L'empereur est entouré de conseillers issus de l'Église : Alcuin et Éginhard.
Ce sont eux, les lettrés, qui renouent avec la tradition antique des études et assurent ainsi la perpétuation du savoir. Les évêques sont les relais du pouvoir impérial.
Le royaume franc est certes étendu vers l'est, et Aix-la-Chapelle en devient la capitale au lieu de Paris, mais c'est tout l'ancien territoire hexagonal, la Gaule gallo-romaine, qui bénéficie de cet ordre impérial et de l'action des missi dominici.
Une « administration » se met en place. Les hommes doivent prêter serment de fidélité à la personne de l'empereur.
Avec Charlemagne s'incarne ce lien particulier qui unira l'ouest et l'est de la civilisation franque.
Il y a un peuple français et un peuple germanique, mais, au-delà de leurs parlers, de leurs antagonismes, s'exprime cette lointaine origine commune, cette union carolingienne. Charlemagne est inhumé en 814 dans la chapelle palatine, à Aix.
Cet empire de traditions romaine et franque est fort. Il peut surmonter les défaites face aux Basques alliés des musulmans – à Roncevaux en 778 –, consolider la frontière sud en Aquitaine contre les incursions musulmanes, envoyer aussi une ambassade au calife de Bagdad, Haroun al-Rachid (802), recevoir l'ambassadeur du calife en 807, obtenir pour les Francs le droit de garder les Lieux saints.
À ce moment se noue pour des siècles le lien singulier et contradictoire qui unit le monde musulman et ce peuple franc. Il résiste, refoule l'avancée musulmane, mais, dans le même temps, il obtient du calife cette reconnaissance symbolique qu'est la concession de la garde des Lieux saints.
C'est aussi cette présence en Palestine qui vaudra à la royauté « franque » son rôle majeur dans les croisades.
Bien des aspects fondamentaux de l'âme française, du légendaire dans lequel elle puise, naissent ainsi au cours de cette période carolingienne qui peu à peu se dégrade.
Dès le viiie siècle, il lui faut faire face aux incursions normandes sur toutes les côtes de l'ancienne Gaule.
À la mort de Louis le Pieux, en 840, l'empire se divise. Du serment de Strasbourg et du traité de Verdun (842-843) – en langues romane et germanique – naissent trois États dont les frontières vont rejouer sans fin durant plus de onze siècles !
L'un des fils, Louis, obtient tout ce qui se trouve au-delà du Rhin et en outre, sur la rive occidentale du fleuve, Mayence, Worms et Spire. Le royaume de Lothaire – le deuxième fils – comprend le territoire situé entre Rhin et Escaut jusqu'à la Meuse, et sa frontière occidentale longe le cours de la Saône et du Rhône jusqu'à la mer. Tout le reste revient à Charles le Chauve.
Empire partagé, royaumes affaiblis.
Comment résister à ces envahisseurs normands qui remontent la Seine jusqu'à Paris, massacrent les évêques de Chartres, de Bourges, de Beauvais, de Noyon, longent les côtes jusqu'au delta du Rhône, pillent Arles, Nîmes, Valence ?
Les paysans s'arment ou fuient, échappant ainsi souvent à la condition d'esclaves, et c'est en hommes libres qu'ils s'établissement sur d'autres terres.
Pendant que ces incursions normandes atteignent le cœur des royaumes francs, leurs rois s'entre-déchirent dans l'espoir de reconstituer à leur profit l'unité impériale perdue.
Quête vaine, épuisement d'une dynastie dans des guerres fratricides, qui tente en vain de réunir ce qu'on peut commencer d'appeler la France et l'Allemagne.
C'est l'Église qui va choisir de soutenir une nouvelle dynastie.
L'Église est d'autant plus puissante que les ordres monastiques se sont développés – l'abbaye bénédictine de Cluny est fondée en 920.
L'Église réussit au xe siècle à imposer le respect d'une « trêve » puis d'une « paix de Dieu ». Elle entend rétablir l'ordre public en protégeant les églises, les clercs désarmés, les marchands et le bétail, sous peine d'excommunication par les évêques. Des « assemblées de paix » se tiennent à l'initiative et sous l'autorité de ceux-ci. Le poids de l'Église devient ainsi déterminant.
