Adalbert pensa cependant qu’il avait du exister un lien entre l’époque atlante et la haute Antiquité égyptienne. Quelqu’un avait survécu à la catastrophe, quelqu’un savait qui avait pu transmettre une partie des secrets, qui avait peut-être recréé une écriture. Peut être ce Grand Prêtre Jua dans la tombe duquel Howard Carter avait trouvé l’Anneau ? À moins que celui là aussi ne soit trop récent. Alors ?
Alors, il avait dû exister un ou plusieurs chaînons manquants et l’énigme ne serait jamais résolue… comme demeurerait à l’état de légende la tombe de la Reine Inconnue, même si Adalbert lui-même cherchait à découvrir ce chaînon.
Il resta là un long moment à la contempler. Elle était si merveilleusement belle dans sa simplicité ! Le diadème d’émeraudes était sa seule parure au milieu d’un fantastique trésor car, des pierres non montées, il y en avait partout sur les meubles d’or, dans des coffrets, dans des coupes, jusque sur les marches du sarcophage de verre. De quoi susciter toutes les cupidités, toutes les bassesses, et point n’était besoin d’une grande imagination pour prévoir leur ignoble ruée dans ce sanctuaire si le secret s’éventait…
Le temps passait sans qu’il en eût conscience, perdu qu’il était dans son rêve éveillé. Ce fut sa lampe qui, en donnant des signes de fatigue, le rappela à la réalité. Alors il posa sur le coffre de verre le baiser qu’il ne pouvait donner et, sans rien emporter, sans rien toucher, il sortit du tombeau. La dalle d’orichalque se referma d’elle-même dès qu’il l’eut franchie.
En regagnant la caverne, il vit Aldo et Marie-Angéline qui l’attendaient, assis chacun sur un rocher. Ils avaient l’air de dormir. Aldo ne fumait même pas, sans doute pour ne pas laisser l’odeur du tabac révéler leur présence. Mais le visage encore ébloui d’Adalbert les frappa.
— Alors ? demandèrent-ils avec un bel ensemble.
— Je n’aurais jamais cru qu’il me serait donné de contempler une telle splendeur ! Tu veux aller voir ? ajouta-t-il en tendant l’Anneau à son ami, mais avec un semblant de réticence qu’Aldo comprit :
— Non ! Tu sais depuis combien de temps tu es descendu ?
— Je ne l’ai pas vu passer. C’est ma lampe qui m’a rappelé à la réalité.
— Cinq heures ! Nous commencions à penser qu’il faudrait peut-être vérifier si tu avais besoin d’aide… ou au moins de piles neuves ?
— Et vous, Marie-Angéline ?
Elle refusa d’un signe de tête sans rien dire, devinant que sa curiosité choquerait Adalbert. Il donnait tellement l’impression de revenir d’ailleurs !
— Que faisons-nous ? demanda Aldo.
— D’abord, il faut remercier et saluer le vieil homme et puis nous rentrons !
Adalbert alla retirer la croix et le rocher se referma derrière lui silencieusement mais, s’il accepta l’enveloppe de soie que lui tendait Plan-Crépin, il ne la lui rendit pas. Elle ne put retenir la curiosité qui la dévorait :
— Vous avez l’intention de revenir demain et d’entreprendre…
— Rien du tout ! fit-il en souriant. Je ne reviendrai jamais… Je vous demanderai à tous les deux d’oublier que nous sommes venus ici… sauf évidemment pour Mme de Sommières. Mais rassurez-vous, je vous raconterai…
— Et… à M. Lassalle aussi ? s’inquiéta-t-elle d’un ton soupçonneux qui le fit rire.
— À lui moins qu’à tout autre ! Il deviendrait fou !
Après le dîner, ce soir-là, on se réunit dans le petit salon de Tante Amélie pour entendre le récit d’Adalbert. Son talent oratoire joint à l’émotion qu’il avait ressentie en fit un moment de pure beauté. Il omit seulement de dire que Salima avait été le portrait vivant de la belle endormie. Ce détail-là, il le réservait aux seules oreilles d’Aldo pour ne pas attrister Marie-Angéline.
— Magnifique ! applaudit la marquise quand il eut fini. J’ai retrouvé en vous écoutant mes rêves de petite fille quand ma mère me lisait un conte de fées ! Mais il est dommage que vous n’ayez pu déchiffrer l’écriture de cette fabuleuse époque. Ainsi, vous ne savez toujours pas son nom ?
