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César le veut, lui qui a fixé les limites de ce qui constitue son point d'appui pour régner à Rome.

Et ses successeurs, dont certains naîtront dans ce pays gallo-romain – Claude, à Lyon, qui régnera sur l'Empire de 41 à 54 ; Antonin, à Nîmes, qui sera empereur de 138 à 161 –, veilleront sur ces trois Gaules, l'Aquitaine, la Celtique, la Belgique, les défendant contre les incursions barbares, germaniques, élevant un limes sur le Rhin.

Quand, à partir du iiie siècle de notre ère, les Alamans et les Francs, des Germains, s'avanceront, les empereurs tenteront de les repousser, divisant la Gaule en deux circonscriptions administratives, l'une (au nord de la Loire et du cours supérieur du Rhône) ayant Trèves pour capitale, et l'autre, au sud, avec Vienne.

Pour trois siècles la Gaule romaine échappera aux invasions germaniques et restera unifiée.

C'est le latin, devenu la langue de ce nouveau pays, qui y structure l'âme des peuples.

On découvre ainsi que l'hexagone est un creuset assimilateur. La civilisation romaine envahit tout l'espace, conserve les lieux de culte des dieux gaulois pour y célébrer les siens propres.

Ceux qui refusent la collaboration et l'assimilation quittent la Gaule pour les îles Britanniques ou bien pour les forêts de Germanie.

Ceux des Gaulois qui ne sont pas réduits en esclavage, qui n'ont pas été mutilés, qui n'ont pas eu les yeux crevés, les mains tranchées par leurs vainqueurs, acceptent cette nouvelle civilisation, accueillante dès lors qu'on collabore avec elle, qu'on reconnaît ses dieux, son empereur, qu'on sert dans son armée – c'est ce que fait l'aristocratie gauloise.

Les Gaulois deviennent citoyens de Rome ; ils se mêlent aux vétérans romains qui fondent des colonies d'abord en Narbonnaise, puis, plus au nord, le long de la vallée du Rhône.

La paix romaine s'appuie sur ces villes nouvelles : Béziers, Valence, Vienne, Nîmes, Orange, Arles, Fréjus, Glanum – près de Saint-Rémy-de-Provence –, Cemelanum – près de Nice. On élève des trophées à La Turbie, à Saint-Bertrand-de-Comminges, pour célébrer la pacification, la victoire sur des résistances locales.

On écrase des révoltes – celle de Vindex en 68 –, des mutineries dans l'armée du Rhin en 70 de notre ère.

Mais plus jamais la Gaule tout entière ne s'embrase. Elle est désormais romaine.

Les repères que retient notre mémoire, qui balisent l'âme de la France, sont désormais des constructions romaines.

Les voies pavées se ramifient, l'une conduisant du sud (Arelate, Arles) au nord-est (Augusta Treveronum, Trèves), et l'autre d'est en ouest, les deux se croisant à Lugdunum (Lyon).

C'est la ville de l'empereur Claude, la capitale des Gaules. Un môle dans l'histoire nationale.

Ici les trois Gaules – Aquitaine, Celtique, Belgique – envoient chaque année les délégués de leurs soixante peuples pour débattre au sein d'une assemblée fédérale qui se réunit le 1er août. Là, au confluent du Rhône et de la Saône, on célèbre le culte de Rome et de l'empereur, on affirme l'unité de la Gaule romaine et sa fidélité à l'Empire.

Lugdunum devient l'un de ces lieux emblématiques qui renaissent à chaque période de l'histoire. Elle doit son nom au dieu gaulois Lug, voit s'élever un autel pour célébrer l'empereur, et c'est dans l'amphithéâtre de la ville que sont torturés les martyrs chrétiens – sainte Blandine –, en 177, sous le règne de l'empereur philosophe Marc Aurèle.

Et c'est Lugdunum qui deviendra ultérieurement le siège du primat des Gaules, capitale du christianisme comme elle avait été capitale de la Gaule romaine.

Mais Lugdunum n'est que le centre d'une constellation de villes, d'un maillage urbain qui sert de trame à l'histoire de la nation et d'armature à son âme.

