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Vic observa les lamelles transparentes. Il songeait à la poupée déformée entassée avec les autres, à son visage monstrueux.

— Donc, grâce à l’analyse de cette peau, vous savez que l’assassin d’Annabelle Leroy présente une grave anomalie congénitale ?

Ravicci reprit la parole.

— Nous ne pensons pas que le meurtrier présente cette anomalie, car dans le cas qui nous concerne, les porteurs atteints meurent en général très tôt. À peine quelques jours.

Vic n’était plus sûr de bien comprendre.

— Les assassins pourraient être deux ?

Ravicci constata son trouble et s’adressa à Lambert.

— Vous lui montrez ?

Les lèvres pincées, le spécialiste sortit une photo d’une pochette en cuir et la poussa devant Vic.

Le flic fronça les sourcils. Le cliché montrait un bébé au visage boursouflé, aux oreilles gigantesques et difformes, avec les deux jambes collées, comme enfermées dans un sac directement relié à la peau.

Lambert promena son index sur le papier glacé.

— Dysgénésie caudale, avec, dans ce cas précis, des signes d’appartenance à la famille des syméliens.

— Les syméliens ?

— Oui. Symélie, uromélie, ou, plus précisément ici, sirénomélie.

Vic secoua la tête.

— Sirénomélie ? Vous n’êtes quand même pas en train de m’annoncer que…

— Les fragments de peau trouvés dans la main de la victime proviennent d’un bébé sirène. Si, je vous l’affirme.

Vic passa sa main sur son front. Il ne parvenait pas à détourner le regard de l’affreux cliché. Il serra alors son téléphone portable au fond de sa poche, pris d’un brusque besoin d’appeler Céline, de lui demander si tout allait bien, si elle ne ressentait aucune douleur en elle.

Le jeune flic se ressaisit. Juste faire le boulot, et s’isoler du reste.

— Ça va ? fit Ravicci. Vous n’avez pas l’air dans votre assiette. Vos débuts à la première ?

— Trois semaines, oui. Ce bébé sirène, il n’était quand même pas… vivant ?

— Non, non. Vu l’aspect parcheminé de la peau, il était mort. De plus, hormis des cas extrêmement rares, la sirénomélie est incompatible avec la vie. Les bébés sirènes n’ont pas seulement les deux jambes dans le même étui cutané. Pour la plupart, ils ne possèdent ni vessie, ni perforation anale, présentent des problèmes rénaux et des malformations lombaires, pour ne parler que de cela. En général, comme le disait monsieur Ravicci, ils ne survivent que quelques jours. Voire quelques heures.

Vic n’osa imaginer le calvaire d’Annabelle Leroy, ligotée en croix sur son lit, alors qu’un démon approchait cette chose de son visage. Il essaya de garder son sang-froid et demanda :

— Et… comment a… comment l’assassin a-t-il pu se procurer ce… ce bébé ?

— Freak shows, vous connaissez ? répondit l’embryologue.

— Les foires aux monstres ?

— Ces foires aux monstres, comme vous dites, ne sont rien d’autre que des expositions de collections de tératologie. Siamois, vaches à deux têtes, hermaphrodites, fibromatoses, et caetera. L’un des cas les plus connus reste celui de John Merrick, alias Eléphant Man, mais il en existe tant d’autres, comme Kobelkoff, Eck ou les siamoises Blazek. Vous ne pouvez suspecter le foisonnement d’horreurs créées par la nature et que l’on retrouve aujourd’hui dans certaines grandes collections publiques ou privées.

Vic tendit le doigt vers la photographie.

— Donc, le bébé sirène viendrait d’une collection ?

Le médecin acquiesça.

— Ou d’un musée. La peau retrouvée chez votre victime est vieille, fripée, le bébé n’est pas mort d’hier.

— Les analyses au spectromètre de masse viennent de confirmer la présence de formol sur la peau, ajouta Ravicci. À tous les coups, on a affaire à un monstre conservé dans un bocal, comme au bon vieux temps.

