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— Caroline Duvareuil ? La carte grise est bien au nom de Caroline Duvareuil ? Duvareuil le chevreuil. Oh ! Dites-moi qu’elle ne s’est pas mariée, qu’elle est libre ! Déjà à dix ans, elle était, elle était…

Toussard l’interrompit.

— Eh si, elle est mariée, cher monsieur ! Le certificat d’immatriculation est au nom d’Hector Ariez.

Une fois dehors, il tapota sur l’épaule de Sylvie.

— Alors, pas mal le numéro, non ?

Elle le fixa durement.

— Qu’est-ce que ça signifie ? Que cherches-tu, exactement ?

— Juste à comprendre le sens de mes rêves. La Porsche vient bien de Sceaux.

— Tu es sûr qu’il n’y a que cela ?

— Que pourrait-il y avoir d’autre ?

Ils remontèrent en voiture et firent un crochet par le domaine. Une rapide recherche sur Internet leur donna l’adresse de Hector Ariez. Tout existait vraiment.

Presque deux heures plus tard, après la traversée de Paris du nord au sud, le véhicule longeait le parc de Sceaux, son château, ses jardins à la française. Côté passager, Stéphane, surexcité, ne cessait de répéter qu’il avait déjà vu tout cela, la nuit dernière. Le nom des rues, les propriétés bourgeoises. Au volant, Sylvie tentait de garder son calme.

D’un coup, dans le quartier Marie Curie, la demeure apparut, entourée d’un vaste jardin fleuri. Pas de Porsche rouge.

— C’est elle, dit Stéphane d’une voix émue. Chérie, c’est strictement la même maison.

Sylvie inspira bruyamment.

— Toutes ces propriétés se ressemblent, ici comme ailleurs. Tu es sûr ?

— Certain.

Stéphane n’aimait pas ce regard, dans lequel il lisait la pitié, la peur, l’incompréhension.

— Tu n’as pas l’air bien, constata-t-il alors qu’ils se garaient.

— Je ne suis pas bien ! Mon mari débloque, recommence à faire des trucs ahurissants. Et ça me rappelle des mauvais souvenirs ! Je n’ai pas envie de te retrouver en miettes à l’hôpital ou abruti par les médocs.

— Tu ne me crois pas, alors ?

— Te croire ? Tes espèces… d’hallucinations n’ont mené qu’à des catastrophes !

Stéphane la considéra avec tristesse.

— Ce ne sont pas des hallucinations. Je vois les choses…

— Explique-moi la différence.

— Sylvie, il faut que tu me comprennes. Depuis hier, je fais de vrais rêves.

Elle détourna la tête.

— Va… Va frapper, voir par toi-même la débilité de ce que tu racontes, qu’on puisse enfin se remettre en route. J’en ai plus qu’assez de suivre un fantôme qui ne partage même plus mon lit.

Stéphane referma doucement la portière. Depuis la voiture, Sylvie l’observa avancer vers la maison, hésitant, presque effrayé. Elle inspira un grand coup et, du bout du pouce, essuya une larme sur sa joue.

Arrivé devant la porte d’entrée, Stéphane resta immobile quelques instants avant de se décider à sonner. Il entendit des pas s’approcher. Enfin, on lui ouvrit. Une femme, très belle, d’une trentaine d’années. Ses longs cheveux blonds baignaient ses épaules nues.

— Monsieur Kismet ? demanda-t-elle d’un air surpris.

— On… On se connaît ? répondit-il, ahuri.

La femme se décala légèrement, de manière à jeter un œil en direction de la Ford, et hocha la tête en guise de salut.

— Vous n’avez pas perdu votre humour. Vous cherchez peut-être John ?

— John ?

Elle agrippa la poignée de porte.

— Mon mari a pris l’avion très tôt ce matin pour se rendre sur un tournage à Antibes, il ne rentrera pas avant ce soir. Que voulez-vous, au juste ?

