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Devant la frayeur soudaine qui emplit le regard de la princesse, Mme de Sommières s’inquiéta :

— À quoi pensez-vous ? S’il l’aime autant que vous l’avez dit, elle n’a rien à redouter de son ravisseur.

— De lui, non… mais d’elle-même ? Son amour pour Karim est le reflet exact de celui que j’éprouvais pour Ismaïl. Si elle apprend sa mort, on peut craindre les conséquences de son désespoir. Elle ne voudra pas lui survivre.

— Vous avez survécu, vous ?

— Oui… mais je portais l’enfant de notre amour. Il ne lui reste… que des regrets !

— Et vous n’avez vraiment aucune notion du lieu où on la séquestre ?

— Aucune ! Parce que, même si je crois connaître les possessions de mon frère, il est capable de l’avoir confiée à l’un de ses séides. Ali rêve depuis longtemps de renverser le roi Fouad qui fut mon époux, et il compte de nombreux partisans. Salima peut être gardée chez l’un comme chez l’autre…

Cette fois, Mme de Sommières n’avait plus de questions à poser, seulement à remercier d’avoir été reçue.

— Qu’allez-vous faire à présent ? s’enquit la princesse.

— Prier d’abord pour que ce Béchir s’en sorte… et puis chercher !

Shakiar considéra avec surprise cette grande femme si racée et si élégante en dépit d’un retard considérable sur la mode et qui soutenait son regard de ses yeux verts d’une étonnante jeunesse. Elle semblait même si perplexe que Tante Amélie sourit : elle ressentait l’impression de pouvoir s’attacher cette ex-reine dont elle avait eu, au départ, toutes les raisons de se méfier et qu’elle aurait même dû détester, si l’on s’en tenait à ses relations pour le moins curieuses avec Aldo.

— Non, dit-elle, je ne suis pas la sœur de Sherlock Holmes et ne dirige aucune agence de détectives privés. Je bénéficie d’une foule d’amis et d’une famille extrêmement entreprenante !

— Au nombre de laquelle, par exemple, doit figurer la personne qui s’abrite sous le canotier garni de marguerites qui a l’air de voguer sur les thuyas du jardin ? Et qui semble s’impatienter ?

— Par exemple, en effet ! Il s’agit de ma petite cousine, lectrice et demoiselle de compagnie. Elle est douée de multiples talents…

— Présentez-la-moi ! Je vais la faire chercher !

Un instant plus tard, Marie-Angéline du Plan-Crépin, un peu éberluée tout de même, se retrouvait en train d’adresser une impeccable révérence à « Son Altesse Royale, la princesse Shakiar » qu’elle décorait jusque-là d’épithètes beaucoup moins majestueuses, d’en recevoir un accueil affable et même d’entendre les deux dames s’accorder sur son nom au cas où l’ancienne souveraine aurait un message à communiquer à Mme de Sommières ou même à réclamer sa présence si elle apprenait du nouveau.

Elle fut cependant bien obligée d’attendre que l’on eût repris le bateau avant de lâcher :

— Si nous avions la bonté de consentir à me fournir quelques explications ? Pendant que je me rongeais les ongles dans le jardin, je m’attendais à tout moment que l’on nous mette à la porte !

— Fi ! Quelle horreur ! D’abord, vous devriez savoir que l’on ne met pas à la porte une personne de mon âge et de mon rang, ensuite je croyais vous avoir dit que j’avais rencontré la princesse quand elle était encore reine d’Égypte ? Elle s’en est souvenue !

— Et d’un coup de baguette magique nous sommes devenues des amies inséparables ?

— Pour le fin mot de l’histoire, Plan-Crépin, vous patienterez jusqu’à ce que nous soyons de retour à l’hôtel ! Sachez seulement que je ne regrette pas d’avoir fait cette démarche parce que la situation est plus préoccupante que nous ne l’imaginions !

— Lui avons-nous dit que nous étions la tante du prince Morosini ?

— Pas tout le même jour, Plan-Crépin ! Pas tout le même jour !

Ainsi qu’elle s’y attendait, un silence stupéfait accueillit l’annonce de cette incursion en pays ennemi. Puis Aldo exhala :

— Vous êtes incorrigible, Tante Amélie. Votre expérience mexicaine ne vous a pas suffi ?

