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Lentement, les lettres prenaient forme, bleu noir sur sa peau si blanche. Une peau malade, en mauvaise santé, pensa-t-il sous les néons de la salle. Était-il vraiment malade ? Mentalement malade ? Il songea à Un homme d’exception, avec Russel Crowe. Ce mathématicien, John Nash, schizophrène, qui pense participer à une mission secrète pour le gouvernement.

Schizophrène…

— Monsieur ? Vous tremblez ?

— Non, non. Ça va…

Stéphane baissa les paupières. Qui devait-il sauver ? Lui-même ou l’autre Stéphane ? Qu’allait-il se passer sur le corps de Stéfur ? La « transmission » allait-elle fonctionner ou Stéfur était-il physiquement une autre personne évoluant dans un autre monde ? Stéphane pensa au chat de Schrödinger, l’expérience de ce chat qu’on enferme dans une boîte et qui, selon la mécanique quantique, est à la fois mort et vivant tant qu’on n’a pas ouvert la boîte. Mais quand on ouvre la boîte, un choix doit se faire. Il se créerait alors deux mondes distincts, représentant chacun un état possible du chat : un monde où le chat serait mort, et un autre où le chat serait vivant. D’après la théorie, l’observateur et tout ce qui l’entoure seraient également dédoublés dans chacun des mondes.

La voix du tatoueur interrompit Stéphane dans ses pensées.

— Terminé, monsieur. Ça vous plaît ?

Stéphane fixa sa hanche.

— C’est parfait, dit-il en rabaissant son tee-shirt.

Stéphane se glissa discrètement sous les couvertures. Le corps chaud de Sylvie se tortilla un peu.

— Pourquoi tu n’allumes pas ? fit-elle sèchement. Parce que tu ne voulais pas me réveiller, ou parce que tu rentres à presque 3h00 du matin ?

— Je ne voulais pas te réveiller.

— Tu m’aimes encore ?

— Bien sûr, je t’aime.

Un soupir.

— Tu vois quelqu’un ?

Dans l’obscurité froide de la chambre, Stéphane tourna le dos à sa femme.

— Non, personne. Enfin, pas au sens où tu l’entends. Tu te fais trop de souci.

Discrètement, il fit glisser ses doigts sur sa hanche gauche, avec une seule envie : dormir. Découvrir s’il avait pu communiquer avec Stéfur, si celui-ci était retourné à l’hôtel lire les messages et lui expliquer le sens de ses rêves.

— Tu sens l’alcool, tu ne réponds pas à mes appels et on ne fait même plus l’amour. Alors oui, je me fais du souci. Tu étais où ?

— Chez Jacky. Mon ami physicien.

Sa réponse spontanée déstabilisa la jeune femme.

— Jacky, d’accord… Qu’y avait-il de si important pour que tu te rendes si tard à Paris, malgré ton interdiction de conduire ?

Stéphane serra ses mains sur les draps. Quoi qu’il réponde, il connaissait l’issue : Sylvie allait exploser, elle se lèverait et irait dormir dans le salon. Ou elle partirait quelque part, en voiture.

— Le besoin de parler entre hommes. Ça m’a fait du bien. Je traverse une mauvaise passe. Il me faut juste un peu de temps.

— Demain, tu vois Robowski à 15 h00. C’est un psy.

— Un psy… Psychologue ou psychiatre ?

— Psychiatre. Il faut que tu reprennes une thérapie, que tu évacues tes démons en parlant à quelqu’un de compétent, et non pas à des chercheurs en physique.

Stéphane inspira en douceur.

— J’irai, si tu le souhaites.

— Ce n’est pas un souhait. J’ai cru que tu pouvais changer, ne pas te laisser dévorer par ton travail, ton univers macabre. La vie n’est pas un film. Je ne suis pas qu’une silhouette sur une pellicule. Derrière, il y a des sentiments, des joies, de la souffrance.

Elle se leva, l’oreiller sous le bras, et tira sur la couette qu’elle emporta. Puis, elle alluma brusquement la lumière. Stéphane se recroquevilla légèrement, sans la regarder.

— Depuis quand tu portes des caleçons pour dormir ? fit-elle, surprise.

