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— Il n’a pas tardé à comprendre, l’animal ! C’est ce qui nous a valu la séance d’hier soir ! À quoi va-t-on avoir droit maintenant, à votre avis ? dit-il en regardant les deux autres. Au fait, Aldo, jusqu’où peut-on compter sur ton ami anglais ?

— Une aide totale, je crois. Il est parti ce matin pour Le Caire afin d’y rencontrer le Consul général et de lui raconter ce qui se passe ici.

— Espérons que…

La sonnerie du téléphone lui coupa la parole. Lassalle se pencha pour récupérer l’appareil sous son bureau. Tout en reconnaissant son utilité, il partageait en effet l’aversion de Mme de Sommières pour cet outil par trop anachronique dans son univers tourné intégralement vers la nuit des temps.

— Lassalle ! J’écoute.

Il n’en dit pas plus et on put le voir pâlir. Adalbert tendit le bras pour saisir l’écouteur mais il l’en empêcha d’un geste vif et raccrocha presque aussitôt. D’une même voix, les deux autres demandèrent :

— Que veut-il ?

— L’Anneau. Il prétend qu’il possède la clef et le plan. Nous avons quarante-huit heures pour réfléchir. Passé ce délai, Adalbert devra livrer l’Anneau au lieu et à l’heure qu’il indiquera. Seul et sans armes, bien entendu.

— Sinon ?

— Salima sera mise à mort devant lui.

Le silence qui suivit pesait le poids d’une dalle funéraire. Adalbert s’était laissé choir sur un siège et, d’une main machinale, repoussait son turban afin de pouvoir fourrager dans ses cheveux. Aldo se leva et vint poser une main sur son épaule avec une ferme douceur :

— Si on ne trouve pas le moyen de le neutraliser d’ici là, il faudra le satisfaire. Il n’y a pas d’autre solution…

Sans répondre et sans lever les yeux, Adalbert couvrit cette main d’une des siennes. On n’avait plus besoin de paroles… Cependant…

— Finalement, vous l’avez donc, cet Anneau ? ne put retenir Lassalle.

— Non ! gronda Aldo en lui jetant un regard furieux. Mais je sais où il est ! Vous êtes content ?

— Pas vraiment… ! Non !

Il avait crié si fort que la tête de Farid apparut dans l’entrebâillement de la porte. Il le renvoya d’un geste :

— Qu’est-ce qu’on fait en attendant ?

— Il faudrait essayer de savoir où la jeune fille est retenue prisonnière, répondit Aldo. D’où venait la communication ?

— De la ville ou des environs immédiats. Ce n’était pas l’interurbain. Vous pensiez à quoi ? À Khartoum ?

— Pourquoi pas ?

— Parce que là-bas, il y a un autre chef de la police et que notre homme doit rester dans le coin. Il doit être quelque part dans les alentours, mais où ? C’est plutôt vaste…

— Rien ne prouve d’ailleurs qu’il ait téléphoné de l’endroit où Salima est retenue. Il a pu appeler de chez un complice ? Ou encore de chez Keitoun ? commenta Adalbert avec amertume.

— De toute façon, on n’arrivera à rien si on reste ici à tourner en rond en se posant des questions auxquelles personne ne peut répondre. Merci pour le café, Monsieur Lassalle ! conclut Aldo en se dirigeant vers la porte.

— Où vas-tu ?

— Je rentre à l’hôtel. Ce soir, je téléphonerai au Caire. Il faut que j’avertisse Sargent. Et puis il me vient une idée…

Sans s’expliquer davantage, il repartit par où il était venu.

Après avoir reposé le combiné sur son support, Assouari resta un moment à le contempler, les bras croisés sur la poitrine, tentant de juguler la fureur qui l’avait envahi. Il ne regrettait aucune des paroles qu’il venait de prononcer : il tuerait sans une hésitation, sans la moindre pitié, celle qui n’avait cessé de lui opposer un dédain insultant, et un mutisme quasi absolu qui l’était plus encore.

Lorsqu’il avait reconstitué le papyrus, il s’était fait ouvrir la chambre où il la tenait captive en compagnie d’une vieille servante pour s’occuper d’elle. Une belle chambre, luxueusement meublée, où rien ne manquait de ce qui pouvait plaire à une femme. Il y avait veillé avant de l’y amener, surveillant lui-même les transformations, voulant un cadre digne de sa beauté en vue de l’instant où elle le laisserait la prendre dans ses bras…

Ce jour-là donc, il était venu à elle débordant de joie et d’espoir.

