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3.

C'est désormais le vent de l'histoire qui souffle sur l'hexagone. Le temps ne se compte plus en centaines ou en dizaines de milliers d'années, mais en siècles.

L'esprit qui errait dans les temps préhistoriques peut désormais concevoir ces durées qui lui sont plus familières.

De même, il voit entrer dans l'hexagone et dans l'histoire des peuples identifiés qui font partie de sa mémoire et de ses légendes.

Celtes – Gaulois –, Grecs, Romains et Germains peuplant nos mythologies sont autant d'éléments de notre âme contemporaine. Les noms de cités, les vestiges, les monuments, la symbolique qui en est issue, sont au cœur de notre présent.

Nous imaginons que nous sommes leurs descendants directs. On peut, dans un cortège d'aujourd'hui, voir un manifestant, vêtu en Gaulois de légende, porté sur un bouclier, incarner la « résistance » à une loi que l'opinion condamne !

Ainsi, à tout instant, le passé légendaire investit le présent, oriente le futur, garde vivante une âme qui se structure dans les derniers siècles d'avant notre ère.

Les Grecs sont installés le long de la côte méditerranéenne. Les Celtes demeurent au nord, au centre et de part et d'autre du Rhin. Des tribus nouvelles – les Belges – arrivent et les refoulent. Puis surviennent les Germains, qui menacent les Celtes, les repoussent vers le sud, les font entrer en contact avec les Romains.

Ces peuples se côtoient et s'interpénètrent dans ce résumé d'Europe qu'est l'hexagone.

Il n'y a pas une seule « race », un seul « peuple », maîtres du territoire.

Ainsi, dès sa genèse, parce que l'hexagone est comme un impluvium qui recueille toutes les « averses » de peuples, l'âme de ce qui sera la France est ouverte. Les peuples venus d'ailleurs l'irriguent.

C'est leur présence sur le sol hexagonal, et non leur sang, qui détermine leur appartenance et bientôt leur identité, quelle qu'ait été celle de leurs origines.

Dès ces premiers siècles historiques, ce qui concerne l'hexagone touche le reste de l'Europe et toute la Méditerranée. Le bassin danubien et, au-delà, la Grèce et ses colonies d'Asie sont aux sources de ce peuplement hexagonal.

Et les Celtes ne se contentent pas de se répandre dans l'hexagone ; ils envahissent le nord de la péninsule Italique.

Ils ont le coq pour emblème et deviennent, pour les Romains, Galli, Gaulois, du nom de ce coq, gallus.

En 385 avant Jésus-Christ, ces Gaulois sont sous les murs de Rome et menacent le Capitole.

Quand ils se replient, battus par les Romains, ils s'installent dans la plaine du Pô, où l'un de leurs peuples, les Boii, fonde Bononia, Bologne.

Et cette région padane qu'ils marquent de manière indélébile – n'y a-t-il pas une Ligue du Nord dans l'Italie d'aujourd'hui, et les dialectes de l'Émilie ne recèlent-ils pas des mots « gaulois » ? – devient, pour les Romains, la Gaule Cisalpine, la première Gaule, antérieure à l'hexagonale, la « nôtre », qui ne surgira que peu à peu, trouvant son identité gauloise dans la perception de sa différence d'avec les Grecs, les Romains, les Germains.

Les Gaulois de cette Gaule Transalpine – ainsi nommée par les Romains – s'hellénisent au contact des Grecs des cités de la côte méditerranéenne. Le commerce unit ce Sud au Nord. Des amphores remplies de vin sont transportées sur le Rhône, la Saône, la Seine, le Rhin. D'autres marchandises – armes, tissus, poteries – franchissent les cols des Alpes.

Ainsi, en même temps que surgissent l'identité gauloise et l'âme de la Gaule, se constitue l'Occident.

Cette période de l'âge du fer est donc décisive.

La première séquence – la période dite de Hallstatt, du nom d'un village proche de Salzbourg –, jusqu'aux années 400 avant Jésus-Christ –, puis la seconde, la période de la Tène – du nom d'un village proche de Neuchâtel –, jusqu'aux années 150 avant Jésus-Christ, voient se mettre en mouvement cette dialectique de l'unité et de la division de l'Europe qui sera à l'œuvre tout au long de l'histoire de ce continent.

