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Cassandra manqua de vomir. Ça sentait la pourriture, genre pus, ou viande avariée.

Autour d’elle, l’herbe avait été piétinée.

Elle se frictionna les bras, traversée par un frisson. Il faudrait véritablement combler cette bouche d’aération avec du ciment.

À tous les coups, un malade avait chopé son adresse. Ça devait finir par arriver ! Elle donnait des cartes de visite à tout le monde. Dans le public de ses expositions traînaient nécessairement des vicelards. Ou des tarés.

Elle songea alors au type des Trois Parques. Le mec aux longs cheveux noirs, à la tête fracassée par le manque de sommeil, venu frapper à sa porte, réclamant leur chambre. La 6. Et s’il ne s’agissait que d’un prétexte pour les approcher ? Et s’il avait obtenu son adresse, d’une manière ou d’une autre ? Auprès du réceptionniste, peut-être ? Non… Elle avait toujours été prudente... Les Trois Parques, ce n’était pas le genre de palace où il fallait laisser ses coordonnées. Payer en liquide, photographier discretos et ne pas faire de vagues.

Elle rentra chez elle, s’enferma à double tour et partit directement se coucher, en colère. Ce mateur l’avait vue se masturber devant ses monstruosités.

Ça, c’était franchement pas cool…

QUATRIÈME RÊVE : FUMÉE NOIRE

27. SAMEDI 5 MAI, 04 H 05

Stéphane courait, toussait, crachait, la main sur la gorge. Devant lui, des ombres s’engouffraient dans les escaliers en criant. Partout, la fumée roulait. Un monstre gris de colère, affamé, rampait sous les portes et défiait l’espace.

Stéphane se dirigeait dans le sens opposé à celui des autres hommes. Il fonçait vers le feu.

Il enjamba un sac de cuir, ramassa une écharpe noire qu’il se plaqua sur le nez. Devant lui, une salle. Vitre en plexiglas, large miroir et une grande feuille blanche scotchée au mur, recouverte d’inscriptions.

Lorsqu’il voulut entrer dans la pièce, une main lui agrippa le col.

— Qu’est-ce que tu fous ! On dégage, merde ! hurla une voix à son intention.

Stéphane se retourna. Tout se brouillait, les perspectives s’embrumaient, fondaient comme des mirages. La fumée opaque pénétrait ses narines, sa bouche, lui brûlait les yeux. Le feu rugissait.

— Quelques minutes ! s’écria Stéphane. Juste quelques minutes à l’intérieur ! Il doit savoir ! On doit lui expliquer !

— Dans quelques minutes, il sera trop tard ! Tu vas brûler vif ! On n’a pas le temps ! Allez !

— Non !

— Allez !

Stéphane lança un dernier regard vers la salle et finit à regret par suivre le flux de ceux qui s’échappaient. Il discerna à peine, dans ce ballet de terreur, une paire de gros rangers noirs.

Il se laissa aspirer par les escaliers, chancelant. Tout se mit brusquement à rétrécir autour de lui.

Puis le noir. Le noir complet.

28. SAMEDI 5 MAI, 09 H14

Le lieutenant Vic Marchal avançait à bon rythme le long de la Seine, les mains dans les poches, direction le laboratoire de police scientifique. Le vent soufflait par bourrasques et le soleil disparaissait par intermittence derrière de gros nuages sombres. Le printemps tardait franchement à venir.

Le lieutenant Joffroy lui avait demandé, par téléphone, de récupérer les résultats biologiques des fragments de peau retrouvés dans la main droite d’Annabelle Leroy. De son côté, Vic lui avait expliqué que les histoires de gangrène l’avaient amené aux Trois Parques, un endroit connu de Leroy. Joffroy avait alors décidé d’y faire une petite escapade, accompagné de son inséparable Wang.

L’ingénieur du département de biologie, au regard sibérien, s’appelait César Ravicci. Derrière lui, un autre homme attendait. Plus petit, moins chevelu, les allures d’un spécialiste en quelque chose.

