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— Sur deux décors, pourquoi ?

— Et il est à côté de toi ?

— Non, chez lui à Sceaux, je crois.

— File-moi son numéro.

Stéphane le mémorisa et ajouta :

— Pour le buste, lundi, dernier délai. Ciao ciao.

Il raccrocha, entra le numéro d’Ariez dans son portable, alors que la Ford franchissait un pont sur l’Oise. Il était tellement inattentif qu’il venait de sortir de Méry. Demi-tour.

Trop d’images, d’interrogations trottaient dans sa tête. Avant de venir ici, il était passé à la poste de Lamorlaye pour essayer d’y louer la boîte postale 101, cette fameuse inscription « BP 101 » sur le mur de l’hôtel. Il n’était pas sûr qu’il s’agisse d’une boîte postale, encore moins qu’elle soit située à la poste de Lamorlaye.

N’empêche que la BP 100 et la BP 102 étaient déjà prises, mais pas la BP 101. Il l’avait réservée, sachant qu’elle ne lui serait attribuée que lorsqu’il aurait apporté les papiers nécessaires et rempli les formulaires.

Il était bien conscient d’avancer à l’intuition. Pourquoi ce Stéfur manquait-il de clarté dans ses fichues inscriptions ?

« Parce que Stéfur c’est toi, crétin, et que les explications claires et objectives n’ont jamais été ton fort. Tu as passé ta vie à avaler des médocs, ça a dû laisser des traces. »

Stéphane aperçut la gendarmerie, freina et opéra une marche arrière. Puis il resta là, longuement, à s’interroger. Ces gens en uniforme, ou plutôt leurs doubles futurs, étaient probablement en train de traquer Stéfur.

Il se gara plus haut, marcha un peu et, avant de pénétrer dans le bâtiment, enfila sa casquette, de manière à cacher ses yeux et sa longue chevelure.

— J’aimerais parler au capitaine Lafargue, demanda-t-il au brigadier à l’accueil.

Stéphane se souvenait par cœur du nom de ce gendarme qui, dans l’un de ses rêves, avait été interviewé à la radio et dirigeait l’enquête sur Mélinda.

— Qui dois-je annoncer ?

Stéphane se sentit brusquement désarçonné.

— Alors… Alors il existe vraiment ?

— Qui ?

— Lafargue.

Le brigadier le jaugea avec un drôle d’air.

— Je vous le garantis.

— Et… Sur quoi travaille-t-il ?

L’homme plaça ses mains sur ses hanches.

— Que désirez-vous, exactement ?

— Au revoir. À jamais, j’espère.

Stéphane fila en quatrième vitesse, rejoignit sa Ford, démarra et se dirigea vers la première des cinq écoles primaires dont il détenait les adresses. À la recherche de Mélinda.

Il pénétra dans l’établissement aux toits verts et aux murs de brique avec un pincement au cœur. Depuis combien de temps n’avait-il plus traversé une cour de récréation ? Depuis quand n’avait-il pas entendu des enfants rire ?

Il voyait les marelles, au sol. Les billes en verre, cassées, dans les rigoles. Les premières châtaignes déjà bourgeonnantes, en haut des arbres secoués par le vent. Tout un univers resurgit, celui des cavalcades et des courses entre les troncs. Celui des boules magiques, qui teignent les dents en mauve et explosent la langue. Sa route vers la maison de ses parents adoptifs, avec, en arrière-plan, le relief des Vosges.

Il s’arrêta devant une classe, un sourire nostalgique sur les lèvres. L’institutrice écrivait lentement au tableau : « chou, genou, hibou ». Et les élèves s’appliquaient à recopier ces mots, en glissant leur langue entre leurs dents. Derrière eux, des vivariums, peuplés de phasmes et de coccinelles. Et autour, une ronde de dessins colorés.

Il appesantit son regard sur une fillette blonde, avec de beaux yeux bleus, comme ceux de Sylvie. Comme ceux, aussi, de Ludivine Coquelle. Juillet 92.

— … sieur… Monsieur ?

Stéphane se retourna.

— Vous cherchez quelque chose ? lui demanda une femme avec les cheveux noués en queue-de-cheval.

