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— On peut rentrer, alors ? Ton musée machin, pas la peine ?

— Si, c’est la peine.

— Mais il se trouve en plein Paris ! J’ai rendez-vous chez le coiffeur à 18h30, je te rappelle !

— Tu as de la marge. On y va.

Sylvie prit sur elle-même pour ne pas exploser.

— D’accord, très bien ! Mais après, jure-moi que tu me ficheras la paix avec tes cauchemars !

Stéphane laissa sa vue se troubler.

— Tu n’en entendras plus jamais parler.

13. VENDREDI 4 MAI, 09 H 54

Le premier geste de Vic, ce matin-là, fut d’ouvrir son tiroir. Juste pour vérifier qu’un petit comique n’y avait pas fourré un Tampax ou autre accessoire hygiénique dans le genre. Mais tout roulait, hormis les touches qu’on avait retirées et mélangées sur son clavier, de manière à écrire : « V 8 P I S T O N ». Depuis ses trois semaines de présence, il avait affronté pire.

Le jeune flic suspendit son holster au portemanteau, replaça correctement son Sig Sauer et se servit un verre d’eau à la bonbonne. Il n’avait pas encore pris le réflexe d’embarquer un thermos. Ici, au distributeur, le café était purement imbuvable. Vic retourna à son bureau, qu’il partageait avec Jérôme Joffroy, fervent amateur de la paire « Pamela Anderson / PSG », à voir les posters sur les murs, et Wang, judicieusement installé près de la fenêtre. Endroit parfait pour mater des vidéos illicites.

Ce dernier arriva peu après.

Vic le salua.

— T’as une idée pour mon clavier d’ordi ?

Wang lança sa veste sur le portemanteau. Elle s’y accrocha, comme toujours, du premier coup.

— De quoi tu parles ?

— Un plaisantin a mélangé les touches. Tu es repassé ici, hier soir. Tu n’aurais rien vu, par hasard ?

— On dit que c’est quelqu’un du coin.

— Sacré scoop.

Wang entreprit alors ses gestes rituels. Vérifier la propreté de sa corbeille, redresser le cadre abritant une vue aérienne de Macao, démonter sa souris et en ôter la crasse avec son ongle. Puis faire craquer ses os, du bas du dos jusqu’au cou, juste avant de s’asseoir.

— Tu sais ce que fichent les types armés de chalumeaux dans les bureaux voisins ? demanda Vic.

— Quoi, t’es pas au courant ? Dans à peine quinze jours, on va tous finir dans un nouveau bâtiment, à deux bornes d’ici. Ces bureaux-ci appartiendront bientôt au ministère de la Justice. On sera pas mal gâtés, tu verras, les nouveaux locaux ont de la gueule.

Il alluma une cigarette, pompa et cracha un anneau de fumée.

— Alors, l’autopsie ?

Vic haussa les épaules.

— J’ai bien résisté pour une première. J’ai d’abord cru que…

— C’est surtout le résultat qui me branche. Le reste, tu sais…

— Le résultat, oui. Évidemment.

Vic terminait son compte-rendu quand Joffroy arriva, des dossiers sous le bras.

— Premiers retours de la toxico, les gars.

Il jeta des feuilles sur son bureau et ôta son Perfecto, avant de se verser un petit noir depuis sa bouteille thermos. Il déposa aussi un paquet de biscottes, qu’il tartinerait bientôt avec du caramel au beurre salé importé de Bretagne.

— T’as sucé un cadavre cette nuit, V8 ? Bien dormi ?

— Ce serait mentir.

— Bienvenue au club.

Joffroy était petit, mais plus grand que Wang – tout le monde était plus grand que Wang. Il était presque chauve et il lui manquait des dents, des molaires arrachées pour excès de caramel au beurre salé. Il ouvrit ses dossiers, sans porter la moindre attention au clavier de Vic. S’il faisait l’innocent, il le faisait bien.

— Bon. On a retrouvé deux substances dans l’organisme de la victime. Primo un gel hémostatique, appliqué sur chacune des plaies afin de freiner les saignements. Le fumier voulait que ça dure.

Wang souffla avec délectation la fumée par ses narines.

— Facile à se procurer ?

