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— Toutes les maladies congénitales ou les anomalies sont forcément aussi visibles ?

— Non. L’œil s’attache particulièrement à celles qui touchent le visage où les parties exposées du corps, mais beaucoup sont bien plus discrètes, intimes, comme l’hermaphrodisme, les langues poilues, les pousses dentaires anarchiques.

— Les pousses dentaires anarchiques ?

— Des dents qui poussent dans le nez, sur le palais, sous la langue, et même sous la paupière.

Ce que Vic découvrait allait au-delà de l’entendement.

— Quoi d’autre ?

— Oh, il existe une infinité d’autres cas, plus ou moins saillants. Des malformations des cordes vocales, comme pour Tino Rossi, des cœurs battant à droite, ce qu’on appelle les situs inversus, ou deux poumons placés du même côté. Ou encore, des kystes de plusieurs kilos, dans le corps. Le record est six ou sept kilos. Parfois l’anormalité concerne tout simplement les caractéristiques sanguines. Quelques personnes appartiennent à des groupes non référencés. Moins de dix individus au monde constituent par exemple le groupe A-H. Il y a aussi Joe Thomas, de Détroit, qui produit en grande quantité un anticorps sanguin très rare, l’anti-Lewis B, qu’il vend à mille cinq cents dollars le litre à une importante société biologique. Il en a donné presque mille litres en une cinquantaine d’années.

Ils arrivèrent devant des bocaux et des cires. Achille s’immobilisa devant un large récipient où reposait, à côté d’un chat cyclope et d’un fœtus anencéphale, un bébé sirène.

— Il a emporté seulement le spécimen féminin, annonça-t-il. Un bébé mort-né, datant de 1956.

Dans le bocal, l’être grimaçait, les paupières transparentes et finement nervurées rabattues sur les yeux. Ses jambes minuscules, sans pieds, s’unissaient dans un surplus de peau.

— Et… il n’a rien volé d’autre ? demanda Vic.

Achille secoua la tête.

— Non, cela m’a paru étrange, d’ailleurs. Un drôle de collectionneur, car ce musée présente des pièces bien plus remarquables.

« Si tu savais ce qu’il a fait avec la sirène… » se dit Vic en prenant quelques notes.

— Pas de témoins ?

— Je me suis aperçu du vol un lundi matin. Cette faculté n’a aucun système de sécurité, n’importe qui peut s’y introduire.

Vic pensa que le tueur avait dû venir repérer les lieux auparavant.

— Conservez-vous un listing des visiteurs ?

— Absolument pas. Je donne un billet et les personnes n’appartenant pas à la faculté payent leurs cinq euros, en liquide la plupart du temps.

— Et je suppose que vous n’avez rien remarqué d’anormal non plus ? Genre un type déjà venu plusieurs fois ? Ou quelqu’un atteint d’une anomalie visible ?

— Nous avons régulièrement des gens mal formés, parmi nos visiteurs. Ils viennent ici afin de se renseigner ou peut-être pour se sentir un peu moins… différents. Mais je serais bien incapable de vous donner leurs coordonnées.

Vic sortit la photo de Leroy de sa poche.

— Cette femme vous dit quelque chose ?

Achille s’empara du cliché et l’observa attentivement.

— Jamais vue. Enfin, je crois. En tout cas, je puis vous assurer qu’elle n’est pas de la faculté, parce que je l’aurais remarquée.

— Je confirme, elle n’était pas de la faculté.

Vic rempocha sa photo. Encore une piste qui se terminait en cul-de-sac. Il tendit sa carte à Achille, pressé d’en finir. Il était temps d’oublier le boulot et de rejoindre Céline.

— Au cas où quelque chose vous reviendrait, même un détail, appelez-moi.

Le jeune homme inclina la tête.

— Je ne sais pas si ça peut vous intéresser mais… un homme est venu hier, en début d’après-midi, avec sa femme. Et c’était très curieux, parce qu’il cherchait quelque chose mais sans savoir quoi. Il a visité le musée, il voulait à tout prix que je lui dise si des événements inhabituels avaient eu lieu. Je ne lui ai rien dévoilé, bien sûr, surtout qu’il était assez agressif. On aurait dit qu’il enquêtait, comme vous.

