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Le peuplement est dense dans les vallées de la Dordogne et de la Vézère, dans le Périgord, la Corrèze.

Lesquels de ces hommes-là, qui se rassemblent autour des feux et soufflent sur les braises pour que les flammes bleutées dansent devant leurs yeux fixes, ont, quand la mort frappait l'un des leurs, décidé de l'enfouir dans une tombe afin qu'il vive une autre vie et que son corps abandonné ne soit pas livré aux rapaces, aux fauves ?

Dans la Corrèze, à La Chapelle-aux-Saints, ils ont préparé cette sépulture.

Est-ce le premier indice d'une âme qui, en eux, commence son travail de genèse de l'homme ? Pour qu'ainsi la terre de l'hexagone devienne un grand reposoir où, génération après génération, durant des millénaires, les corps fécondent le territoire, millions de morts qui sont comme l'humus de l'âme de la France ?

Cette tombe de La Chapelle-aux-Saints, les hommes l'ont conçue et creusée quarante mille ans avant notre ère. Et c'est le signe qu'ils s'interrogent à tâtons, entre effroi et rêve, sur ce qu'est cette vie qui un jour les abandonne, sur ces animaux, biches, bouquetins, chevaux, taureaux, qu'ils tuent et dont ils se repaissent, et parce qu'ils veulent les « saisir » ils les emprisonnent dans leur regard, les représentent sur les parois des grottes à Lascaux, à Rouffignac (Dordogne).

Un renne apparaît sur ces parois, seul témoin d'un temps glaciaire qui a disparu, puis viennent taureaux, bisons, cerfs, chevaux peints en noir, en jaune, en rouge, animaux d'un climat tempéré installé dans l'hexagone autour de ces années 17 000-15 000 avant notre ère.

Et c'est ainsi que sur cette terre hexagonale surgit la première civilisation connue de l'humanité, brille l'étincelle de l'art, ce phénomène majeur du paléolithique. Dans la profondeur abyssale du temps, l'âme germe là où l'homme jette un regard interrogateur sur lui-même et sur le monde.

Là, il creuse une tombe, et quelques millénaires plus tard, alors que les temps glaciaires s'achèvent, il prend soin de ses morts. Il dresse des pierres en de longs alignements, et ces menhirs, encore debout, rappellent que le temps le plus reculé, le plus obscur, est toujours le nôtre, que l'âme de la France d'aujourd'hui n'en finit pas de communier avec ses origines.

Ailleurs, l'homme d'après le paléolithique construit des dolmens, lourdes tables de granit, tombes individuelles ou collectives. Ces rites funéraires, ces monuments dressés aux disparus, ces manifestations de l'âme, révèlent que l'homme vivant veut que ses morts demeurent à ses côtés.

Il ne lui suffit plus de se livrer à des repas rituels où il mange le cœur et le cerveau, la moelle des os des disparus, manière de conserver leurs forces en lui. Il veut les honorer, les garder près de lui en ces lieux où désormais il s'installe en sédentaire, où il commence – quatre mille ans avant notre ère ? – à gratter le sol pour creuser un trou, tracer un sillon, enfouir une semence, devenant ainsi agriculteur et non plus seulement chasseur.

Les terroirs se dessinent entre les tombes.

Et ils composent aujourd'hui une cartographie de la préhistoire française.

Qui marque encore notre sol, notre présent.

Chaque année, durant le dernier quart du xxe siècle de notre ère, moins d'une dizaine de milliers d'années après la construction des menhirs et des dolmens, et moins de vingt mille ans après que les hommes eurent peint les fresques rupestres de la grotte de Lascaux, un président de la République gravissait la roche de Solutré, en Saône-et-Loire, accompagné d'une petite foule de courtisans et de journalistes.

Autour de ce rocher surplombant la plaine se trouvait un amoncellement de carcasses de plus de dix mille chevaux. Poussés vers le vide par les chasseurs préhistoriques qui, les poursuivant, les acculaient à la mort, ou bien victimes d'un cataclysme ? Le mystère demeure.

