C'est découvrir, au cœur des villes d'aujourd'hui, des vestiges qui sont les racines de notre présent.
Ces cités et ces lieux constituent une sorte d'archipel dont la plupart des « îles » – ces villes – se perpétuent au milieu d'un grand remuement de peuples.
Les Parisii et les Séquanes quittent alors le bassin de la Seine sous la poussée des Belges, et gagnent les uns le Yorkshire, les autres la Franche-Comté.
Les Romains s'emploient à refouler les Germains, dont ils craignent l'alliance avec les Gaulois. Et en 102-101 avant Jésus-Christ, le consul Marius bat les Teutons à Aix-en-Provence, et les Cimbres à Verceil, en Gaule Cisalpine.
Ainsi se créent des séparations, des oppositions, qui vont perdurer.
La Gaule qui a rassemblé et amalgamé les peuples est aussi le lieu de leur émiettement, une source qui se déverse dans les régions voisines.
Elle est, comme sa géographie la détermine, un condensé d'Europe, le territoire où toute l'histoire du continent se noue.
Et sur ce grand berceau hexagonal où vagissent les âmes des futures nations rivales et proches s'étend l'ombre de l'aigle romaine.
4.
Quand les légions de Jules César avancent en Gaule, précédées de leurs aigles aux ailes déployées, l'histoire se mêle à la légende.
Et c'est en s'appuyant sur les Commentaires de César vainqueur qu'on peut se représenter comment se construit alors l'âme de la France.
On voit – on imagine – Vercingétorix, le jeune chef des Arvernes, peuple d'Auvergne, diriger et incarner durant dix mois la résistance à la plus grande armée du monde. Avant d'être battu à Alésia et de mourir étranglé dans une prison souterraine de Rome – le Tullianum – après le triomphe de César, le Gaulois aura réussi à rassembler autour de lui la plupart des peuples de la Gaule, une armée de cent mille hommes, et à infliger au général romain une défaite sous les murs de Gergovie.
Les lieux de ces affrontements entre les légions de César et les guerriers gaulois se sont inscrits dans la longue histoire française.
C'est ainsi qu'une âme nationale palpite au souvenir qu'à Cenabum (Orléans) débuta la première rébellion gauloise contre Rome, qu'elle subit une défaite à Avaricum (Bourges), puis l'emporta à Gergovie (près de Clermont), avant d'être terrassée à Alésia/Alise-Sainte-Reine, sur le mont Auxois.
Cette résistance, magnifiée par les historiens, les romantiques du xixe siècle, devient ainsi l'un des ressorts de l'âme de la France. Et le combattant gaulois apparaît comme l'ancêtre du citoyen républicain. Vercingétorix et ses guerriers préfigurent les soldats de l'an II, les francs-tireurs de 1870 et ceux de 1944. Ils les inspirent. Un peuple résiste à l'envahisseur. Vaincu, il jette ses armes aux pieds du conquérant dans un dernier geste de défi.
Vingt siècles plus tard, Astérix vengera Vercingétorix...
La légende est une potion magique.
Mais, ses vertus évanouies, il reste la réalité, l'histoire. Celle-ci contribue à faire comprendre comment se constituent une âme collective, une nation, dès le temps de César, dans les années 60-50 d'avant notre ère.
Au début, avant que les légions de César n'entrent en Gaule, cette terre est divisée en cent peuples souvent rivaux.
Mais entre eux existe la communauté d'une civilisation celtique avec sa langue, ses dieux, ses prêtres – les druides –, ses rites souvent cruels.
On sacrifie aux dieux – Ésus, Teutatès, Taranis, Lug – des hommes (on retrouvera les vertèbres brisées révélant des meurtres rituels).
Les druides et une « aristocratie » dominent ces peuples.
Le sanglier plus que le coq pourrait leur tenir lieu d'emblème.
