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— Non !

Il se redressa pour tenter de les rattraper mais cinq ou six feuilles disparaissaient déjà dans la rue.

— C’est pas vrai.

Le carnet dans une main, des feuilles dans l’autre, il courut alors en boitillant derrière l’établissement. À cet endroit, on ne pouvait le repérer.

Il reprit son souffle, se massa longuement la cuisse, puis fouilla dans sa poche. Il attrapa son portable, en ouvrit le clapet. L’écran était brisé.

Il eut alors envie de se laisser choir, de tout abandonner. La coupe de cheveux de Sylvie, l’écran en miettes, à présent, comme dans les rêves. Les événements les plus anodins et improbables se réalisaient.

Il fallait tout arrêter, maintenant. « Rester loin de Mélinda. »

Il manqua de rebrousser chemin, mais se décida néanmoins à poursuivre. Le destin voulait qu’il abandonne. Mais peut-être était-ce en abdiquant, justement, que tout allait se produire. Comment savoir ?

Il continuerait !

Stéphane inséra les feuilles rattrapées dans son carnet. Que manquait-il ? Une partie du second rêve, « Route vers Sceaux », celui où il fonçait chez Ariez avec le Sig Sauer. Et aussi la fin du passage aux Trois Parques, où il fuyait dans les bois.

Une fois le carnet dans sa poche, il ôta rapidement sa veste, l’enroula autour de son poing et cogna dans le coin d’un carreau. Des morceaux de verre s’éparpillèrent sur le sol.

Quelques minutes plus tard, il pénétrait dans le bureau du directeur. D’un grand coup de pied, il défonça la porte d’une armoire verrouillée.

Les dossiers scolaires.

Il utilisa sa veste pour ne pas toucher directement quoi que ce soit.

Mélinda, dix ans, devait étudier en CM1 ou en CM2. Heureusement, ce n’était pas un prénom très répandu. Pas Claire, ni Marie. Il dénicha des listings, qu’il parcourut attentivement. Il dénombra deux Mélinda, chacune dans une classe différente.

Manque de bol.

Il fouilla encore dans les tiroirs et récupéra le dossier personnel de chaque gamine.

Il s’intéressa d’abord à Mélinda Potier. Rousse, le visage rond et éclaboussé de taches de rousseur jusque sous le menton. Très mignonne. Elle habitait Méry, avec un père dentiste et une mère au foyer.

Ensuite, il se pencha sur l’autre dossier. Mélinda Grappe souriait, avec une dent en moins. Visage encadré de boucles châtain clair, yeux verts, une croix autour du cou. Irrésistiblement, il s’établit comme un contact entre la gamine et Stéphane. Une impression inexplicable de déjà-vu. Il sut alors que c’était elle.

Stéphane nota l’adresse et remit les dossiers en place. Il y aurait certainement une enquête après son effraction, mais on croirait à des jeunes. Jamais on ne remonterait jusqu’à lui.

Le front en sueur, il rejoignit son véhicule sans croiser personne.

Il la tenait, sa Mélinda. Ce sentiment de porter le destin de la gamine dans le creux de sa main…

Dix minutes plus tard, il se garait devant un bar-tabac, en face de la maison des Grappe, une belle construction de pierres blanches, avec un jardin donnant sur l’Oise. Ils devaient être chez eux car deux voitures étaient garées dans l’allée.

Et maintenant, que faire ? Entrer en expliquant, la bouche en cœur, ses visions ? Que l’enfant allait probablement mourir noyée au fond d’une carrière interdite au public ? Et que, de surcroît, il serait le principal suspect ? Impossible.

Et lui, pourquoi le suspectait-on, pourquoi la radio avait-elle livré son signalement ? Quel rôle jouait-il dans cette histoire ? Il songea au message noté par Stéfur sur la tapisserie de sa chambre, aux Trois Parques : « Rester loin de Mélinda ». Stéfur ne pouvait-il pas donner plus de précisions ? Mais non, les raccourcis, les messages incompréhensibles, le brouillard cérébral, c’était tout lui, Stéphane Kismet.