Les peuples et les régions se séparent et s'unissent. Le réseau des routes commerciales les rapproche, unifie peu à peu leurs mœurs.

À Vix, dans la Côte-d'Or, au pied du mont Lassois qui commande et verrouille la vallée de la Seine, la tombe d'une princesse, morte autour de sa trentième année vers l'an 500 avant Jésus-Christ, contient un immense cratère grec (1,65 mètre de haut, plus de 200 kilos). Les bijoux de cette jeune femme permettent de mesurer l'éclat de cette civilisation celtique – on dira bientôt gauloise – ouverte aux influences grecques, qui marque une étape de plus dans la construction de l'âme de la France.

Plus au sud, dans la Drôme, le village du Pègue révèle lui aussi l'influence grecque : un champ d'urnes, un ensemble de fortifications.

La civilisation celtique s'enracine ainsi en maints lieux de l'hexagone.

À Entremont, non loin d'Aix-en-Provence, on identifie un ensemble fortifié construit vers 450 avant Jésus-Christ.

Des villes : Bibracte, près d'Autun, sur le mont Beuvray, Gergovie, proche de Clermont, Alésia, dans la Côte-d'Or, témoignent du déploiement de cette âme « gauloise ».

Un président de la République, à la fin du xxe siècle, a même songé, un temps, à se faire inhumer sur le mont Beuvray. Il avait même acquis à cette fin une parcelle de terre, voulant par là s'insérer au plus profond de notre histoire, peut-être se l'approprier.

Vitalité toujours renouvelée de nos origines légendaires...

En tous ces lieux on découvre la créativité gauloise. Ils inventent le tonneau et le savon. Ils sont charrons, forgerons, charpentiers. Ils construisent des chars à deux ou quatre roues. Ils les placent parfois auprès de leurs chefs décédés, dans les tombes princières qu'ils bâtissent pour les honorer.

Ce sont des guerriers valeureux, aux armes puissantes : glaive court, hache. Ils sont bons cavaliers et chargent, casqués. Impitoyables, ils pendent à leur ceinture les têtes de leurs adversaires vaincus.

Les Romains se méfient de ce peuple gaulois qu'ils contrôlent en Gaule Cisalpine, mais qui reste tumultueux en Gaule Transalpine.

Ils veulent l'isoler de cette mer Méditerranée où se croisent et s'articulent les relations entre toutes les provinces de leur république : cette Mare Nostrum qui ne saurait être menacée par les Gaulois.

Alors ils font la conquête du littoral méditerranéen, y créent des villes, dont Narbonne. La province qu'ils y instituent, qui portera le nom de Narbonnaise, tient les Gaulois éloignés de la mer.

Ainsi s'ébauche à partir de cette province la surveillance – qui conduit à la domination – par les Romains de la Gaule Transalpine. Ils y interviennent, nouant des alliances avec tel ou tel des peuples gaulois, Éduens, Arvernes, Séquanes, Rèmes, Lingons. Ils jouent habilement des rivalités entre eux tous.

Dès l'origine, ce peuple gaulois qui s'unifie porte donc en lui, par sa diversité même, des ferments de division. L'âme de la France peut toujours se fissurer, une partie d'elle-même, être attirée par la rupture, la séparation, l'alliance avec l'étranger.

Et les Romains, adossés à la Narbonnaise, de définir ainsi trois Gaules : l'Aquitaine, la Celtique, la Belgique.

Ils creusent de cette manière, sur le territoire de la Gaule, des sillons, presque des frontières, qui ne s'effaceront plus.

Dans chacune de ces Gaules, les cités sont autant de lueurs qui continuent de briller depuis ces débuts de l'histoire.

Avaricum (Bourges), Cenabum (Orléans), Autricum (Chartres), Vesontio (Besançon), Lutetia (Paris), Adenatunum (Langres), Burdigala (Bordeaux), Segodunum (Rodez), Mediolanum (Saintes), Lemonum (Poitiers), Samarobriva (Amiens), Rotomagus (Rouen), Arras, Beauvais, Reims (créées respectivement par les peuples des Arelates, des Bellovaci, des Rèmes) : nommer ces cités, c'est parcourir toute l'histoire de France jusqu'à l'avènement du xxie siècle.