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Il s’était levé et marchait avec agitation à travers la pièce. Salima hocha la tête. Pour la troisième fois elle dit : « Tu es fou… », retomba dans son silence et son immobilité. Alors il prit feu, se pencha sur elle et la secoua en la saisissant aux épaules :

— Si tu t’obstines à te refuser, tu porteras le poids de ma vengeance. Ce n’est pas une cérémonie propitiatoire qui délogera Ibrahim Bey mais un paquet de bâtons de dynamite. Quant à toi, après avoir assouvi sur toi ce désir qui m’obsède, je te tuerai ! Ensuite je serai enfin libre !

— Tue-moi donc tout de suite ! Tu nous rendras service à tous les deux !

— Non. Je veux que tu savoures ta mort ! Et puis j’ai encore besoin de toi !

Depuis, il n’avait plus entendu le son de sa voix qu’à une seule occasion. C’était quand il lui avait mis le plan sous les yeux. Elle avait à peine regardé le document en disant qu’elle était incapable de lire les hiéroglyphes. Et lui qui n’y connaissait rien… ! Alors, il s’était mis à la haïr autant qu’il la désirait. Il avait vu clairement le chemin qu’il lui fallait prendre. Vouloir l’associer à son triomphe n’avait pas de sens. Comment n’avait-il pas compris qu’elle n’était qu’une sorcière et qu’elle lui avait jeté un sort ? Ce sort, il fallait qu’il s’en délivre ! Elle devait mourir mais avant il s’assouvirait longuement de son maléfice en la possédant. Puis il la traînerait au lieu du rendez-vous et, l’Anneau enfin en sa possession, il lui ferait sauter la tête afin que son sang abreuve cette terre dont elle repoussait la souveraineté.

Pour un homme de sa force, c’était facile. Il avait déjà exécuté ainsi plusieurs serviteurs infidèles et son joli cou était si mince !

Laissant Adalbert chez Lassalle où, selon lui, il serait mieux protégé qu’à l’hôtel contre les imprévisibles lubies de Keitoun, Aldo n’eut aucun mal à rejoindre Tante Amélie et Plan-Crépin. Celle-ci, l’ayant vu se précipiter dans un taxi, s’était établie sur la terrasse pour attendre son retour et être certaine qu’il ne lui échapperait pas. Mme de Sommières l’y avait rejointe. En quelques mots il les eut mises au courant puis ajouta :

— Puisque vous avez déjà rencontré la princesse Shakiar, je me demandais si vous ne pourriez pas y retourner, Tante Amélie ? Je sais qu’elle vous a assuré ignorer où Assouari retient Salima, mais elle pourrait peut-être faire un effort ? C’est sa fille, que diable ! Et elle est en danger de mort !

— Vous en êtes vraiment si sûr ? émit Marie-Angéline avec un rien d’acidité. Un homme amoureux ne sacrifie pas celle qu’il aime si aisément ! J’y verrais plutôt un excellent appât pour cet imb… pour Adalbert ?

— J’y ai pensé, figurez-vous ! lâcha Aldo à qui le mot ébauché n’avait pas échappé, même s’il n’avait pas été mené à son terme. Mais encore une fois, nous n’avons plus la latitude de négliger la moindre piste. Shakiar a pu avoir du nouveau depuis votre rencontre ?

— De toute façon, on ne risque rien d’essayer ! Mais je ne peux pas surgir chez elle sans crier gare. Je vais lui écrire un mot que Plan-Crépin se fera un plaisir de lui porter. D’ailleurs, la princesse avait suggéré qu’elle serve d’intermédiaire pour d’éventuelles communications.

— Il est certain qu’elle est moins spectaculaire que vous ! sourit Aldo.

Elle l’était même encore moins quand elle alla prendre le bac une demi-heure après. Les canotiers porteurs de marguerites, de cerises ou autres végétaux étaient remplacés par une banale écharpe sombre enveloppant la tête et les épaules. Elle passait ainsi inaperçue au milieu des passagers. Mais quand elle revint environ une heure plus tard, la déception était écrite en toutes lettres sur sa figure : elle n’avait trouvé que le majordome. Son Altesse était partie la veille pour Le Caire sans préciser la date de son retour.

— Et voilà ! conclut Aldo, acerbe. Décidément, ma première impression était la bonne : beaucoup de surface et le vide en dessous !

— Ne sois pas trop sévère ! plaida Tante Amélie. Je te jure qu’à l’issue de notre entrevue elle était réellement désespérée ! Elle est peut-être allée chercher un secours qu’elle ne peut trouver ici entre un gouverneur amorphe et un policier véreux… si ce n’est pourri ?

