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Il se pencha et caressa le ventre de Céline.

— Je l’ai sentie bouger, cette nuit. Tu étais serrée contre moi, et la coquine m’a donné des coups dans le dos.

— Vic… Cela ne fait que quatre mois, tu ne peux rien sentir. La coquine, tu dis ?

— Il n’y a que des filles pour faire ça si jeune à leur père. Pas encore née, et déjà tigresse.

— Ce sera un garçon.

Du bout de l’index, le flic suivit délicatement la courbure de ses seins.

— On a les échographies, chuchota-t-il. Il suffirait de…

— Non ! On attend ! Et on n’y verra rien, de toute façon !

— Je n’arriverai jamais à te convaincre, toi, même quand tu dors à moitié, hein ?

Elle se dressa et tortilla les poils de ses pectoraux. Il observa attentivement ses mains, fines, interminables. Il aimait les regarder, en déchiffrer les secrètes intentions.

— J’ai changé d’avis, pour le prénom, murmura-t-elle.

— Ben voyons.

— Qu’en penserais-tu si on l’appelait Tao, comme mon grand-père ?

— Tao ? Une idée de cette nuit ?

— Oui, justement. Un drôle de rêve. Tao, ça signifie « création » en Vietnamien.

Il appuya avec plus de fermeté sur la poitrine offerte.

— Hum… C’est joli comme prénom. Très moelleux, rond, doux… Ça changera de Théo ou de Matéo. Mais on n’aura pas ce souci, puisque ce sera une fille.

Céline se perdit dans un sourire qui s’estompa trop rapidement. Elle rabattit les draps sur sa poitrine, comme pour se protéger. Pas très grande, elle avait gardé de sa mère vietnamienne l’éclat froid de ses longs cheveux, la malice de ses yeux, l’ovale adouci de son visage.

— J’ai peur, Vic.

— Arrête de psychoter, s’il te plaît. Pas dès le matin.

— Oui, mais c’est tout ça… Ce petit appartement, tous ces gens pressés, dehors. On dirait un poulailler géant.

— Tu as quelque chose contre les poulets ?

Elle répondit doucement :

— J’ai un mauvais pressentiment pour le bébé.

Il souleva ses petits poings, qu’il enveloppa avec tendresse.

— Un pressentiment… Encore…

— Tu as beau faire, j’y crois.

Céline éprouvait un besoin constant d’être rassurée. Depuis le début, elle vivait sa grossesse comme une épreuve, un calvaire. « Le bébé ne bouge plus, le bébé ne respire plus, le bébé va naître mal formé. » Vic se mit à réciter :

— OK, alors je vais te la refaire. Il est fréquent qu’on ne voie pas les os propres du nez à l’échographie des quatre mois. La piqûre dans ton ventre, c’est juste pour prendre un peu de liquide amniotique et s’assurer que le fœtus n’aura pas de maladie congénitale. Ils ne vont pas lui transpercer la tête, ni lui trouer l’estomac. Aujourd’hui, presque toutes les futures mères passent par là. D’accord ?

— Il y a quand même une chance pour que cela se passe mal.

— Elle est infime !

— Tu viendras avec moi, lundi ?

Vic eut un léger mouvement de recul.

— On arrive juste, puce ! Voilà à peine trois semaines que je bosse ! Imagine si je m’absente déjà !

— Donc, tu ne m’accompagneras pas. D’accord, message reçu. Tes baskets sont dans le placard de la salle de bains.

Et Céline éteignit la veilleuse.

Vic aurait souhaité renouer le dialogue, mais il s’éloigna, les épaules voûtées. Mieux valait en rester là. Il finit de s’habiller, releva un volet roulant et jeta un regard sur la ville. Du haut de son troisième étage, il apercevait la Seine, la tour de TF1, et une armada de buildings impersonnels. Drôle de toile, tissée d’acier et de béton. Il enfila son holster et glissa sa carte de police dans la poche intérieure de sa veste. Dans la salle de bains, il sortit son Sig Sauer, plaqua son doigt sur la détente et appuya, quatre, cinq fois de suite, jusqu’à ce qu’une grimace torde son visage. Il rengaina difficilement, la sueur au front, tendit son bras droit vers l’arrière, aussi loin que possible, et hurla en silence, les dents serrées.

