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— Parce que d’habitude, c’est lui pour toutes ces cochonneries, ça ne le dérange pas. Même pour les affaires de pédophilie, c’est lui que les Mœurs appellent pour mater les photos. Les mômes, ça ne lui fait ni chaud, ni froid. Comme tout le reste, d’ailleurs. C’est triste à dire mais il en faut, des gars de sa trempe. Alors, on voit quoi, sur l’ordi ?

Vic grimaça légèrement.

— Des clichés d’opérations chirurgicales, des gros plans sur des chairs saignantes, des os coupés. Elle a aussi filmé plusieurs autopsies. Parfois, elle apparaît dans le champ, en train de caresser les membres coupés du mort. Elle avait sûrement un ami ou un client légiste.

— Un légiste ? Tu vas pas me dire que…

— Si ça se passe ici ? Je l’ignore. Je n’ai jamais mis les pieds dans une salle d’autopsie. Toujours est-il que d’après les traces de trépied sur le tapis de la chambre, l’assassin a lui aussi filmé son… ouvrage, comme pour rendre à Leroy la monnaie de sa pièce.

— On aperçoit le légiste sur la vidéo de l’ordi ?

— Non, mais il n’y a pas trente-six IML dans le coin.

— Il existe par contre un paquet de légistes.

Mortier écrasa sa cigarette du talon.

— Ça pourrait expliquer pourquoi tu traînes ici ce soir, non ? L’envie de savoir si l’endroit peut correspondre ?

— En partie. Il y a un tas de choses que je voudrais savoir.

— Ouais, t’es excité comme une puce.

— Curieux, plutôt. Je suis un fouineur, tout m’intéresse.

— Tu sais que t’as du bol de bosser sur une affaire pareille, pour un bleu ?

— Faut vraiment être flic pour penser que c’est du bol.

— Et tu l’es ?

Vic répondit instinctivement :

— Je ne sais pas encore.

— C’est bien. Au moins, pour un pistonné, tu n’as pas la grosse tête. C’est toujours ça.

— Je n’ai pas été pistonné.

Mortier s’éloigna un temps dans ses pensées, avant de reprendre :

— Dis, V8, je repense à la poupée déformée, abandonnée au pied du lit.

Vic inspira bruyamment, ouvertement, ce surnom l’exaspérait vraiment.

— Et ?

— Elle avait un bras tranché, justement. T’en penses quoi ?

— J’y ai réfléchi tout l’après-midi. Cela doit avoir un rapport avec cette histoire de devotee. Notre assassin a volontairement amoché la poupée. Ça signifie qu’il connaissait le fantasme de Leroy. Peut-être un internaute, avec qui elle est entrée en contact…

— Ou l’un des trois millions de mecs qu’elle a dû baiser depuis sa naissance. Va falloir ratisser large.

— Pas si large que cela, si on a affaire à un amputé.

Mortier secoua la tête.

— Avec ce qu’il lui a fait, ça m’étonnerait fort qu’il le soit.

— Ils fabriquent de bonnes prothèses de nos jours. Articulées, et tout. Certains athlètes avec des jambes prothétiques courent le cent mètres en moins de temps qu’il vous en faudrait pour en courir cinquante.

— Tu lâches pas facilement, toi, hein ?

Vic sentit un petit air de fierté l’envahir. Il avait bien fait de venir ici, auprès du commandant, même si on le traiterait probablement de lèche-cul le lendemain.

— C’est comme aux échecs. Faut jamais lâcher.

— Ça ne fera pas forcément de toi un bon flic.

Mortier plissa légèrement les yeux.

— T’as fait le tour des boutiques de prothèses et des hôpitaux du coin ?

— Le temps n’est malheureusement pas extensible. Je m’en occuperai demain.

— Demain, ouais. Tu feras ça.

Vic sortit un bonbon de sa poche, en déplia le papier transparent et le glissa sur sa langue.

— Ça ne nous explique pas le pourquoi des dix-sept autres poupées, continua-t-il. Et le pourquoi de cette mise en scène. Des mères enlaçant leurs enfants, comme pour les protéger d’une colère divine.

Mortier fixait l’emballage en plastique. Le jeune lieutenant fouilla dans sa poche. Il en sortit une boîte d’allumettes, qu’il rangea aussitôt, et une poignée de friandises.