Les trois hommes se regardèrent sans plus un mot.

— Je faxe tout cela à Mortier, annonça Ravicci.

— Bien évidemment, on ne possède pas l’ADN de l’assassin, donc ?

— Non. Uniquement celui de votre sirène. Mais je doute fort que cela vous serve à grand-chose.

Vic essayait de garder l’esprit clair.

— A votre avis, notre meurtrier pouvait-il se douter qu’on remonterait la piste de la sirène ?

— Il ne s’est pas vraiment attardé à faire disparaître ces squames de peau, alors qu’il n’a laissé aucune de ses propres traces. S’il s’intéresse aux maladies congénitales, ce qui est probable vu la nature du crime et les goûts particuliers de notre victime, et s’il regarde un tant soit peu les séries à la mode, oui, je pense qu’il doit s’en douter.

Une fois hors du laboratoire, Vic ne voyait plus la Seine couler, il n’entendait plus le clapotis de l’eau sur les coques des péniches. Il imaginait juste une femme attachée sur un lit, en train de hurler, face à un malade qui lui glissait une aberration de la nature dans la main.

Annabelle Leroy aimait côtoyer des créatures frappées par le sort, des malheureux au corps mutilé.

Elle avait voulu approcher le Minotaure, ce monstre mythologique rejeté dans un labyrinthe, fruit honteux d’une union entre une femme et un animal.

Mais le Minotaure était venu jusqu’à elle.

29. SAMEDI 5 MAI, 10 H 34

Au volant de la Ford, Stéphane enrageait. Rien n’avait fonctionné comme prévu. Il ne se rappelait presque pas de son rêve. Sans doute sa sérieuse biture au whisky de la veille, après sa dispute avec Sylvie. Ne lui restaient, en tête, que des bribes. Des tons rouges, de la fumée, des gens hors d’haleine, une paire de rangers noirs dans un escalier. Rien d’autre. Stéfur avait-il reçu le tatouage sur la hanche, était-il retourné dans la chambre 6 découvrir les messages sur le mur ?

Stéphane se maudissait, une pièce du puzzle lui échappait. Il passait son temps à retourner dans tous les sens les propos de Jacky, le chercheur. Ces histoires de paradoxes, de boucles, de mondes parallèles, de destin. Plus il y réfléchissait, moins il comprenait. Dans le cauchemar de l’hôtel, par exemple, Stéfur avait annoncé à ce Victor, au téléphone, qu’il ne rêvait plus. Visualisait-il le futur dans ses songes, lui aussi ? Agissait-il en conséquence ? Dans ce cas, existait-il un autre Stéfur, que Stéfur voyait évoluer dans un avenir encore plus lointain ? Stéphane songea à cet anneau de Mœbius dont lui avait parlé Jacky, à toutes ces impressions de déjà-vu, et fut pris d’une terrible envie de hurler. Pire que des poupées gigognes, ce truc. Après tout, une séance avec un psy vaudrait sans doute le coup.

Son téléphone sonna.

— Sylvie ?

— Non, Everard. À quoi tu joues ? Ça fait deux jours que j’essaie de te joindre ! La prothèse est prête ?

Everard, le cadet de ses soucis.

— Je bosse dessus. Tu l’auras bientôt.

— Quand, bientôt ? On tourne mardi prochain, je te signale !

— Tu l’auras, j’ai dit ! Je te l’apporte aux studios lundi, au pire, d’accord ?

— T’as intérêt. Martinez est une vraie tête à claques, elle ravage le moral du réal et de toute l’équipe. Tu sais ce qui te guette si, toi aussi, tu nous mets en retard ? C’est contractuel, bébé. Alors fais vite.

Stéphane grilla un feu orange bien mûr sans s’en rendre compte.

— Attends ! Attends avant de raccrocher ! s’écria-t-il. Hector Ariez, alias John Lane, travaille bien sur le film ?