— John… Vous voulez dire John Lane ? Le décorateur ? John Lane est Hector Ariez ?

— John Lane est son pseudo d’artiste, oui.

— Et nous nous sommes déjà rencontrés…

Elle se demanda s’il n’avait pas bu.

— Au cocktail de fin de tournage de La Mémoire morte. Permettez-moi d’insister, mais… que voulez-vous ? C’est à propos du film sur lequel John et vous travaillez actuellement, Le Vallon de sang ?

— Votre mari travaille également sur Le Vallon de sang ?

— Vous ne le saviez pas ?

— N… Non… On est toujours extrêmement nombreux à travailler sur un film.

Stéphane se rappela le tournage de La Mémoire morte, en novembre dernier. Il avait conçu les masques des victimes défigurées, fabriqué deux ou trois mannequins, et John Lane avait orchestré la construction de l’ensemble des décors du film. Les deux hommes se connaissaient de réputation et s’étaient croisés quelques fois sur le plateau. Stéphane s’avança sur la marche du perron.

— Ma question peut vous paraître étrange, mais… est-ce que je suis déjà venu ici ? Je ne sais pas… après le cocktail, par exemple. Je… Je ne me souviens de rien. Le trou noir.

Elle sourit.

— Pas étonnant, vous et votre épouse aviez dégusté pas mal de bordeaux. Moi, je me souviens de vous. Vous êtes quelqu’un de très… expressif… et très bon imitateur ! Notamment Jim Carrey, avec votre masque vert.

— Normal, j’ai déjà pratiquement sa voix française, ça aide.

Victoria se mit à expliquer :

— Vous n’êtes pas venu ici à proprement parler mais le soir de la fête de fin de tournage de La Mémoire morte, la route était dangereuse, avec beaucoup de brouillard. Alors John a décidé de vous ramener chez vous. Mais il est venu me déposer ici auparavant, votre épouse et vous étiez très… serrés à l’arrière de la Porsche…

— La Porsche 911 GT rouge ?

— Précisément. Vous vous rappelez de la marque exacte de notre voiture, mais pas du reste ?

— En fait, je me souviens surtout de cet endroit, ces rues, votre façade.

Il fit deux pas vers l’arrière, visiblement déboussolé.

— Désolé pour le dérangement, madame.

— Pas de problème.

Elle fit de nouveau un geste de la tête en direction de la Ford.

— Mais allez-vous enfin m’expliquer la raison de votre venue ?

Il rabattit son bras devant lui, en signe de capitulation.

— Un mauvais rêve, juste un mauvais rêve.

— Vous vous êtes déplacés jusqu’ici à cause d’un rêve ?

— Dites, j’ai… j’ai tout de même une dernière question. S’est-il passé quelque chose, ce soir-là ? Aurais-je des raisons d’en vouloir à votre mari ?

La femme parut surprise.

— Non, non, absolument pas.

— Votre prénom, déjà ?

— Victoria.

Elle s’appuya contre le chambranle.

— C’est très curieux, quand les gens sont ivres.

— Pourquoi ?

— Parce que, le temps de la soirée, mon époux était devenu à vos yeux votre meilleur ami.

Une fois dans la Ford, Stéphane tapa de ses deux mains sur le tableau de bord.

— Mince !

— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Sylvie. Raconte !

Il lui relata sa conversation. Elle baissa les paupières et souffla de soulagement.

— Tant mieux. Cela me prouve au moins que tu n’es pas en phase de rechute. Et qu’enfin tu vas t’apercevoir qu’il ne s’agit pas de visions, mais juste de percées de ton inconscient. Ou subconscient, je n’ai jamais su faire la différence.

Stéphane gardait un visage fermé. Il était certain d’être sorti de la voiture, un pistolet à la main, pour pénétrer dans la demeure. Ces images brûlaient en lui, dans ses tripes. Que s’était-il réellement passé, ce soir-là ? La femme de John, Victoria, lui avait-elle dit toute la vérité ?

— Non, je ne suis pas fou.