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Il s'agenouille devant les reliques de sainte Geneviève et le tombeau de Clovis.

Il communie à Tours devant le mausolée de saint Martin. Il participe à la messe dans ces églises qui s'élèvent ici et là, en des lieux où depuis toujours on célébrait le culte des dieux païens, qu'un seul Seigneur désormais remplace.

Parmi ce peuple des croyants, cette cohue de pèlerins qui donnent à leurs fils le nom de Martin, on ne sait plus distinguer ceux qui sont d'origine germanique de ceux issus de ces villes et de ces villages gallo-romains.

L'Église est un immense baptistère qui rassemble et unit, préside à la naissance de cet enfant encore vagissant et fragile : le peuple français.

Il est présenté sur les fonts baptismaux par la tradition romaine dont le catholicisme est l'héritier et dont l'Église conserve la richesse. C'est en latin qu'on prie.

Mais il a aussi un parrain germanique, homme libre portant les armes, se plaçant au service d'une aristocratie franque qui fusionne elle aussi avec l'aristocratie gallo-romaine. Et c'est la religion, la foi, le baptême, qui rendent possible et sanctifient cette union.

Il y a d'un côté la loi germanique – la loi salique – qui fixe les amendes à payer pour chaque délit commis et précise les conditions des successions, dont la femme peut-être exclue. De l'autre, il y a les commandements catholiques qui imposent eux aussi le respect de règles, de principes.

Le royaume franc fait ainsi le lien – incarne la rencontre et l'union – entre le monde germanique et l'héritage antique. Et la conversion de Clovis, l'église vouée à sainte Geneviève, le mausolée au cœur de Paris, affirment ce rôle décisif de la terre « française » entre les deux versants majeurs de la civilisation européenne telle qu'elle commence à apparaître.

Mais les reliques d'une sainte et le tombeau d'un roi, les prières d'un peuple, ne suffisent pas à maintenir l'unité du royaume franc.

À la mort de Clovis, le partage entre ses fils crée quatre royaumes avec à leur tête un Rex Francorum. Ils ont chacun une ville emblème pour capitale : Paris avec Childebert, Reims avec Thierry, Orléans avec Clodomir, Soissons avec Clotaire.

Une logique d'affrontement, exprimant le désir de réunir ce qui vient d'être partagé, se met inéluctablement en branle. En 561, après un demi-siècle de luttes, Clotaire aura reconstitué l'unité du royaume.

Mais, autour du royaume franc, au sud et au nord, d'autres royaumes se sont constitués : la Septimanie (la région de Montpellier) wisigothe, la Provence des Ostrogoths, le royaume burgonde.

En même temps, l'aller et retour entre fragmentation et réunification se prolonge, trace de nouvelles frontières, et surgissent de nouveaux chefs : Mérovée, Dagobert. L'Austrasie (entre Rhin, Meuse, Escaut : la Lorraine, la Champagne, l'Alsace avec Metz) côtoie la Neustrie (Paris et Soissons). Et, s'associant à l'un ou à l'autre au fil des rivalités et des guerres qui les opposent, subsistent le royaume de Bourgogne et celui d'Aquitaine.

En 632, le roi Dagobert fait à son profit l'unité des différentes royautés.

Ces conflits, ces retrouvailles, ces séparations, révèlent la tendance forte et contradictoire à l'émiettement de la terre hexagonale, qu'elle soit celtique, gauloise, romaine ou franque.

Durant ces siècles, c'est un incessant va-et-vient entre éclatement et cohésion, les forces qui séparent et celles qui soudent.

Mais, face à cet avenir à chaque fois incertain, le pouvoir royal, malgré l'appui que lui porte l'Église, s'affaiblit. L'aristocratie, les comtes, les maires du palais, s'en emparent.

Dès le viie siècle, la famille de Pépin de Landen, maire du palais d'Austrasie au temps de Dagobert (qui règne de 629 à 639), s'impose.

Au début du viiie siècle, l'un de ses descendants, Pépin de Herstal (il meurt en 714), devient le chef de fait de toute la monarchie franque.