— J’avais un peu froid, alors…

Sylvie sentit les larmes monter dans ses yeux.

— Je t’ai toujours aidé. Les journées, les nuits à l’hôpital, à chercher à comprendre. Je t’ai vu avec presque tous les os brisés. Ensemble, on a toujours pu combattre ce que ni toi, ni moi ne comprenions. On a emménagé ici parce que tu le souhaitais, et comme toujours, je t’ai suivi, sans me plaindre, parce que… parce que je t’aime…

Elle pleurait à présent, et Stéphane gardait sa position en chien de fusil, incapable de se lever, de la serrer contre lui.

— Mais cette fois, c’est au-dessus de mes forces, continua-t-elle. Ce qui t’arrive, ce que tu me caches n’a rien d’extraordinaire, comme tu le crois, comme tu l’as toujours cru. Des hallucinations… Ce sont juste de vulgaires hallucinations.

Il tourna enfin sa tête vers elle.

— Ce n’étaient p…

Il se figea, la bouche ouverte. Sylvie s’approcha et posa une photo sur le lit.

— Je l’ai prise en t’attendant, avec le vieux polaroïd de notre mariage. Notre mariage, tu te rappelles ? Garde bien cette photo, c’est peut-être le seul souvenir qu’il te restera bientôt de moi. J’ai encore besoin de plaire, Stéphane. Je ne peux pas accepter de me terrer aux côtés d’un mari qui ne me touche même plus et qui refuse de se soigner.

Une fois vêtue d’un jean noir et d’un pull gris, elle ajouta, tout en s’éloignant :

— J’aurais dû ouvrir les yeux, tu as quelque chose qui ne tourne pas rond depuis des années. Comme toi, je n’ai jamais voulu croire les médecins. Mais ils avaient tous raison. Depuis le début.

Stéphane se redressa, tremblant, et s’empara de la photo.

Quelques instants plus tard, un bruit de moteur déchirait le silence.

Sylvie partait quelque part, comme souvent. Et il ignorait où.

Ses pupilles plongèrent à nouveau vers le polaroïd.

Son épouse s’était coupé les cheveux. Sur le papier glacé, la colère lui durcissait les traits. Comme dans le rêve.

Seul, livré à la peur et à l’incompréhension, Stéphane empoigna une bouteille de whisky et s’enivra.

Jusqu’à définitivement sombrer, la main sur son tatouage.

Celui-ci indiquait : « Parle-moi de Mélinda. Mes messages sont sur les murs de la chambre 6. Les Trois Parques. Laisses-y les tiens. »

26. SAMEDI 5 MAI, 02 H 21

Cassandra Liberman lâcha la souris de son ordinateur et décrocha son portable, qui sonnait. À plus de 2 h 00 du matin, elle « chattait » encore sur Messenger.

— Ouais cousin. Du neuf ? demanda-t-elle.

— J’en tiens un. Il est OK.

— Chambre individuelle ?

— Oui.

— Et sa main, elle est comment ?

— Un caviar.

— Un caviar, c’est-à-dire ?

— Fais-moi confiance. Je ne t’aurais pas appelée pour un truc naze.

— L’opération, elle commence quand ?

— Dans quelques heures. Alors radine-toi, c’est maintenant ou jamais.

— J’arrive, cousin. Dans une bonne heure. Bouge pas d’un pouce.

— Tu veux que j’aille où ?

Cassandra raccrocha avec un large sourire. Excellente nouvelle. Si Jacques disait la vérité, la soirée allait finir en apothéose.

La brune termina sa conversation Messenger avec sa belle copine rousse, Amandine, se rhabilla – jean, tee-shirt noir à l’effigie d’ACDC, Dr. Martens noires – et enfouit rapidement son matériel photographique dans un sac, avant de quitter sa maison de campagne, à Chevreuse, pour foncer à l’hôpital de Kremlin-Bicêtre. Un bout de chemin, mais le jeu en valait la chandelle.

Le truc génial, avec son cousin Jacques, c’est qu’il ne posait jamais de questions. Elle avait besoin de personnes comme lui, dans son métier.

Devant l’hôpital, Jacques ne l’accueillit pas vraiment avec des fleurs.

— T’aurais pu te fringuer autrement, putain. On est censés la jouer discret.