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— Et… Il les avait bien coupés alors que la victime était vivante ?

— Exact, regardez dans le rapport.

— L’odeur… Le toucher… Il est très porté sur les sens. Comment fonctionne le toucher ?

— Je vais faire très court. Nous possédons différents types de terminaisons nerveuses. Celles sensibles à la douleur, les nocicepteurs, qui s’activent uniquement quand certains seuils agressifs sont dépassés, et avertissent le cerveau d’un danger en envoyant un signal par la moelle épinière. Mais d’autres terminaisons nerveuses, beaucoup plus sensibles que les nocicepteurs, se chargent de transmettre cette fameuse sensation du toucher. Ce sont les mécanorécepteurs, qui s’activent au contact de la matière, et les thermorécepteurs, qui réagissent au chaud et au froid. Plongez la main dans de l’eau et chauffez jusqu’à 45 degrés, les thermorécepteurs transmettent des signaux de plus en plus douloureux, mais encore supportables. Mais dès qu’on dépasse 45 degrés, les nocicepteurs prennent le relais et avertissent le cerveau, qui déclenche alors cette horrible impression de brûlure. Les nocicepteurs sont les gardiens de l’intégrité de notre corps. La douleur est utile. Sans elle, nous mourrions, inconscients de nos blessures… Rien d’autre ? J’ai un cadavre sur la table.

— Je vous remercie.

Quand Vic se retourna, Céline se dressait, nue, les mains plaquées sur le ventre. Elle ne souriait plus.

— Tu penses à ça même quand on baise ? Même quand… même quand tu me touches ?

— Non, non.

Vic regarda derrière sa femme, dans le vide. Si le Matador avait coupé ces organes du toucher, c’est qu’il ne voulait pas que sa proie le touche. Est-ce que Leroy le répugnait ? Voulait-il éviter qu’elle le salisse, au sens symbolique du terme, en l’effleurant ? Avait-il peur qu’on le touche ? Traumatismes passés ? Enfant maltraité ?

Une voix résonnait, quelque part.

— … pas gardé que le physique de ton père. Tu as aussi les mêmes obsessions. Ces obsessions destructrices.

Vie secoua la tête.

— J’arrive puce. J’arrive, d’accord ? On va faire l’amour, on va…

— Je ne veux plus faire l’amour. Je veux juste que tu redeviennes le Vic d’avant.

— Le Vic prévoyant ? Le Vic qui suit les rails tout tracés ? Le Vic bien sage derrière son échiquier ?

— C’est ta nature. Et tu n’y pourras rien changer, même en assistant à des autopsies ou en te faisant passer pour un dur. Ils vont te balader, Vic. Ils vont te balader comme un bon chien. Tu n’es pas un vrai flic. Juste un pistonné.

La porte claqua. Vic haussa les épaules, se dirigea vers le réfrigérateur et y chercha une bière. Rien. Il récupéra la bouteille de cognac entamée et se versa un grand verre.

— Pistonné, c’est ça ! Et alors, qu’est-ce que ça change ?

Il avala une belle gorgée d’alcool, puis une autre. Du pur bonheur. Boire un coup, avec une bonne cigarette derrière.

Non, pas de clope. Ces salauds ne l’auraient pas.

En vidant un autre verre, il continua à songer à son coup de fil avec le légiste.

Le « vol » de ces parties corporelles sensibles au toucher était peut-être purement symbolique.

Le tueur ne cherchait pas l’appropriation de sa victime par un schéma sexuel classique. Mais il la privait de l’un de ses sens, le toucher, alors que lui palpait de ses mains nues. Pour preuve les traces d’amidon de maïs, provenant de l’intérieur des gants.

Restait à comprendre pourquoi.

25. VENDREDI 4 MAI, 22 H 52

Stéphane tendit devant le réceptionniste des Trois Parques un beau paquet de billets.

— La 6. Je la loue pour une semaine.

L’homme à la tache de vin empocha l’argent et lui remit la clé dans un sourire. Il attendit que Stéphane s’éloigne pour lui annoncer fièrement :

— Au fait, je crois qu’un flic te recherche.