— Vous en voulez un ? C’est Wang qui me les a donnés. C’est au piment, et ça arrache. Il les appelle « le souffle du dragon ».

Le visage de Mortier s’illumina.

— Jamais entendu parler. Ça doit être super rare. Ça vient d’où ?

— Carrefour.

Vic se racla la gorge.

— Dites… à la brigade, tout à l’heure, j’ai découvert un truc bizarre, dans mon tiroir.

— Une capote ?

— Un rouleau de PQ mouillé. Une idée ?

— Tu demanderas à Wang.

— Wang ? Pas lui, quand même ?

— Tu dois être le seul à ignorer qui c’est. Un peu nul, pour un enquêteur.

— C’est Joffroy ?

Le commandant se remit en marche vers l’institut médico-légal, laissant Vic sur place. Puis il se retourna :

— Alors ? Tu te radines, ou t’attends que les morts se barrent en courant ?

En cachette, Vic jeta son infect bonbon et lui emboîta le pas.

— T’as une femme, déjà ? demanda Mortier qui semblait apprécier la friandise, à voir la manière dont il la faisait circuler entre ses dents.

Vic sourit avant de répondre :

— Oui, Céline. Et on attend un enfant. Certainement une fille.

— Ah ouais, c’est vrai. C’est bien…

Mortier lâcha un soupir et ajouta :

— Le gosse, ça permettra peut-être à ton couple de tenir.

10. VENDREDI 4 MAI, 00 H10

Le plus choquant, lorsqu’on s’aventure dans une salle d’autopsie, est la vue directe, sans détour, qui s’offre depuis le seuil sur le corps nu, étalé sous la puissante lampe scialytique. La forme humaine, incisée, dépouillée, donne alors l’impression d’un vallon de sang, un séisme de chair ne laissant subsister que des ruines organiques.

Derrière son masque, Vic tenta de se donner une contenance. Il ignorait s’il fallait reculer, avancer… Sur la droite, il remarqua un local OPJ, pourvu d’une porte et d’une lucarne où une main frileuse pouvait recevoir les prélèvements sans assister au carnage. Un refuge pour ceux qui ne supportaient pas.

— Alors ? chuchota Mortier. L’endroit de la vidéo… Ça ressemble ?

Vic mit du temps à répondre. Les gaz intestinaux, les odeurs de fluides transperçaient son masque.

— Je n’en sais rien. Je présume que ces salles sont toutes identiques.

— Nouveau ? demanda Demectin.

De longues traces de sang coloraient son tablier en plastique blanc, de la poussière d’os parsemait ses épaules. Elle avait une bonne quarantaine d’années, les traits secs et sévères.

Le jeune lieutenant opina du chef.

— Vous n’arrivez pas au meilleur moment. C’est quasi terminé, il n’y a plus rien à voir.

— Une manie chez lui, lança Mortier. Débarquer quand les autres remballent.

Vic n’écoutait pas. Son œil restait rivé sur un bac en acier, à côté des prélèvements, dans lequel s’alignaient de longues aiguilles maculées de sang.

— Il y en a exactement cent une, précisa le légiste. Profondément plantées, pour la plupart, dans les nerfs ou les muscles. Ça a dû faire très, très mal.

Le médecin lança un bref regard à Mortier, qui hocha la tête en guise d’approbation.

— Approchez donc, lieutenant, dit Gisèle Demectin. Ça va aller ? D’ordinaire, je briefe les nouveaux, au cas où. Mais nous ne vous attendions pas vraiment.

Vic inspira un grand coup et se força à imaginer un morceau de viande. Il fallait qu’il visualise un morceau de viande froide, et rien d’autre. Les cellules olfactives de ses narines saturaient, il ne sentait presque plus la puanteur. Ne restait plus qu’à affronter le pavé de chair.

Son champ visuel se remplit soudain d’un gros bloc rouge sanguinolent, cisaillé en son centre, vidé de ses organes principaux. Très vite, il pensa à un filet de bœuf. Des côtes à l’os. Puis, à mesure que la bile remontait dans sa gorge, ce fut de pire en pire. Des rognons. Des tripes. De la cervelle.