Mais cette civilisation commune ne peut effacer les divisions. Les Éduens (établis entre la Loire et la Saône, autour de Bibracte), les Lingons (région de Langres), les Rèmes (région de Reims), sont les alliés de Rome.
Cette division des Gaulois est le levier dont se sert Jules César pour intervenir en Gaule, empêcher les tentatives d'unité entre les Éduens, les Séquanes (Seine), les Helvètes.
Alors que s'ébauche la préhistoire de ce qui deviendra la France, on mesure que l'incapacité à s'unir est comme une maladie génétique de ce territoire, lieu d'accueil de peuples différents, tentés de jouer chacun leur partie.
César exploite cette pathologie.
Il soutient ses alliés. Il protège les Éduens contre les Suèves (des Germains). Il refoule et massacre les Helvètes. Il écrase la révolte des Belges en 57. Il sépare ces peuples et fait du Rhin la frontière entre Gaulois et Germains, entre la Gaule et la Germanie.
César trace là une ligne de fracture décisive qui rejouera tout au long de l'histoire, estompée à certaines périodes, puis à nouveau creusée, un fossé de part et d'autre duquel les peuples devenus ennemis s'observent avant de s'entretuer.
Et tandis qu'il se contente de cantonner les Germains dans les forêts de la rive droite du Rhin, il opprime les peuples gaulois.
Les violences, les atrocités que leur infligent les légions romaines suscitent la rébellion.
Les peuples divisés se rassemblent autour de Vercingétorix. Après plus de cinq ans d'un impitoyable protectorat romain, la résistance s'enflamme et les dix mois de lutte qui suivent forgent la nation gauloise.
C'est dans la lutte et la résistance qu'un peuple se donne une âme.
La légende s'empare alors du dernier carré de combattants gaulois : ceux d'Uxellodunum (dans le Quercy), qui résistent jusqu'en 51 aux légions de César, et qui, afin que tous les peuples de Gaule sachent à quel point les Romains sont implacables, auront les mains tranchées ou les yeux crevés – leur mutilation paraissant à leurs vainqueurs plus exemplaire qu'une mise à mort, plus effrayante qu'un simple égorgement.
Mais le sang répandu, les violences subies, les martyres endurés, ne sont jamais oubliés.
Ils irriguent la longue mémoire d'un lieu, d'un territoire. Et les peuples qui, des siècles plus tard, y demeurent, redécouvrent ces origines englouties, rivières souterraines qui disparaissent durant de longs parcours, puis soudain refont surface.
Et l'âme s'y abreuve, découvrant ces dix mois de résistance, ce chef gaulois, Vercingétorix, qui devient un héros emblématique.
L'âme prend aussi conscience que c'est en Gaule que s'est joué le sort de l'histoire de l'Occident – l'histoire mondiale d'alors.
César, vainqueur de cette guerre des Gaules qu'il a voulue, provoquée, pour rentrer dans Rome en triomphateur, a transformé la République. L'Empire romain va naître comme ultime conséquence de son initiative.
Mais c'est en Gaule qu'il aura trouvé la force de franchir – en 49 – le Rubicon, cet acte qui va changer la face du monde connu.
Comment mieux dire l'importance décisive de ce coin de terre entre les mers, où l'Europe se rassemble ?
5.
Morte était la Gaule celtique, étranglée par la poigne romaine comme l'avait été Vercingétorix dans le Tullianum, à Rome, après six années de captivité au fond de cette prison en forme de fosse.
Mais les peuples renaissent quand ils disposent d'un territoire tel que la Gaule, carrefour entre le Nord et le Sud, lieu de passage et de rencontre.
Celui qui s'installe dans l'hexagone dispose de ce trésor – la situation géographique – qui peut ne pas être utilisé, mais qui, dès lors qu'on le découvre, donne à qui en dispose un atout maître.
Et sur le corps vaincu et blessé de la Gaule celtique surgit ainsi une Gaule latine, pièce maîtresse de l'Empire romain.