Pas une de ces villes romaines (presque toutes nos villes d'aujourd'hui se sont élevées sur un premier noyau romain qui lui-même a souvent germé sur une cité gauloise) qui n'ait laissé une trace monumentale : vestiges de thermes ou d'amphithéâtres, d'aqueducs, de demeures – Maison carrée de Nîmes, pont du Gard, théâtres d'Arles, de Nîmes, d'Orange, arènes de Lutèce, thermes de Vaison-la-Romaine...

Toute une civilisation romaine s'épanouit et les campagnes se peuplent de villae, les clairières s'étendent, l'agriculture et l'arboriculture se répandent. Le vignoble progresse jusqu'au Rhin.

Qui se rappelle que tel temple de Janus, près d'Autun, a été construit sur un lieu de culte des dieux gaulois ? Et que l'oppidum de Bibracte – sur le mont Beuvray –, d'origine gauloise, est lui aussi devenu lieu de culte romain ?

Mais ce passé s'estompe, s'enfouit, même si on en retrouvera un jour la trace et s'il rejaillira.

Après Alésia et la reddition de Vercingétorix, la Gaule est devenue romaine sans réticence ni remords. Son âme se construit autour des valeurs et des mœurs romaines. La bière a cédé la place au vin.

Quand on s'insurge – à partir de la fin du iiie siècle –, c'est contre telle ou telle mesure jugée trop rigoureuse ou trop coûteuse (les impôts). Mais ces paysans révoltés, les bagaudes, ne visent pas à construire une autre unité politique.

Rome est l'horizon de tous.

Seuls les chrétiens refusent, malgré les tortures, le martyre – ainsi ceux qui ont pour théâtre Lugdunum –, de célébrer le culte de l'empereur et de Rome.

Mais les peuples barbares qui se pressent contre le limes rhénan rêvent, eux, de submerger la civilisation romaine. Et c'est le creuset gaulois qui, au début du ve siècle, paraît, autant que l'Italie, le représenter.

Ils vont déferler, couvrir l'hexagone de leurs peuples, et, au contact d'une terre déjà imprégnée d'« âme », s'y transformer.

2

LA SÈVE ET LA TAILLE

des invasions barbares à 1328

6.

C'est le temps des barbares, et rien ne peut arrêter leur déferlement.

Ils franchissent le Rhin et les Alpes. Ils débarquent sur les côtes. Ils viennent du fin fond de l'Europe. D'autres barbares derrière eux les poussent en avant. C'est une grande migration de peuples qui s'enfoncent dans la Gaule, la traversent ou bien s'y installent, la défendent contre ceux qui arrivent après eux.

Cette terre hexagonale fécondée depuis des millénaires par les peuples divers qui, tous, y ont laissé leurs traces, leurs morts, donne ainsi naissance à une autre civilisation.

Avec ses cent cités, ses dix-sept provinces, ses deux diocèses, la Gaule gallo-romaine s'efface. Elle est démantelée comme ses monuments qui deviennent des carrières, dont on arrache les blocs de pierre pour bâtir demeures, murs d'enceinte, bientôt châteaux forts et églises.

Et ainsi, tout au long de cinq siècles obscurs – de l'an 400 à l'an mil –, les vestiges de Rome nourrissent et inspirent ce qui naît sur ce territoire qui n'est plus la Gaule, mais la France. Elle porte désormais le nom d'un peuple germanique, installé sur le Rhin inférieur et qui, depuis des décennies, est déjà en contact avec les Gallo-Romains.

Ces Francs sont devenus soldats. Ils commandent des légions. Peu à peu, ils cessent d'être des mercenaires pour devenir les maîtres de ces régions situées au-delà de l'Escaut et du Rhin.

D'autres peuples pénètrent à leur tour cette Gaule dont les villes, le sol fertile – ces grands champs de céréales –, le climat tempéré, les voies romaines, les villae campées au centre de vastes exploitations agricoles, les attirent. Tout est butin dans ce pays où il fait bon vivre.

Les tribus germaniques – Vandales, Suèves, Burgondes, Alamans, Goths, Wisigoths, Alains – se ruent année après année sur l'hexagone, y taillent leur territoire, sont refoulées par d'autres.

Les Wisigoths venus des Balkans sont installés dans le Sud-Ouest ; ils y fondent les royaumes de Toulouse et de Bordeaux, puis sont repoussés dans le nord de l'Espagne.