Mais ce « pèlerinage présidentiel », ce rituel, cette manière de tenir le fil noué avec les hommes des premiers temps, leurs lieux sacrés, de mettre ses pas dans l'humus humain de notre hexagone, montrait que l'âme de la France restait liée aux temps préhistoriques et qu'elle se reconnaissait comme leur fille lointaine. Mais peut-on employer ce mot pour dire vingt mille ans, après avoir parcouru des centaines de milliers d'années ?

2.

Ce n'était plus les temps glaciaires, et l'âme des hommes de cette terre hexagonale qui s'appellerait la France fixait ses premiers repères dans un climat tempéré.

De la grotte de Lascaux à la roche de Solutré et aux milliers de menhirs dressés à Carnac, les représentations picturales ou les tumulus funéraires collectifs et les tombes individuelles faisaient de la terre un espace sacré, d'autant plus qu'on apprenait à la labourer, à la ensemencer, et qu'ainsi sanctifiée par l'humus humain elle devenait la Grande Mère qui conservait les corps pour leur donner une autre vie, mais aussi la Nourricière qui compensait les aléas de la chasse et de la cueillette.

Et on voulait désormais s'enraciner, se tenir serrés les uns contre les autres pour cultiver, tisser, modeler ces poteries que l'on décorait en griffant le vase encore malléable avec des coquillages (le cardium). Et l'art naissait ainsi, sur les rives de la Méditerranée, pour remonter la vallée du Rhône vers le nord.

C'est là, non loin du fleuve, entre le massif hercynien et la montagne alpine, que l'on retrouve, à mi-chemin entre Avignon et Orange, les traces du premier village d'agriculteurs de la future France : Courthezon.

On y polit la pierre – c'est l'époque néolithique –, mais on y utilise bientôt les métaux, le cuivre – l'âge chalcolithique – puis le bronze, et, à la fin du néolithique, le fer.

En moins de cinq mille ans – Courthezon a été créé vers 4650 avant notre ère – il se produit ainsi plus de transformations dans notre hexagone qu'il ne s'en était accompli en plus de cinquante mille ans !

On incinère les morts, on enfouit leurs cendres dans des urnes que l'on regroupe en vastes champs ainsi peuplés de l'âme des défunts. On crée des tombes individuelles, on édifie des tumulus de bronze. Et la terre n'est plus seulement une étendue, mais un berceau de l'âme. On crée des paysages, on ouvre des clairières, on trace des chemins, des routes.

On construit des maisons sur des pieux au lac de Chalin, dans le Jura. Un village est identifié à Chassey, près de Chagny, en Saône-et-Loire. Entre les groupes de sédentaires, les échanges se multiplient, les routes forment un réseau qui peu à peu dessine la trame de l'hexagone.

Ces hommes qui façonnent des poteries, qui abattent les arbres pour aménager chemins et clairières, qui se préoccupent du destin de leurs morts, sont les premiers occupants de l'hexagone.

Ils ont le crâne court. Ils sont râblés. Mais, au cours du dernier millénaire d'avant notre ère, ils voient prendre pied sur la terre hexagonale d'autres hommes.

Les uns viennent de l'Est, du bassin du Danube, et peut-être de plus loin encore. Les Grecs les appellent Keltai, Celtes, ce qui signifie « les hommes supérieurs, sublimes ».

Les autres viennent du Sud. Ce sont des Grecs de Phocée, et, en 620 avant notre ère, ils créent Marseille, la première cité grecque de l'hexagone. Elle essaimera, donnant naissance à Nikaia-Nice, Antipolis-Antibes, Agathé-Agde, Theline-Arles.

Ces cités-là restent nos repères. Elles sont quelques-uns des premiers points d'appui de l'âme de la France qui, peu à peu, investit l'hexagone, cette terre qui est la première des régions d'Occident à entrer en contact direct avec les grandes civilisations du bassin oriental de la Méditerranée.

Ainsi, durant le premier millénaire avant notre ère, alors que commence l'âge du fer, l'hexagone s'ouvre aux Celtes et aux Grecs qui vont, à leur manière, féconder la terre de la future France et commencer à modeler son âme.