Joffroy piocha une clope dans le paquet de son collègue.

— Tu m’étonnes. C’est comme du mercurochrome, en moins dégueulasse. Par contre, l’autre substance, c’est plus coriace à obtenir. Tu te rappelles les traces de piqûres sur son avant-bras ?

— Plaies violacées sur l’avant-bras droit, intervint Vic.

Joffroy lui accorda enfin un regard.

— Et à ton avis, c’est quoi ?

— Drogue ?

— Morphine. L’absence de ce composé dans ses cheveux prouve qu’il s’agit d’une injection occasionnelle et récente. Et tu sais à quoi sert la morphine, principalement ?

— On la prescrit surtout aux patients dans les hôpitaux. Un antidouleur, je crois.

Joffroy appuya son index sur les feuilles.

— Tu crois bien, c’est un analgésique qui agit sur le système nerveux central. On en file aux personnes en fin de vie, aux accidentés… Ça atténue la douleur, ça amoindrit le supplice.

Avec la fumée, la pièce ressemblait à un bain turc pour candidats au cancer. Vic ouvrit la fenêtre et s’empara de son gobelet d’eau.

— Tu veux dire que notre assassin lui…

— Le Matador. Pour l’instant, on l’appelle le Matador.

— Le Matador ?

Joffroy rabattit sa main devant lui.

— Je sais, c’est con, mais c’est une idée du chef. Cherche surtout pas dans ces surnoms le moindre trait de génie.

— D’accord. Donc, d’après toi, le Matador lui a injecté de la morphine pour l’empêcher de souffrir, tandis qu’il lui plantait des aiguilles dans les nerfs et les muscles ?

Le lieutenant à la calvitie alarmante écrasa sa cigarette à peine consumée. Wang rempocha discrètement son paquet.

— Non, non, pas pour l’empêcher de souffrir. Je crois que cette fois, en terme de sadisme, on bat des records.

— C’est le matin, râla Wang. Joue-la pas façon énigmes, s’il te plaît.

Joffroy désigna du doigt les courbes d’un schéma dans son dossier.

— Regarde. Voilà les posologies exactes concernant l’injection de morphine, en fonction du poids du patient, ainsi que les durées d’action.

Vic et Moh s’approchèrent.

— La morphine commence à agir cinq minutes après l’injection, et atteint son effet maximum au bout d’une demi-heure. Ensuite, elle agit pendant environ trois heures. Et après…

Joffroy agrippa l’avant-bras de Vic, qu’il serra très fermement.

— Tu vas imaginer ceci, V8 : je t’immobilise, en t’attachant à un pieu par exemple, puis je t’injecte entre dix et vingt milligrammes de morphine. Cinq minutes plus tard, tu es un poil shooté, mais parfaitement éveillé. Tu devines ce que je vais te faire. Tu me vois sortir mon matos. Des scalpels, des bistouris, puis des aiguilles. Une centaine d’aiguilles géantes, que je passe lentement devant tes yeux, comme s’il s’agissait de cierges. Les cierges de tes propres funérailles.

Joffroy serrait de plus en plus fort. Vic sentit la brûlure grimper et opéra un geste de repli. L’officier au blouson usé avait une réputation de cogneur. Il assomma son collègue d’un regard glacial et poursuivit :

— Tous ces préliminaires durent peut-être vingt minutes. Vingt minutes pendant lesquelles il lui parle, lui raconte comment vont se dérouler les opérations, où cet enfoiré s’échauffe. La morphine atteint finalement son maximum d’effet. Alors, il plante ses aiguilles, tranquillement. Il a tout le temps, il aime traîner, forcément. Comment procède-t-il ? Tourne-t-il autour de sa proie ? Fait-il de lents allers-retours pour aller chercher ses aiguilles une à une, ou en tient-il plusieurs à la fois ? Il lui coupe les lèvres, les doigts, la langue, et utilise son gel hémostatique pour éviter que ça pisse trop le sang, qu’elle crève avant qu’il ait achevé son… travail. Durant ces préliminaires, sous l’effet de la morphine, la victime ne sent absolument rien. Elle regarde juste son corps s’ouvrir, partir en morceaux comme les quartiers d’une orange. Elle sait comment elle va finir.