— Je vous présente Étienne Lambert, annonça Ravicci. Un spécialiste en médecine fœtale.

— Spécialiste en médecine fœtale ? répéta Vic en le saluant. Un lien avec notre affaire ?

— Plus qu’un lien. Suivez-nous.

Le LPS bourdonnait de vie, de mouvements, d’allers et retours précis et silencieux où chacun connaissait parfaitement son rôle. Les indices relevés sur les scènes de crime arrivaient ici par le sous-sol et se retrouvaient distribués dans les départements adéquats. Balistique, stupéfiants, incendies-explosifs, toxicologie, physico-chimie, biologie… On y disséquait alors l’invisible, non pas à la recherche des motivations de l’assassin, mais plutôt de la partie de lui-même qu’il avait laissée sur place. Son intimité matérielle, en quelque sorte.

Les trois hommes s’arrêtèrent dans le service de biologie moléculaire, où l’on discutait surtout d’ADN, d’ARN, d’empreintes génomiques ou de technique PCR. Se dessinait un monde de pipettes, de moniteurs, de microtubes et de microplaques, de centrifugeuses et de cryoboîtes. Un univers où l’homme et la science se liguaient pour décortiquer l’infiniment petit.

Ravicci s’arrêta devant des lamelles de verre étiquetées, entre lesquelles reposaient des lambeaux de peau.

— Voici les fragments retrouvés dans la main de la victime, et soumis à nos analyses par technique PCR, la plus rapide. Cela évite les dix jours d’attente.

Vic observait cette fourmilière bouillonnante. Le déploiement technologique et humain pour combattre le crime l’impressionnait. À chaque fois qu’un individu tuait, il ignorait certainement qu’il mobiliserait des millions d’euros en matériel ainsi que plusieurs dizaines d’hommes de l’ombre, occupés à traquer l’inimaginable.

— Qu’avez-vous trouvé ? demanda-t-il.

Ravicci s’empara de deux lamelles collées et exposa l’échantillon sous la lumière d’une lampe scialytique. Le faisceau traversa la peau, qui devint aussi translucide qu’une membrane d’œuf.

— Ce qui nous a paru étrange, avant tout examen, est cette allure « peau de serpent » des échantillons. Une personne normalement constituée, en bonne santé, n’aurait pu perdre tant de peau. Après notre PCR semi-quantitative ainsi que de nombreuses analyses, nous nous sommes aperçus qu’un gène particulier, le gène Sonic Hedgehog, présentait une mutation.

— Une mutation ?

Le spécialiste en médecine fœtale prit la parole.

— La protéine SHH, Sonic Hedgehog, est très impliquée dans le développement embryonnaire des vertébrés, elle intervient notamment au niveau du tube neural, qui est… hum… Comment vous expliquer simplement ? Il est…

— L’ébauche tubulaire du système nerveux central, qui contient déjà le cerveau, la moelle épinière, la peau, et plein d’autres choses ?

Étienne Lambert apprécia la réponse d’un hochement de tête.

— Comment le savez-vous ?

— J’attends un enfant.

— Tous les futurs parents ne savent pas forcément cela, pourtant.

— J’ai effectué pas mal de recherches sur… sur les embryons… J’aime beaucoup fouiner, dans tous les domaines qui me viennent à l’esprit.

— Bref, revenons à nos moutons. Une mutation dans le gène SHH provoque diverses anomalies congénitales et fragilise le développement futur de l’embryon. Ces anomalies se mettent en place principalement durant la période de gastrulation, soit trois semaines après la procréation. La gastrulation est très sensible aux agressions tératogènes.

— Tératogène… Comme la tératologie ?

— L’étude des causes et du développement des malformations congénitales, plus communément appelée, en effet, l’étude des monstres. Lors de la procréation, l’embryon est complètement sain. C’est à un moment donné du développement intra-utérin que se forme l’anomalie. Suivant le type de mutation, donc la gravité de l’anomalie, il arrive que l’enfant réussisse à naître et à se développer, avec néanmoins des probabilités de mortalité très fortes.