Ils ont fait l'expérience et l'inventaire du style mitterrandien et des gesticulations chiraquiennes.
L'un était un président roué se complaisant dans les liaisons dangereuses, séducteur tout en arabesques et en hypocrites indignations de façade.
L'autre, un bateleur dressant son étalage sur les grands boulevards, retenant un instant les badauds par son insolente esbroufe.
Avec de tels acteurs, les Français ont beaucoup appris sur le théâtre politique, ses jeux de rôle et ses simulacres.
Seuls quelques compères et les croyants applaudissent aux promesses des nouveaux candidats.
Le vrai public partagé entre le scepticisme et l'espoir observe et attend.
Certes, une femme élue présidente peut renouveler le répertoire, mais on exigera d'elle plus que de la compassion ou de la séduction : des résultats !
Or les promesses seront d'autant plus difficiles à tenir que, pour être élus, les candidates et les candidats à la présidence de la République ou aux élections législatives auront d'abord divisé les Français, accusant leurs rivaux d'être responsables des maux qui frappent le pays.
Le coupable, ce n'est pas moi, c'est l'autre, c'est la droite – ou c'est la gauche !
Mais de grand guignol en farces, d'alternances en cohabitations, les Français savent que l'un vaut l'autre.
Et en 2005, au moment du référendum sur le traité constitutionnel européen, quand les acteurs cessent d'interpréter la pièce Gauche-Droite, renoncent aux mimiques de leurs oppositions pour inviter les Français à voter oui, ceux-ci saccagent le théâtre en scandant non !
Les Français ne se contentent donc plus des tours de passe-passe des prestidigitateurs. Ils n'attendent plus qu'on sorte du chapeau un lapin blanc.
Leur vie est difficile. Les conflits et la violence, le fanatisme, sont une réalité. L'horizon est obscurci par des risques majeurs.
Que faire ?
Il faudrait aux dirigeants le courage de dire et surtout d'agir. Car la « moraline » ne suffit pas.
Ils devraient savoir où conduit le « lâche soulagement », comme disait Léon Blum au lendemain de Munich, en 1938.
Fin, honnête, le leader du Front populaire voulait la paix, refusait l'« excitation du patriotisme » (septembre 1936), critiquait ceux qui croyaient la guerre inéluctable.
Esthète sensible, il détournait la tête pour ne pas voir les dangers.
C'est laid et brutal, la guerre.
Mais l'illusion s'est fracassée contre le réel.
Blum a été déporté par les nazis.
Des centaines de milliers de Français qui avaient défilé en clamant qu'ils voulaient le pain, la paix, la liberté, ont moisi quatre années dans les camps de prisonniers en Allemagne, victimes de dirigeants qui avaient préféré leur dire ce qu'ils voulaient entendre, que le temps était aux congés payés – mérités –, et non à la mobilisation et à la préparation à la guerre.
Elle eut lieu.
Et les parlementaires élus en 1936 dans l'« embellie » du Front populaire votèrent le 10 juillet 1940, à Vichy, la mort de la République. Seuls 80 d'entre eux s'y refusèrent.
Cette étrange défaite, le « plus atroce effondrement de notre histoire » (Marc Bloch), peut se reproduire.
Point n'est besoin d'une invasion étrangère.
Il suffit que, face à une crise intérieure avivée par une tension internationale, la lâcheté, le désir de rassurer, l'emportent sur le courage et la volonté.
Or la nation ne peut plus se permettre de dépendre des stratégies de carrière de dirigeants soucieux de rassembler leurs camps politiques, oubliant que la France les transcende.
« Je suis pour la France, disait de Gaulle en 1965 quand on l'accusait d'être le candidat de la droite. La France, c'est tout à la fois, c'est tous les Français. Ce n'est pas la gauche, la France ! Ce n'est pas la droite, la France ! Prétendre représenter la France au nom d'une fraction, c'est une erreur nationale impardonnable ! »
Pour ne pas la commettre, il faut vouloir que la France se prolonge en tant que nation une et indivisible, et non en un conglomérat de communautés, d'ethnies, de régions, de partis politiques.
Mais les élites de ce pays ont-elles ce désir d'unité nationale alors que, de concessions aux communautés en confessions et en repentances, elles déconstruisent l'histoire de ce pays ?
Certes, il faut en finir avec la légende qui fait de l'histoire française une suite d'actions héroïques dictées par le souci du bien de l'humanité !
Pour autant, la France n'est pas une ogresse dévorant les peuples – et d'abord le sien !
En fait, on ne peut bâtir l'avenir de la nation sans assumer toute son histoire.
Elle s'est élaborée touche après touche, au long des millénaires, comme ces paysages que l'homme « humanise » terroir après terroir, village après village, labour après labour, modelant l'espace en une sorte de vaste jardin organisé « à la française ».
Et c'est ainsi, d'événement en événement, de périodes sombres en moments éclatants, que s'est constituée l'âme de la France.
On peut l'appeler, avec Braudel, « la problématique centrale » de notre histoire. « Elle est, écrit-il, un résidu, un amalgame, des additions, des mélanges, un processus, un combat contre soi-même destiné à se perpétuer. S'il s'interrompait, tout s'écroulerait. »
C'est la question qui est posée en ce début du xxie siècle à la nation : « Voulons-nous nous perpétuer ? »
Nos élites le veulent-elles, partagent-elles encore la réflexion de Renan selon laquelle « tous les siècles d'une même nation sont les feuillets d'un même livre. Les vrais hommes de progrès sont ceux qui ont pour point de départ un respect profond du passé » ?
Mais qui s'exprime ainsi aujourd'hui ?
Le mot de nation, même s'il est à nouveau employé, est encore suspect. On évoque le pays, les régions, les provinces, l'Europe ou le monde. Rarement la patrie, mot tombé en désuétude.
Et quand quelqu'un ose parler de patriotisme, de patriotes, on ricane ou bien on le soupçonne d'être un extrémiste de droite.
La notion d'identité de la France fait même question, alors que Braudel en avait fait l'une de ses références.
« Une nation, écrivait-il, ne peut être qu'au prix de se chercher elle-même sans fin, de se transformer dans le sens de son évolution logique, de s'opposer à autrui sans défaillance, de s'identifier au meilleur, à l'essentiel de soi, conséquemment de se reconnaître au vu d'images de marque, de mots de passe connus des initiés (que ceux-ci soient une élite ou la masse entière du pays, ce qui n'est pas toujours le cas). Se connaître à mille tests, croyances, discours, alibis, vaste inconscient sans rivages, obscures confluences, idéologies, mythes, fantasmes... »
Ainsi s'est constituée, s'est maintenue, s'est déployée au cours de notre histoire l'âme de la France.
Mais les présidents qui se sont succédé depuis trente ans, au lieu de se soucier d'elle, ont préféré parler des Français, leurs électeurs...
Adieu la France, ont-ils tous lancé avec plus ou moins de nostalgie.
Le premier jugeait que la France, ne représentant plus que 1% de la population mondiale, devait se fondre dans la communauté européenne.
Le deuxième concédait qu'elle était encore notre patrie, mais que son avenir s'appelait l'Europe.
Le troisième l'invitait à la repentance perpétuelle.
L'alibi de nos trois présidents – et de nos élites – était que les Français se moquaient de la France, cette vieillerie !
Les citoyens, prétendait-on, se souciaient du régime de leur retraite, de leur emploi. Ils voulaient qu'on les protège, que les hommes politiques les débarrassent du carcan « centralisé » de l'État et choisissent la proximité, la région, non les grandes ambitions nationales.