Aldo et Adalbert se regardèrent avec une vague angoisse. Cela avait été si facile ! Comment croire que ce mécanisme étonnamment silencieux pût avoir été construit plusieurs dizaines de siècles avant eux ?
— Tu as l’Anneau, murmura le premier. C’est à toi que revient l’honneur…
— … et le danger souffla Marie-Angéline. Qui sait si cette porte ne se refermera pas sur lui ?
— Tant que la croix est à l’intérieur, cela ne devrait pas se produire… Il vaut peut-être mieux que j’y aille seul, dit Adalbert. Si le panneau se refermait, vous pourriez ouvrir…
Il avait tiré l’Anneau d’une poche de poitrine de sa chemise kaki et le passait à son pouce pendant qu’Aldo allumait aussi une lampe électrique pour éclairer les marches. Il s’inquiéta :
— Tu ne vas jamais pouvoir respirer là-dedans ?
— C’est quelquefois plus facile qu’on ne pense. Et puis j’ai l’habitude !
Sans aucun doute, pourtant en regardant son ami disparaître dans les entrailles de la terre, son cœur se serra. Marie-Angéline devait éprouver une sensation analogue parce qu’elle se rapprocha instinctivement de lui. Pour la rassurer, il essaya la plaisanterie :
— Impressionnant, non ? Il va falloir vous y faire, si vous optez un jour pour l’archéologie active ! Il y a de la taupe et du blaireau dans la profession.
— Cela dépend quel maître on suit, riposta-t-elle avec un regard indigné.
Peu à peu, le cône lumineux diminua et disparut. Pour ceux qui restaient en surface, l’attente commençait…
Au bas de l’escalier, Adalbert trouva un couloir parfaitement taillé mais sans aucun ornement. Il progressait lentement, attentif à l’endroit où il posait les pieds, connaissant, d’expérience, les pièges – sol qui se dérobe soudain ou fosse hérissée de piques obligeant à raser les murs – que l’invention des anciens s’était plu à semer sous les pas de l’imprudent. Mais il ne rencontra rien de semblable. Tout, au contraire, paraissait incroyablement aisé. De même, il n’éprouvait aucune difficulté à respirer. Aucune odeur déplaisante non plus mais une imprécise senteur de myrrhe apaisante pour les battements désordonnés de son cœur. Pas davantage de crainte ! Il se sentait léger, heureux comme s’il allait à un rendez-vous donné par une jolie femme. Et au fond c’en était un, à cette différence près que la Reine Inconnue, s’il avait la chance inouïe de la rencontrer, ne serait certainement plus qu’un corps décharné, parcheminé, enveloppé de bandelettes de lin sous une gaine d’or à son effigie puisque, selon la vieille légende, les Égyptiens auraient hérité leur savoir de ces Atlantes qui avaient su porter leur civilisation et leurs techniques à un degré exceptionnel. Pourtant, même cette idée-là ne parvenait pas à ternir l’ivresse indéfinissable qu’il ressentait, identique à celle que procurent au plongeur les profondeurs océaniques…
La vue inopinée d’un mur surgi devant lui le ramena à la réalité. Lisse et nu, il doucha son enthousiasme : c’était trop facile, aussi ! Il allait falloir jouer de la pioche… mais il s’aperçut vite de son erreur : ce n’était qu’un décrochement au-delà duquel le couloir effectuait un coude. Soulagé, il l’emprunta en se traitant d’imbécile. C’est alors que la lumière de sa torche lui revint en pleine figure en même temps qu’une forme humaine se dessinait derrière. C’était comme si quelqu’un venait à sa rencontre…
Il lui fallut un moment pour comprendre que c’était son image et qu’il avait devant lui un miroir d’une facture inconnue dans lequel il se reflétait avec cependant des teintes différentes, dorées et rosées. Il finit par se rendre compte qu’une porte recouverte d’orichalque lui interdisait le passage. Restait à savoir comment l’ouvrir !
Calant la lampe sous son bras, Adalbert y appuya les deux mains sans obtenir aucun résultat. Elle ne bougea pas. Il pensa qu’elle était scellée et que le seul moyen était de la fracasser, mais c’était une véritable œuvre d’art contre laquelle la moindre violence était impensable… Elle était bordée sur tous les côtés d’une frise gravée représentant des oiseaux et des fleurs réalisés avec une délicatesse infinie. Jamais il ne pourrait se résoudre à la détruire !