Il éteignit et se dirigea de nouveau vers la chambre.

— A ce soir, ma puce.

Il se pencha pour embrasser son épouse, mais elle se retourna. Sa peau sentait bon le soleil du Sud.

Le jeune lieutenant disparut avec un pincement au cœur. Céline allait rester dans ce clapier toute la journée à ruminer.

Vivement l’accouchement dans cinq mois. Et l’arrivée d’une nouvelle vie.

Le commandant Mortier lui avait suggéré de bien petit-déjeuner. Évidemment, Vic n’avait pas suivi ce conseil empoisonné.

Hors de question de vomir sur sa première scène de crime.

3. JEUDI 3 MAI, 6 H 50

Stéphane Kismet plongea le nez dans l’eau glaciale, afin de s’assurer qu’il était bien réveillé. Devant le miroir de la salle de bains, il contrôla encore son avant-bras droit. Aucune trace de piqûres, évidemment. Pas plus que de griffures sur la joue ou d’hématome autour de l’œil. Il enfila son jean, un tee-shirt et un pull aussi noir que ses longs cheveux, qui tombaient entre ses omoplates. En ce début du mois de mai, les lourds murs de la demeure rafraîchissaient les rayons du printemps. Dans le hall, Stéphane mit à fond l’un des chauffages électriques, tandis que d’autres, encore emballés, traînaient contre une cloison. D’ailleurs, un peu partout, se trouvaient des choses empaquetées, ou juste déballées. Le drame avait anéanti toute envie de décoration ou de rangement.

Sa femme Sylvie déjeunait seule, recroquevillée face à sa tasse de café. La lumière extérieure lui dorait le visage. Derrière elle, une fenêtre s’ouvrait sur une muraille de chênes et de hêtres, sentinelles d’un domaine forestier de quinze hectares à Lamorlaye, dans l’Oise.

— Ça a recommencé, souffla Stéphane.

Sylvie leva une mine fatiguée.

— Où, cette fois ?

— Dans Darkland. Je me suis réveillé couché par terre.

— Darkland… Tu m’as encore laissée seule toute la nuit.

— Je dois finir la prothèse de Martinez, les délais pour le tournage de Saint-Ouen sont hyper-serrés. J’ai dû m’endormir en travaillant et…

— Évidemment, répliqua sèchement Sylvie.

Stéphane se versa un café et en avala une gorgée.

— C’est dingue. Je me rappelle mon rêve.

— Au bout de trente et un ans, c’est une première. Et de quoi parlait-il, ton rêve ?

— Comment te l’expliquer ? C’est comme si je l’avais vécu, réellement. J’ai toutes les sensations en moi. Les sons, les images. Le bruit de ma respiration. J’en ai encore la chair de poule !

Sylvie lui accorda tout juste un regard.

— Je t’ai posé une question et tu réponds à côté, comme toujours.

Elle se leva et porta sa tasse dans l’évier. Dans un coin, leur chat lapait religieusement dans une coupelle de lait.

— Je me mets en route. J’ai une grosse journée en perspective, six apparts à faire visiter dans le 18e. Ne m’attends pas avant 22h00.

Stéphane réajusta les manches de son pull et s’enivra de caféine.

— Si tard, encore ?

— Pourquoi ? Ici, on ne se croise même plus. Depuis deux mois, je me demande si je ne suis pas devenue un fantôme.

Elle lui adressa un regard sévère et ajouta, les lèvres pincées :

— Peut-être que si j’avais la tête de l’un de tes monstres, tu m’accorderais plus de considération ?

Stéphane haussa les épaules. Elle frappait comme un éclair, Sylvie, capable de décharger des milliers de volts en une fraction de seconde.

— Ce n’est pas ça. Il me faut du temps pour oublier.

— Oublier ? Parce que tu crois qu’il est juste question d’oublier ?

Stéphane s’approcha mais elle se dirigea vers le réfrigérateur, et en sortit un glaçon qu’elle frotta délicatement sur ses lèvres.