Quand l'archevêque de Reims, Adalbéron, choisit de soutenir Hugues Capet – héritier de Hugues le Grand –, duc des Francs, contre le dernier des Carolingiens, la balance penche en faveur de ce nouveau souverain.
Hugues Capet renonce à la Lotharingie, qui restera sous l'influence allemande. Il choisit de régner sur la partie occidentale de l'ancien empire de Charlemagne, cette Francia qui devient alors la France.
Ainsi commence, avec le règne d'Hugues Capet (987-996), la dynastie capétienne.
Elle est déjà l'héritière d'une longue histoire qui a façonné un territoire et son âme.
9.
C'est le temps des rois de France, et c'est aussi l'an mil.
Le sacre confère aux souverains capétiens le pouvoir de faire des miracles.
Rois thaumaturges, ils sont les représentants du Christ sur la terre, les vicaires de Dieu en notre monde.
Rois-prêtres, ils ont accès au surnaturel.
Le sacre a fait d'eux des « oints du Seigneur ». Ils font sacrer leur héritier, l'aîné de leurs fils. Attenter à leur pouvoir, les menacer, les agresser, est naturellement un acte sacrilège qui se paie de la vie.
Ils sont rois de droit divin, participent à la liturgie et deviennent ainsi des hommes au-dessus des autres hommes.
Ils protègent les hommes d'Église, tous les lieux de culte : les premières cathédrales qui surgissent à Orléans, Chartres, Nevers, Auxerre, ainsi que les monastères. Et ils condamnent au bûcher les hérétiques.
Ce roi qui, le jour de son sacre, guérit en touchant les écrouelles, qui accomplit des miracles, répète les gestes de Jésus.
Il lave les pieds des pauvres assemblés autour de lui durant la semaine sainte. Il distribue du pain, des légumes, un denier. Et il peut même, tel le Christ, rendre la vue à un aveugle.
Ainsi, l'âme française s'imprègne du respect qu'elle doit à ces monarques au pouvoir surnaturel.
Elle est d'autant plus marquée par ce caractère de représentant du Christ que la peur est au cœur de ce xie siècle durant lequel se succèdent Robert II le Pieux (996-1031), Henri Ier (1031-1060) et Philippe Ier (1060-1108).
Les chroniqueurs, les prédicateurs, les devins, annoncent la fin des temps.
Car qui pourrait réfuter, en cette millième année depuis la Passion du Seigneur, la prophétie de l'Apocalypse : « Mille ans écoulés, Satan sera relâché de sa prison et s'en viendra séduire les nations des quatre coins de la terre. »
Cette certitude fait de chaque événement un signe.
L'éclipse donne au soleil la couleur du saphir. Les hommes, se regardant les uns les autres, se voient pâles comme des morts. Les choses semblent toutes baignées d'une vapeur couleur safran. Une stupeur et une épouvante jamais vues s'emparent alors du cœur des hommes.
Comment ne se tourneraient-ils pas vers ce roi de la Francia, comment ne s'agenouilleraient-ils pas devant lui ? Ne tient-il pas son pouvoir de Dieu, et ne représente-t-il pas le Christ ici-bas ?
Ainsi s'amorce le mouvement qui pousse vers le souverain les habitants du royaume que tenaillent la peur, la misère, la famine, l'insécurité, la terreur devant l'apocalypse.
On saisit à l'origine ce lien particulier – religieux – qui va, siècle après siècle, unir les sujets du royaume de France à l'« oint du Seigneur ».
Le roi n'a de comptes à rendre qu'à Dieu, mais sa mission est de protéger ceux qui sont rassemblés autour de lui. S'il rompt ce lien avec Dieu – et avec l'Église, qui, elle aussi, représente Dieu en ce bas monde –, alors les régicides se lèvent pour le punir d'avoir failli à sa fonction.
Mais le meurtre du roi blesse le peuple. Il faut qu'un autre souverain renoue le lien avec le « surnaturel ».