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Puis il s’intéressa à Méry-sur-Oise. Le terme « Enoc » lui disait vaguement quelque chose, il l’avait déjà entendu. Mais quand ? Impossible de se rappeler, sa mémoire lui jouait décidément de sales tours.

Il tapa « Enok », « Enoc », « Ennok », « Henoc ». Rien. Son cœur se serra quand « Hennocque » lui renvoya des résultats. La carrière Hennocque existait bel et bien. À Méry-sur-Oise. Là où le type de la radio avait gagné au loto. Là où la petite Mélinda avait été assassinée. Une ville à trente kilomètres de chez lui.

Stéphane cliqua avec appréhension sur le lien menant à un site d’amateurs de spéléologie.

Hennocque… D’après les articles, cette inquiétante carrière se divisait en deux, avec une champignonnière et une gare souterraine allemande construite pendant la Seconde Guerre mondiale. L’endroit était creusé de voûtes naturelles, et l’eau de certaines galeries était si limpide qu’elle réfléchissait les parois comme un miroir. Des galeries inondées depuis mars, d’après le site.

Mélinda avait été retrouvée noyée. Coïncidence, de nouveau ?

La page web indiquait également qu’un film datant de 1988, Les Secrets de l’abîme, avait été tourné à Hennocque. Cela expliquait sans doute l’impression qu’il avait de connaître ce nom. Peut-être son inconscient s’en était-il servi, après tout.

En quittant le site, Stéphane frissonna. Il n’y comprenait strictement rien.

Il s’empara de la cafetière et se versa un café froid. La nuit commençait à peine. Il fallait fouiller encore, disséquer, rechercher. Peut-être dénicherait-il des infos sur une certaine Mélinda ? Sur un enlèvement ? Sur le capitaine de gendarmerie Lafargue ? Sur une suite de chiffres 4-5-19-20-9-14 ?

Il pensa à Prémonitions, Déjà-vu, à Lost aussi, une série américaine dans laquelle l’un des héros joue à la loterie les numéros que ne cesse de répéter un fou. Des numéros maudits.

Prémonitions… Ce mot se mit à tournoyer, de plus en plus vite. Un mot qui lui avait sauvé la vie à maintes reprises, et en avait brisé tant d’autres. Un mot qui, des années plus tard, avait recommencé à détruire, au détour d’un virage. Douze lettres qui le faisaient passer pour une « personnalité psychologiquement déséquilibrée ». Même auprès de ses parents adoptifs, avec qui il avait rompu tout contact depuis ses dix-huit ans.

Les aiguilles de sa montre pointaient 3 h00 du matin quand, écrasé de fatigue, il tapa « Dupuytren » dans le moteur de recherche. Ce fameux nom, inscrit sur le billet jaune qu’il avait déchiré et jeté par la fenêtre, dans son rêve.

Les réponses jaillirent.

Stéphane se recula sur son fauteuil, la tête à la renverse, puis il regarda à nouveau.

Le musée Dupuytren.

Un musée sur les maladies congénitales.

9. JEUDI 3 MAI, 23 H 54

Immobile sous la lumière crue d’un lampadaire, Vic leva un œil vers la construction en brique rouge qui se reflétait sur le bitume luisant. Quelle étrange sensation de se retrouver face à cet édifice tristement célèbre dans tous les corps de police ! Là, sous la lune blafarde, quai de la Râpée, l’institut médicolégal de Paris prenait des airs de forteresse.

Après avoir déposé Wang à la brigade – apparemment, son collègue dormait peu et travaillait beaucoup −, Vic aurait pu rentrer chez lui, rejoindre Céline, lui caresser le ventre. Mais quelque chose l’avait poussé jusqu’ici, un élan de curiosité, de découverte, une volonté de bien faire, d’affirmer sa présence et, surtout, une puissante envie de ne pas dormir. Pas cette première nuit. Cette nuit, il allait essayer de devenir flic. Essayer.