Comme d’habitude, elle était assise sur un pouf de velours bleu brodé d’or, vêtue des voiles noirs qu’elle refusait de quitter, inactive, immobile même, ses jolies mains abandonnées sur ses genoux et son regard fixé dans le vague. À son entrée, elle n’avait même pas tourné la tête. Il alla s’asseoir en face d’elle pour se trouver au moins dans son champ de vision. Alors elle ferma les yeux…

— Salima ! commença-t-il aussi doucement qu’il put. Cela ne peut pas continuer. Que tu le veuilles ou non, tu es ma fiancée ; tu seras ma femme…, la seule, et nous pourrons faire de grandes choses ensemble. C’est de cela surtout que je suis venu te parler… J’ai réussi à assembler les morceaux du papyrus que tu as trouvé dans la tombe de Sebeknefrou avec ceux de ton grand-père…

Les paupières se relevèrent et elle darda sur lui un regard glacial :

— Mon grand-père que tu as assassiné ! Et tu as le front de m’en parler ?

— Ce n’est pas moi ! Un ordre mal compris ou une vengeance privée peut-être. Je te jure que je ne le voulais pas ! Il faut me croire. J’ai essayé de savoir qui…

Pour seule réponse, elle haussa les épaules mais ses yeux clairs n’exprimèrent plus que le mépris. Il serra les poings et poursuivit :

— Il ne manque plus qu’un fragment… sans intérêt particulier, je pense. Quoi qu’il en soit, grâce à un détail, je vais connaître le lieu où repose la Reine Inconnue ! Et nous allons pouvoir la découvrir ensemble. Dès que tu seras devenue princesse Assouari…

— Je ne le deviendrai jamais !

— Il le faudra bien pourtant, pour que la cérémonie propitiatoire prenne toute sa valeur ?

— Quelle cérémonie ?

— Nous allons devoir transférer le corps d’Ibrahim Bey et les restes de ses pères. Nous le ferons avec le respect qui leur est dû. Et tu seras à mes côtés pour t’en assurer…

Brusquement Salima rougit sous la poussée d’une colère que, en dépit de son empire sur elle-même, il lui était difficile de surmonter :

— Tu veux commettre un tel sacrilège et tu prétends m’y associer ? Tu es fou, je crois…

— Non. Je suis logique. Le tombeau ne peut-être que dessous, creusé dans le rocher sans doute… Peut-être à une grande profondeur, mais il est bien là !

— Ce n’est pas ce que dit la légende : Celle dont on ne sait pas le nom a fait s’écrouler la montagne sur la crypte où elle s’était enfermée… Tu te trompes !

— Non. Tu oublies que plusieurs milliers d’années se sont écoulées. Il en faut moins pour changer la morphologie de la terre et je suis sûr…

— Et d’où tires-tu cette certitude ? fit-elle, méprisante. Tu n’es pas archéologue, à ma connaissance !

— Je sais mieux que ces gens à la science incertaine. Ils ne savent qu’exhumer nos ancêtres morts pour les exposer, dépouillés de leur enveloppe bénie, dans les vitrines de leurs musées. Et tu n’appelles pas cela un sacrilège ? Nous, les enfants de cette terre, devrions les chasser à coups de pierres ! Et c’est ce que je ferai quand j’aurai débarrassé l’Égypte de ces sauterelles humaines, de ce roi fantoche à la botte de l’Angleterre. En possession des secrets de l’antique Atlantide, j’aurai le pouvoir… et le droit car je suis le prince d’Éléphantine, et tu le sais !

Pour la seconde fois, elle lui dit qu’il était fou mais une lassitude se glissait dans sa voix et il le perçut :

— Crois-moi ! J’ai tout en main : le plan, la clef que j’ai fait reprendre au cœur de Londres. Et que voici ! prouva-t-il en la tirant d’une poche intérieure, et le maléfice ne m’atteindra pas parce que, bientôt à présent, j’aurai l’Anneau qui me rendra invincible !

— Tu ne sais pas où il est !

— Ici même, à Assouan ! J’en ai la certitude et c’est celui qui a ouvert la tombe de Sebeknefrou qui me l’apportera sur un plateau. À genoux, si je le veux ! Et toi, je te ferai reine !