— Tu as bien voulu admettre alors qu’elle avait eu son utilité ? Le résultat est plus satisfaisant aujourd’hui !

— Bon ! Racontez !

Sa voix trahissait un léger agacement qui lui valut un regard noir de Marie-Angéline mais il ne le remarqua pas. Il était d’une humeur de dogue. Une lettre de Guy Buteau arrivée au dernier courrier s’inquiétait de la longueur de son absence – non que les affaires soient moins bonnes, la maison marchait comme une horloge ! –, mais s’y ajoutait l’écho d’un appel téléphonique de Lisa qui trouvait, elle aussi, le temps long, spécifiant qu’elle ne quitterait pas Rudolfskrone tant que son seigneur et maître ne serait pas rentré. De plus, elle se plaignait de la rareté de sa correspondance. Le charme de la vie égyptienne peut-être ? De colère, Aldo en avait fait une boule de papier et l’avait envoyée dans la corbeille à papiers !

— Elle n’a qu’à venir me rejoindre, sacrebleu ! Elle verra comme on s’amuse ici !

Et il était allé faire un tour pour se calmer les nerfs !

Cependant, à mesure que se déroulait le récit de la vieille dame, son attention se fixait, encouragée par les coups de pied dans les chevilles que lui distribuait sournoisement Plan-Crépin. Apprendre que Salima était la fille de la princesse et que celle-ci avait dû subir les sévices de son frère le réveilla tout à fait. Et plus encore l’exclamation indignée d’Adalbert :

— Il faut retrouver Salima ! Il faut que je la retrouve à tout prix ! Aux mains de ce salopard, elle est en danger…

— Elle lui est officiellement promise, protesta Mme de Sommières. Et je viens de vous dire qu’il en est passionnément amoureux ! Elle ne court aucun risque !

— J’en suis moins sûr que vous ! Quelle sécurité peut-elle trouver auprès d’un homme qui n’hésite pas à tuer… ou à violer peut-être ? C’est une brute !

— Je la crois de taille à se défendre, hasarda Aldo. Au moins pendant un temps ! Les armes d’une femme ne sont pas les mêmes que les nôtres.

— Mais comprends donc qu’elle n’a plus personne ! On a tué son grand-père, on a tué celui qu’elle… aimait. (Le mot eut du mal à passer !) Sa mère est réduite à l’impuissance et malmenée ! Il ne lui reste que moi et je ne l’abandonnerai pas !

Aldo n’eut pas le temps d’exposer ce qu’il pensait de dispositions aussi chevaleresques. C’eût été peine perdue et il le savait. Mais l’un des employés vint lui dire qu’on le demandait au téléphone et il dut le suivre après s’être excusé.

Dans le hall, la cabine tendue de velours rouge se dissimulait derrière un bac contenant une variété de plantes. Au bout du fil, la voix d’Henri Lassalle se fit entendre, incontestablement anxieuse :

— Demandez à Adalbert d’oublier le mauvais tour que je lui ai joué et amenez-le-moi sans tarder !

— Pourquoi ?

— Béchir vient de mourir. Cet âne malfaisant de Keitoun va certainement l’appréhender ! Il faut faire vite. Je vous propose de sortir avec lui pour une petite promenade digestive d’après dîner en fumant une cigarette ! Une voiture vous attendra près du puits pour le prendre. Vous n’aurez plus qu’à crier à l’enlèvement ! J’espère que vous êtes bon comédien ?

— Là n’est pas la question. C’est lui qui va être difficile à convaincre.

— J’avais bien pensé aller le chercher moi-même, mais à cette heure et parmi les clients de l’hôtel c’eût été annoncer la couleur !

— Ça ne trompera personne ! Keitoun se rendra tout droit chez vous !

— Pas nous sachant brouillés, et il ne l’ignore pas. C’est une petite ville, ici. Pour l’amour du Ciel, dépêchez-vous !

Sa voix trahissait une réelle angoisse. Aldo ne s’y trompa pas. On pouvait décidément s’attendre à tout avec cet étrange bonhomme !

— Il ne va pas être évident de le décider ! Cela va prendre du temps !

— Alors faisons autrement ! Vous avez fini de dîner ?

— Oui. Nous allions sortir de table.