En s’enfonçant dans le Vieux bâtiment, Vic sentit la présence pesante de la mort. Il dépassa des salles vides, où s’alignaient de grandes tables en inox. Une odeur de rance imprégnait les murs. Trop de dépouilles s’étaient succédé ici, depuis des années.

Le flic n’eut pas l’occasion de pénétrer dans la salle où se déroulait l’autopsie. Au moment où il allait pousser la porte, le commandant Mortier sortit, le front bas. En apercevant le jeune lieutenant, il écarquilla les yeux. Il rabaissa son masque, ôta ses lunettes de protection et sa charlotte.

— Marchal ? Mais qu’est-ce que tu fous là ?

Derrière le commandant, le sas se refermait dans un chuintement. Vic entendit une voix, à l’intérieur. Une voix de femme. Le légiste était donc… une femme ?

— J’ai appris que l’examen débutait à 21 h30. J’ai ramené Wang au bureau et je me suis dit qu’avec un peu de chance…

— De chance ?

— Façon de parler.

Mortier hocha sa lourde tête rasée.

— Je sors m’en griller une. Après, j’y retourne. C’est quasi terminé. Suis-moi.

Sur l’asphalte trempé, dehors, il se mit à tirer nerveusement sur sa cigarette.

— Une sale histoire. Une putain de sale histoire.

— Que dit l’autopsie ?

Le commandant souffla la fumée au ciel, longuement. L’atmosphère était électrique, la tension palpable.

— La sadomaso, Juliette Poncelet, ça raconte quoi ?

— Elle voyait Leroy deux ou trois fois par semaine. C’était uniquement sexuel. Pratiques sadomasochistes assez poussées, et surtout, acrotomophilie.

— T’as pu creuser là-dessus ?

— Wang a fait du bon boulot avec Poncelet, à la brigade. Elle a pas mal parlé.

— Il sait y faire, si nécessaire. À croire que c’est inné, chez lui, l’art de délier les langues.

Vic acquiesça. Il venait de dîner avec Moh Wang dans un snack et de lui raconter sa vie. En sortant du resto, il s’était rendu compte que, de son côté, il ignorait tout de son collègue, même où il habitait. Il connaissait juste le nom de son poisson-chat. « Poichat ».

— Selon Poncelet, la victime a toujours été fascinée par les amputations. Il suffisait qu’elle croise une personne amputée dans la rue pour immédiatement éprouver l’envie d’avoir une relation sexuelle avec elle.

— Vachement siphonnée.

— Oui et non. La fascination et la répulsion face aux corps meurtris n’est pas vraiment une chose nouvelle. Il s’agit en fait d’un fantasme plus répandu qu’on ne le croit. Leroy était abonnée à de nombreux forums Internet, sous le pseudo « Bareleg ». Ces forums mettent en contact ce qu’on appelle les devotees. On y trouve de tout. Des adolescents, des femmes mariées avec enfants, des avocats, des professeurs qui, tous, ressentent une forte attirance pour les personnes amputées. Il y a aussi des handicapés qui se rendent sur ces sites et, par ce biais, des couples entre devotees et amputés se forment.

— C’est de cette façon que Leroy et Poncelet se sont connues ?

— Non, Juliette Poncelet ne participait pas à ces forums. C’est Leroy qui, en matant les films de Poncelet et en remarquant l’amputation, a tout fait pour la retrouver. Et elle y est arrivée.

Mortier tira trois grandes taffes d’affilée. Devant les grilles, un chien promenait son vieux maître, comme il devait le promener là tous les jours, à la même heure. La silhouette voûtée les salua d’un hochement de tête.

— Quoi d’autre ?

Vic triturait son portable déchargé entre ses doigts. Mortier parlait toujours d’une voix aussi ferme, dure. Pas un seul « merci, bien joué Marchai », ou « bon boulot ». Non, visiblement, pour lui, Vic était juste bon à fournir de l’information, comme un simple novice à qui personne ne doit rien.

— L’ordinateur de la victime est rempli de vidéos et de photos dégueulasses.

— C’est Wang qui t’a raconté ?

— Pourquoi systématiquement Wang ?