Malheureux tout à coup, il posa la lampe à terre et passa ses mains le long de la frise dans l’espoir de trouver un point jouant le même rôle que la croix dans le rocher, mais rien ne vint…
Il s’assit sur le sol, laissant la lumière refaire le parcours de ses mains, lentement, très lentement… Il avait presque fini le tour quand il remarqua, en bas et dans un coin, une petite fleur de lotus penchée dont le pistil était composé d’une croix ansée renversée présentant un infime renflement. S’il y avait une chance, ce ne pouvait être qu’à cet endroit…
Tendant une main singulièrement nerveuse, il toucha le lotus. Sa gorge était sèche comme du papier buvard. Il appuya une fois, deux fois, déjà proche du désespoir parce que rien ne se produisait. À la troisième cependant le pistil s’enfonça, un déclic à peine audible se fit entendre et le panneau d’orichalque se mit à descendre…
Adalbert se releva mais dut s’adosser à la paroi rocheuse. Ses jambes vacillaient, son pouls s’accélérait et son cœur battait la chamade. Il crut un instant qu’il ne pourrait faire un pas de plus. Il tendit le bras, dirigeant le jet lumineux à l’intérieur de l’ouverture obscure. Des éclairs dorés s’allumèrent à mesure que la lampe balayait le lieu. Alors il retrouva son équilibre, ce qui lui permit de pénétrer plus avant. Il se figea, stupéfait, ébloui. Jamais il n’avait imaginé contempler un jour pareil spectacle… Ce tombeau ne ressemblait à aucun de ceux qu’il avait pu rencontrer au cours de sa carrière.
La salle qui se présentait à lui était ronde. Ses parois alternaient des demi-colonnes dont le style évoquait l’art dorique et de grandes plaques d’orichalque sur lesquelles étaient gravés des hiéroglyphes étranges qu’il ne pouvait déchiffrer parce que plus proches des Mayas que des Égyptiens. Adalbert ne s’y attarda pas. Et pas davantage sur la multitude d’objets – lit, coffres, objets d’art ou d’usage tous en or, émaillés ou sertis de turquoises ou d’émeraudes, tous disposés soigneusement de façon à recréer l’appartement d’une reine ou d’une jolie femme. Ils environnaient non un sarcophage mais une sorte d’autel sur lequel une forme blanche était étendue vers laquelle il dirigea le faisceau lumineux avec une crainte sacrée, et qu’il découvrit en se demandant s’il ne rêvait pas. Cela ressemblait à une châsse de verre insérée dans une armature d’or au sein de laquelle était couchée la forme blanche d’une femme, une vraie, pas une momie, aussi naturelle que si elle venait de s’étendre là pour s’endormir.
La peau légèrement ivoire, les longs cheveux noirs retenus par un diadème d’étoiles, d’émeraudes encadrant le trident de Poséidon taillé dans la même pierre. Les cils immenses, les délicates mains fines croisées sur la poitrine, la nacre des dents que laissait entrevoir l’esquisse d’un sourire, le corps enfin sobrement vêtu de lin plissé laissant deviner des formes exquises, tout était merveilleusement réel… Tout était à l’image même de Salima !
Elle faisait resurgir le conte de La Belle au bois dormant, à cette différence près qu’elle n’avait pas traversé un seul siècle mais plusieurs milliers !
Bouleversé, Adalbert se laissa tomber à genoux sur les marches, luttant contre l’envie d’enlever le coffre de verre pour la toucher… peut-être pour poser un baiser sur les lèvres décolorées avec l’espoir fou d’y ramener le souffle de vie mais, s’il posa les mains sur la paroi translucide, il n’osa pas s’aventurer plus loin par crainte de la voir se racornir sous ses yeux, devenir semblable à ces formes momifiées allongées sur des bancs devant chaque pilier de la salle. C’étaient sans doute les serviteurs qui s’étaient enfermés là pour accompagner leur reine dans la mort… une reine dont on ne savait toujours pas le nom. Aucune inscription sur le socle d’or qui la soutenait ! Pour quoi faire, d’ailleurs, puisque ce tombeau fabuleux devait rester à jamais ignoré ?
Il aurait aimé pouvoir lire les inscriptions des murs mais, encore qu’il discernât dans plusieurs d’entre elles des analogies avec les hiéroglyphes qui lui étaient tellement familiers, c’était insuffisant pour déchiffrer leur signification. Il aurait fallu l’équivalent de la pierre de Rosette qui avait livré à Champollion la clef de l’antique écriture. Or, à l’exception de ces plaques murales dont l’archéologue finit par penser quelles devaient composer un livre, il n’y avait aucun support d’écriture : pas le moindre rouleau de papyrus ni quoi que ce soit d’autre…