dont je me sers uniquement pour porter des jugements que je classe dans mes cartons secrets. Je méprise ainsi beaucoup de gens, beaucoup de choses, beaucoup d’idées dont j’ai l’air de faire mes délices, car je suis tolérant et conciliant, bon enfant et quelquefois cassant, quand il me plaît d’être cassant, par caprice. Or, tu as connu Henriette Lambel. Cette femme-là était faite pour me ravir à première vue. C’est par sa félinerie et sa félonie qu’elle m’a séduit. En elle j’ai trouvé, j’ai reconnu, J’ai savouré tous les infâmes défauts des femmes. Et puis il y avait entre sa délicieuse personne et son exécrable nature une telle harmonie irrésistible et incompréhensible, que cela aurait suffi pour emballer le corrompu que je suis. Est-elle jolie, la gueuse, avec ses mouvements discrets, avec cette finesse de traits, de regard, de sourire, de peau, de membres, de doigts, qui lui donnent une saveur unique ! C’est, sans aucun doute, la créature la plus gracieuse que j’aie connue. Et avec cela, avec cet air doux, aimant, fidèle, dévoué, elle ment comme personne n’a jamais menti, elle ment avec l’autorité d’un maître d’armes touchant où il veut ses élèves. J’étais prévenu, je n’ignorais rien, et j’étais pris, presque à tous coups, à ses mensonges. Dieu ! Quelle rosse !

Il racontait sa passion, tout entier à ce sujet dont son cœur était encore plein. Il en dit le début, déguisant son entraînement naïf sous un air de bravade sceptique, n’avouant pas qu’il eût été amoureux, aveugle et niais comme tous ceux qui tombent entre les mains d’une femme dont c’est le métier de jouer les hommes.

Avec des tons dégagés, indifférents, ironiques, il se blaguait lui-même à présent. Après avoir reconnu sa faiblesse et découvert tous les tours, toutes les ruses, dont il avait été victime. Après avoir vraiment sondé ce cœur perfide de femme jusqu’en ses coins les plus faux, il posait pour l’homme qui n’a pas été dupé, mais qui a fermé les yeux par dédain et par amusement. Il avait fermé les yeux en effet, et souvent. Il les avait fermés d’abord en la rencontrant pour la première fois. C’était une courtisane de demi-grandeur, riche déjà, bien que très jeune, douée d’une souplesse et d’un instinct de fille irrésistibles. Grande, mince, longue, séduisante, féline, elle n’avait pas cet éclat qui fait se retourner les hommes dans la rue, mais un attrait voilé, presque modeste, une séduction insinuante de la voix, du sourire et du geste, dont elle engluait tous ceux qui avaient franchi sa porte.