Il ôta sa casquette.

— Vous êtes la directrice de l’école ?

— En effet. Vous savez qu’il est interdit de s’introduire dans l’enceinte de l’établissement ?

À travers la vitre, Stéphane désigna les dessins sur le mur.

— Môme, je dessinais souvent des arcs-en-ciel. Et à chaque fois, dessous, je griffonnais aussi un bonhomme, habillé en gris, et tout petit. Quasiment invisible. Pour les maisons, c’était pareil. Comme sur chacun de mes dessins, d’ailleurs. Tantôt ce bonhomme se trouvait dans le ciel, tantôt sous terre, une autre fois caché quelque part, mais il était toujours là. Je n’ai jamais su pourquoi je le dessinais, et jamais personne n’a pu me l’expliquer clairement. Vous pourriez, vous ?

La jeune femme croisa les bras, légèrement ahurie.

— Non. Mais peut-être que vous, vous pourriez me donner la raison de votre présence ici, devant la classe des CM1 ?

Stéphane la considéra avec un sourire.

— Je recherche Mélinda. J’aimerais savoir si elle se trouve dans votre école.

— Mélinda comment ?

— Je l’ignore, sa mère s’est remariée et je ne connais pas le nom de famille de son mari. Je sais juste qu’elle a dix ans.

— Qui êtes-vous ?

— Son oncle. Un oncle qui ne l’a plus vue depuis ses trois ans. Et… je ne m’entends plus vraiment avec ma sœur. Je voulais juste l’apercevoir. Me rendre compte de la manière dont elle a changé. Je prends l’avion pour New York ce soir, alors…

La directrice adopta un air sévère.

— Désolée, nous devons protéger nos élèves et je ne peux rien vous dire. Si vous voulez récupérer un enfant à l’heure de la sortie, il nous faudra une autorisation signée des deux parents, remise par les parents eux-mêmes.

— Mais je ne veux pas la récupérer ! Juste la voir !

Elle poussa légèrement Stéphane dans le dos pour l’inciter à prendre la direction de la sortie. Mais il se rebiffa et lui serra le poignet un peu fort.

— Donnez-moi au moins son nom ! Dites-moi juste si elle se trouve dans votre établissement !

Elle se dégagea d’un geste ferme.

— Sortez monsieur, s’il vous plaît ! Ou j’appelle la police !

Stéphane voulut hurler que, bientôt, on retrouverait peut-être Mélinda morte au fond d’une carrière, mais il dut se retenir. Il obéit, sans plus protester. Cette vieille chouette n’avait pas lâché la moindre miette.

Il s’éloigna à pied et s’enferma dans sa voiture, garée un peu plus loin. Pas question qu’on relève son numéro de plaque, il fallait rester prudent, surtout quand on traînait près des établissements scolaires.

Il choisit une autre école, plantée sur les hauteurs de Méry, à proximité d’un petit bois, et se gara en retrait, derrière une camionnette, de manière à guetter la sortie des classes.

A 11 h 30, ce fut une explosion de couleurs, de cris, de têtes blondes et brunes. Les parents riaient, discutaient, demandaient à leur progéniture comment s’était déroulée la matinée. Quelle joie d’aller chercher son enfant, de le voir grandir, s’épanouir. Stéphane serra son volant. Lui n’avait plus de parents, ni biologiques – il ignorait tout de ses origines −, ni adoptifs – il ne les côtoyait plus. Et il n’aurait jamais d’enfant.

Il regarda un à un les écoliers passer devant lui. Des mômes éclatants, auréolés de vie, aux cheveux chahutés par les bourrasques. Parmi eux se trouvait peut-être la petite Mélinda. La camionnette se mit en route et disparut doucement à l’angle de la rue. Plus rien ne dissimulait la Ford à présent. Stéphane décida de quitter son véhicule et de se poster un peu plus loin.

Il était presque midi quand, enfin, un homme sortit et ferma à clé la grille de l’entrée.

Stéphane remonta la rue rapidement, se précipita vers la grille et entreprit de l’escalader. Il glissa et chuta de l’autre côté sur le flanc gauche. Son carnet vola devant lui, et des feuilles détachées se mirent à danser dans le vent.