— Quarante-huit heures, Tante Amélie ! Quarante-huit heures seulement avant qu’Adalbert n’aille exposer sa vie pour une femme qui s’en soucie comme d’une guigne ! C’est à devenir cinglé, non ? !

— C’est une éventualité à considérer, si tu ne fais pas un effort pour te calmer ! Tu as besoin de toutes tes capacités, de ton intelligence, de ton sang-froid en vue de ce moment crucial. Car, bien sûr, tu seras à ses côtés.

Ce n’était pas une question. Il y répondit cependant :

— Jusqu’au bout, vous le savez parfaitement !

— Moi aussi, j’irai ! décida Plan-Crépin, ce qui détourna sur elle la colère naissante sous laquelle la marquise cachait son angoisse.

Elle savait à quel point son amitié pour Adalbert était chevillée au corps de son neveu. Assez puissante même pour lui faire oublier femme et enfants !

— Vous ferez ce qu’on vous dira ! Je salue volontiers vos multiples talents, encore faut-il les utiliser à bon escient ! C’est à Aldo et à Adalbert d’en juger ! Et puis, si je ne me trompe, il nous reste un atout : le colonel Sargent !

— Oh, je ne l’oublie pas ! J’attends seulement qu’il soit au Caire pour l’appeler au téléphone ! Je vais consulter l’horaire des trains pour voir à quelle heure arrive le sien…

Un peu plus tard, Aldo demanda la communication avant de passer à table, sachant qu’il ne l’obtiendrait pas immédiatement. Mais, quand enfin il entendit au bout du fil la voix du portier du Shepheard’s, ce fut pour apprendre que le colonel avait effectivement retenu une chambre mais qu’on l’attendait…

— Un train qui a du retard, c’est fréquent ! remarqua la marquise en guise de consolation.

Il y répondit par un sourire forcé.

Ce fut pis encore quand, le lendemain, il rencontra dans le hall lady Clémentine, visiblement soucieuse :

— Je suis inquiète, lui confia-t-elle. Non seulement mon époux ne m’a pas téléphoné hier soir comme il a coutume de le faire quand il est en voyage, mais je viens d’appeler le Shepheard’s et il n’y est pas. Les trains fonctionnent normalement, aucun retard n’est signalé, et cela lui ressemble si peu !

— Pourquoi ne pas vous adresser au consulat général puisque c’est là qu’il se rendait ?

— Vous avez raison, c’est ce que je vais faire. Un incident peut toujours se produire, n’est-ce pas ?

Il fallait à l’évidence la rassurer. C’était une charmante femme et Aldo fit son possible… Seulement, le soir venu, on ne savait toujours pas ce qu’était devenu le colonel… Et le temps s’écoulait. Le délai imparti pour la remise de l’Anneau se terminait le lendemain.

Aldo, qui ne tenait pas en place et avait toutes les peines du monde à se comporter en individu normal, se rendit chez Lassalle pour savoir si les instructions étaient arrivées.

Il y allait à pied pour se calmer les nerfs quand, chemin faisant, il fut rattrapé par le jeune Hakim, le gamin dont Plan-Crépin avait fait son compagnon habituel dans ses excursions au temple de Khnoum ou sur la rive gauche du Nil. Qui se mit à trotter à côté de lui :

— Ne t’arrête pas et faisons comme si je te demandais la charité ! dit-il.

— Quelle drôle d’idée !

— Non. Ici c’est tout naturel et je ne vais pas te gêner longtemps.

— Tu as quelque chose à me dire ?

— Oui. Toi et tes amis vous faites du souci pour la belle jeune dame ? Je sais où elle est ! Marche plus vite et fais comme si tu voulais te débarrasser de moi…

Aldo en effet s’était arrêté, mais il se remit en marche aussitôt :

— Comment le sais-tu ?

— Mon ami Yazid qui… s’occupe des abords du palais du gouverneur a vu, cette nuit-là, les hommes en noir emporter une femme qui criait et se débattait. Ils l’ont embarquée dans une voiture et ont démarré mais Yazid est courageux… curieux aussi et il s’est accroché à l’arrière de la bagnole. Au début y a pas eu de problème, mais après les cahots l’ont fait tomber. Heureusement, il avait compris qu’ils allaient à la maison d’Ibrahim Bey. Il a attendu. L’auto est repassée devant lui un instant plus tard mais celui qui conduisait était tout seul…