— Hélas, non ! Elle est et restera la Reine Inconnue. Et je pense sincèrement que c’est aussi bien ainsi… Au fait, Marie-Angéline, je voudrais vous demander de me montrer les dessins que vous avez réalisés depuis votre arrivée… Cela ne vous ennuie pas ?
— Non, naturellement !
Elle alla les chercher. Croquis à la sanguine, dessins et aquarelles. Il y en avait une collection, représentant le temple de Khnoum, les tombeaux des princes, le vieux monastère Saint-Siméon mais aussi des portraits d’Hakim et d’autres gamins. L’un, frappant, du Veilleur, et aussi plusieurs dessins de la falaise enfermant le tombeau. Adalbert les examina longuement, ne sachant trop comment dire à l’artiste qu’il souhaitait les détruire et qu’il le regrettait car il y avait là énormément de talent…
Comme le silence se prolongeait, Aldo ouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais Marie-Angéline le retint du geste. Puis reprenant tranquillement les aquarelles à Adalbert, elle les déchira :
— C’est bien cela que vous souhaitiez, n’est-ce pas ?
Trop touché pour répondre, il la prit aux épaules et l’embrassa…
Quand les deux hommes sortirent pour leur habituelle promenade nocturne, minuit venait de sonner à l’horloge du palais gouvernemental. Ils étaient fatigués par leur expédition mais éprouvaient le besoin d’être seuls ensemble. Cette fois, ils descendirent jusqu’au fleuve et prirent la Corniche quasi déserte à cette heure… Sauf deux fiacres qui sans doute allaient remiser.
Ils fumèrent un moment en silence, goûtant la paix intérieure et surtout l’entente absolue qui les avait désertés ces derniers temps. La nuit semée d’étoiles innombrables était belle et douce, en pleine harmonie avec leurs âmes. Ce fut quand la Corniche fut devenue route qu’Aldo s’aperçut qu’ils étaient déjà loin :
— Tu comptes m’emmener comme ça jusqu’à Kom Ombo ?
— Non, mais j’ai quelque chose à te dire. Ce soir, quand j’ai décrit le tombeau, j’ai omis, volontairement, un… détail d’une extrême importance pour moi : la ressemblance hallucinante de la Reine avec…
— … Salima Hayoun ?
— Comment as-tu deviné ?
Aldo jeta sa cigarette et glissa son bras sous celui de son ami :
— Je te connais par cœur, tu sais ? Plus, je crois bien, que si nous étions frères de sang. En remontant du tombeau, cet après-midi, ton visage exprimait une telle béatitude que la joie de la découverte n’expliquait pas tout. Et certainement pas la description que tu as donnée de la belle endormie : une beauté systématiquement à l’opposé de la réalité. C’est le portrait de Néfertari que tu as tracé. Tu n’as pas osé la faire blonde mais c’est tout juste !
— Autrement dit, je n’ai trompé personne ?
— Oh si, parce que c’était franchement très réussi et je pense que nos dames ont tout avalé. Quoique, avec Tante Amélie, on ne sait jamais. Mais en ce qui concerne Plan-Crépin, tes paroles ont valeur d’évangile. Elle nage dans la joie depuis que tu as dit que tu ne reviendrais plus au tombeau et nous as priés de garder le secret. Comme tu vois, ton but est atteint… et ce n’était pas la peine d’infliger un effort supplémentaire à mes pauvres pieds fatigués pour me confier cela… On rentre ?
— Attends ! J’ai encore un devoir à accomplir…
Il s’écarta de quelques pas, sortit d’une poche de son smoking la croix ansée et, de toute sa force, la lança dans le Nil.
— Le fleuve est profond ici et l’endroit est désert. Personne ne pourra retrouver la clef du tombeau. Qu’elle repose en paix, Celle…
— … à laquelle tu as donné un nom, je suppose ?
— Si ta supposition est Salima, tu te trompes. Pour moi, la Reine Inconnue est devenue… Elle !
Cette fois, Aldo ne trouva rien à dire. Quant au British qui pouvait faire le deuil de son bien, il eût été mal venu d’y faire allusion.
Le moment du départ était venu. La veille, tout le monde était invité à dîner chez un Lassalle transporté de joie et d’espoir. Il venait d’acheter le château du Fleuve au gouvernement devenu seul héritier et entendait fêter l’événement.