Alors ? Rester à l’écart et la laisser mourir ? Permettre à un sadique de l’enlever, la violer, et la noyer ?

Quelqu’un avait placé cette petite fille adorable sur son chemin. Peut-être le petit bonhomme en gris qu’il barbouillait toujours sur ses dessins, depuis l’âge de six ans. Peut-être ce fantôme n’était-il rien d’autre que Stéfur, qui essayait de lui parler, de le prévenir de malheurs à venir, depuis des années et des années, au travers de songes dont il ne se souvenait jamais.

Stéfur l’avait peut-être tout le temps accompagné, avec un décalage d’environ six jours.

Stéphane s’effondra au fond de son siège, comme si, soudain, il comprenait le sens de sa propre vie. Comme si s’éclairaient toutes les traces noires de son existence.

13 h 30. Son cœur accéléra dans sa poitrine.

Mélinda sortait de chez elle, habillée d’une robe claire, de chaussettes blanches et de bottines rouges. Sa croix reposait au-dessus de sa robe. Une si jolie fillette…

Depuis l’habitacle de sa Ford, Stéphane la photographia discrètement et posa le numérique sur le siège passager.

Il jaillit alors de son véhicule, prêt à traverser la rue, quand il entendit une voix masculine.

— Mélinda ! Attends-nous, s’il te plaît !

Stéphane changea subitement de direction. Après s’être suffisamment éloigné, il se retourna. Mélinda et ses parents montaient dans un 4x4.

La voiture passa devant lui. La gamine colla sa main sur la vitre et jeta vers Stéphane un regard indifférent, avant de se coiffer d’un casque audio.

Puis le véhicule disparut au coin de la rue.

Stéphane regarda sa montre et décida qu’il n’irait pas à son rendez-vous chez le psychiatre. Il resterait ici, à patienter, guetter, surveiller. Un monstre voulait s’en prendre à Mélinda dans quelques jours à peine. Peut-être ce salaud repérait-il déjà le terrain.

Si tel était le cas, Stéphane le trouverait. Et agirait en conséquence.

30. SAMEDI 5 MAI, 14 H 07

— À toi Marchal…

Wang, Joffroy, Mortier et Vic se tenaient dans une petite pièce sans fenêtre. Ils avaient dû quitter leurs bureaux pour cause de travaux de plomberie, d’électricité et de rénovation. D’ici quelques jours, ce bâtiment serait entièrement vide et rutilant, prêt à accueillir les nouveaux arrivants du ministère de la Justice.

Vic avala son café – payé au distributeur – et prit la parole.

— Côté indices, d’abord. On poursuit les recherches concernant le bébé sirène : musées, hôpitaux, expositions. Pour la morphine, c’est trop large pour le moment. Idem pour l’écarteur de mâchoires et les poupées, trop vague là aussi, il va falloir plus de temps. La piste des membres gangrenés n’a pas donné grand-chose. Enfin, on sait quand même maintenant que Leroy se rendait occasionnellement dans une auberge appelée Les Trois Parques, afin d’y assouvir ses fantasmes. Comme Moh et Jérôme ont pu le constater ce matin, il s’agit d’un lieu de rencontres de… de « monstres » entre guillemets, et d’adorateurs de monstres… Accidentés, brûlés, estropiés.

— On va récolter pas mal d’informations sur ce point, intervint Joffroy. On a mis deux hommes là-dessus, pour rechercher les anciens clients et les interroger. Le Matador est peut-être lui aussi un adepte des pratiques sexuelles déviantes, ça ne m’étonnerait pas qu’il connaisse cette auberge.

— Et Juliette Poncelet, notre sado assoiffée de tequila, demanda Mortier, elle connaissait l’endroit ?

— Non, affirma Wang. Pour elle, le SM n’a rien à voir avec ces… délires sur l’apparence physique.

— Ouais, je ne sais pas ce qui est mieux. Se faire écraser les burnes par Poncelet ou baiser une femme à barbe.

Ils sourirent de la plaisanterie. Puis le commandant relançaVie:

— Continue Marchal.

— Euh… Côté indices, je suis à sec. On parle motivations ?