C'en est fini des descendants de l'aïeul de Clovis, Mérovée, les Mérovingiens.

8.

Pour que le royaume franc recouvre l'unité et donc la force qu'il avait acquise en sa prime jeunesse, au temps de Clovis, à l'orée du vie siècle, il ne suffit pas qu'une dynastie succède à une autre et que les descendants de Pépin de Herstal écartent définitivement les Mérovingiens.

Il faut que chacun des nouveaux maîtres du pouvoir fasse la preuve de sa capacité à maintenir la cohésion de son royaume et à le défendre. S'il y réussit, alors il bénéficiera de l'appui de l'Église et du peuple des croyants.

On enfouira le souvenir des Mérovingiens dans le mépris et la réprobation, et l'âme du peuple se convaincra qu'il y a pour ce royaume – peut-être parce que les hommes et les femmes qui l'habitent, qui en labourent et en sèment le sol, sont chrétiens – une attention particulière de la Providence qui l'arrache aux abîmes pour le faire renaître.

C'est ce sentiment que les croyants éprouvent et que l'Église et ses évêques confortent quand Charles Martel – fils bâtard de Pépin de Herstal – repousse, le 17 octobre 732, sur la voie romaine reliant Poitiers à Tours – la ville de saint Martin –, les Arabes et les Berbères musulmans qui, depuis près d'une décennie, avaient commencé, à partir de l'Espagne, à lancer des razzias sur les villes de Septimanie et d'Aquitaine, s'emparant et pillant Nîmes et Carcassonne, mettant le siège devant Toulouse, saccageant Autun et Sens, Lyon, Mâcon, Beaune, toute la Bourgogne, lançant des raids dans le Rouergue, l'Aveyron, menaçant Avignon.

La victoire de Charles Martel en 732 est donc loin d'être un épisode secondaire.

Le royaume franc ne sera pas conquis, islamisé par ces guerriers qui, rassemblés à Pampelune, ont répondu à l'appel à la guerre sainte lancé par le gouverneur d'Al-Andalus, nom donné à l'Espagne occupée.

Mais, pour être un coup d'arrêt, cette victoire ne met pas fin à la menace.

La poussée musulmane conduit le duc de Provence – Mauronte – à traiter avec l'adversaire afin de partager avec les Sarrasins la domination de la vallée du Rhône. Le duc de Provence ouvre aux musulmans les portes de Saint-Remy, d'Arles et surtout d'Avignon.

On mesure là cette tentation de la séparation, de la trahison, du choix de l'« étranger », fût-il un infidèle, pour échapper à la tutelle du pouvoir central.

Périsse le royaume pourvu que je règne en maître sur ma province ! Tous les moyens sont alors bons pour y parvenir.

Mais, en 734, à la tête de l'armée franque, Charles Martel vient mettre le siège sous les murs d'Avignon, bientôt conquise, et les Arabes sont passés au fil de l'épée avec leurs alliés. La ville est pillée et incendiée.

Bientôt, après quarante années de lutte, la présence musulmane, à l'exception de quelques lieux sur la côte méditerranéenne, est chassée de la terre franque.

Et Charles Martel est inhumé en 741, à Saint-Denis, parmi les rois.

Il reste dans le légendaire français comme celui qui a préservé la terre chrétienne – et « nationale ».

Il est le vrai fondateur de la dynastie carolingienne.

Après le règne de son fils Pépin le Bref (751 à 768), c'est le fils aîné de ce dernier, Charlemagne, qui va régner, de 768 à 814.

Une autre histoire alors commence.

D'abord se confirme le rôle majeur que joue cette terre franque dans la civilisation chrétienne.

Les armées de Charles Martel ont refoulé les infidèles. Charlemagne et son frère Carloman ont été sacrés à Saint-Denis par le pape Étienne II.

Le premier est empereur en 800.

Ainsi, la tradition romaine donne sa forme à la nouvelle « race » royale issue du monde germanique. Le fils de Charlemagne, Louis le Pieux, sera lui aussi sacré. La royauté est désormais de droit divin.