Stéphane se retourna.

— Un… Un flic ?

— Ça te laisse pas indifférent, je remarque. Ce flic, il te ressemble un peu. Il est venu poser des questions sur une fille. Une blonde, une fada d’amputations, elle s’appelait Annabelle Leroy. Ça te dit rien ?

Stéphane s’approcha du comptoir, soucieux.

— Mais pourquoi il me recherchait ?

— Enfin… C’est peut-être pas toi qu’il voulait, mais bon. Tu venais de partir précipitamment, juste au moment où il arrivait. Alors, je me suis dit…

« La voiture avec le pare-brise fissuré », se rappela Stéphane.

— Et il s’appelait comment ?

— Il a pas donné son nom.

Stéphane songea aux photos de cadavres que le Stéphane futur avait étalées autour de lui.

— Cette fille, Annabelle Leroy… Avait-elle un tatouage sur la cuisse gauche ? Un serpent ?

— J’en sais trop rien, je suis pas allé voir. Mais toi oui, apparemment… Hum… Je sais garder ma langue. Mais si tu veux que je la joue discret…

— Comment ça ?

Il se lécha les lèvres.

— Tu vois ce que je veux dire ? J’aperçois ta voiture, avec ton numéro de plaque que j’ai bien en tête maintenant. C’est vite fait un coup de téléphone, tu sais ?

Stéphane se sentit écrasé, oppressé. La police venait à présent d’entrer en scène, comme si, lentement mais sûrement, l’univers glauque de ses rêves se bâtissait autour de lui.

Il lâcha avec dégoût trois billets de cent euros sur le comptoir et disparut en direction de l’étage.

Dans la chambre 6, Stéphane sortit le marqueur noir de sa poche et nota, sur la tapisserie bleue du pan opposé au téléviseur : « Je suis Stéphane, et je crois que les messages que tu notes depuis le futur, sur le mur d’en face, me sont adressés. Aujourd’hui, nous sommes le vendredi 4 mai, il est presque minuit. Et toi, à quelle date es-tu ? Je n’ai pas pu lire tous les messages. Tu dois me dire comment je peux t’aider. Pourquoi on te recherche. La police est venue ici, aux Trois Parques, pourquoi ? »

Il se recula, soudain conscient de l’ambiguïté de son geste. Il supposait en effet que le Stéphane du futur existait déjà, à six jours d’écart, et qu’il menait en ce moment même sa vie future. Cela semblait néanmoins probable, puisque son jumeau temporel lui adressait des messages, et qu’il semblait embarqué dans une histoire qui, a priori, ne le concernait, lui, absolument pas.

Il pensa soudain à un paramètre primordial : si Stéfur ne revenait plus jamais dans cette auberge, comment lirait-il les messages ?

Quand il rangea la clé de la 6 derrière le pare-soleil de sa voiture, Stéphane trouva un excellent moyen de s’assurer que le message du présent vers le futur passerait.

Il releva lentement le bas de son tee-shirt…

— Vous êtes bien certain ?

— Oui. Cette phrase, mot pour mot.

L’homme au crâne rasé releva ses sourcils bruns.

— C’est vous le chef. Quel style ? Lettres gothiques, Tahoma ?

— Je m’en fiche. Le plus lisible possible.

Un petit crépitement retentit dans l’atelier. Partout, sur les parois, s’étalaient les représentations en couleur de magnifiques tatouages d’aigles, de croix celtes, de dragons bigarrés. Le tatoueur lui-même arborait, sur son avant-bras, une tête de loup splendide.

— J’ai une drôle d’impression, là, juste maintenant, confia l’artiste. Comme si… Comme si j’avais déjà fait ça. On ne s’est pas déjà vus ? Un autre tatouage, peut-être ?

— Aucun risque, répliqua Stéphane, je déteste les tatouages. Ne vous inquiétez pas. Les impressions de déjà-vu, ça m’arrive tout le temps.

Stéphane espérait qu’à cet endroit, sur la hanche gauche, le message tromperait quelque temps la vigilance de Sylvie. Il n’osait même pas imaginer sa réaction le jour où elle le découvrirait.