L’impression d’un coup de fouet, d’avoir déjà entendu cela. D’abord aux Trois Parques, hier soir. Et à présent, ici, à Dupuytren.

— Il enquêtait ? Sur quoi ?

— Je vous l’ai dit, je l’ignore, et le pire, c’est que lui aussi l’ignorait. Il m’a même prié de le rappeler s’il se produisait un truc louche, ou si quelqu’un posait de drôles de questions. À l’évidence, il avait prédit votre visite.

— Il vous a demandé de le rappeler ? Ça veut donc dire… Fièrement, Achille sortit une carte de sa poche.

— Les coordonnées de ce type. Ça vous intéresse ?

32. SAMEDI 5 MAI, 18 H14

Vic raccrocha son téléphone, à bout de batterie, et bifurqua juste à l’entrée de Lamorlaye, là où un panneau indiquait « Allée de la côte ». Une heure et demie auparavant, à peine sorti du musée Dupuytren, il était passé récupérer Wang à la brigade.

— Ta femme n’avait pas l’air contente au téléphone, constata ce dernier en suçant un bonbon au piment.

— Non, sans blague ? Depuis que je bosse, je ne suis pas rentré une seule fois à l’heure.

— Rassure-toi, moi non plus, et ça fait vingt ans.

Après un dernier virage, la voiture passa un portail et pénétra sur un large chemin forestier. Sous les frondaisons, le soleil de fin de journée n’apparaissait que par intermittence. Au bout de cinq cents mètres, la demeure se profila, colossal bloc blanchâtre enfoncé au cœur des arbres. Wang colla son nez contre le pare-brise.

— Wouah ! On dirait Alcatraz version bourgeoise ce truc.

Ils quittèrent leur véhicule et se retournèrent quand ils entendirent des branches craquer derrière eux. Une Audi grise arrivait, le moteur au ralenti. Une femme blonde, radieuse et formidablement élancée, en sortit, deux paquets dans les mains. Ses sourcils se froncèrent immédiatement.

— Je peux vous aider ? demanda-t-elle.

Wang ne put s’empêcher de la regarder de haut en bas. Jambes sublimes, et il adorait les femmes aux cheveux courts, surtout les blondes. Il brandit sa carte de police, un sourire de circonstance sur les lèvres.

— Nous avons quelques questions à poser à monsieur Kismet.

— La police criminelle de Paris, ici, à Lamorlaye ? Mais… Que lui voulez-vous ?

— L’interroger sur une affaire de meurtre.

Sylvie se figea soudain. Vic se proposa de lui porter un paquet.

— Ne vous inquiétez pas, notre métier nous contraint souvent à rencontrer des gens sans rapport direct avec nos affaires. Le banquier d’une victime par exemple, ou l’instituteur de sa fille. Pas de quoi vous alarmer.

— Quel est le lien, dans le cas de mon mari ? demanda-t-elle.

Les deux flics se regardèrent brièvement. Puis Wang décida de se lancer :

— Comment dire… Notre enquête nous entraîne sur différents lieux assez insolites, et il se trouve que votre mari s’y est rendu très récemment.

— C’est tout ?

— Vous savez, une enquête, c’est souvent routinier. Pourrait-on discuter à l’intérieur ?

Sylvie les invita à la suivre. Ils montèrent silencieusement les trois grosses marches du perron.

— Où mon mari s’est-il rendu ?

— D’abord un musée sur les maladies congénitales, puis… une auberge, Les Trois Parques.

Ils traversèrent le vaste hall et arrivèrent dans la cuisine. Partout traînaient encore des affaires emballées, des chauffages électriques, ainsi que du matériel de chantier. Scies, burins, ciment, plâtre. Les pièces étaient gigantesques, avec des plafonds à cinq mètres de hauteur. Sur les murs, des portraits. Des personnages au visage fermé, aux vêtements sévères. Cette habitation dégageait une impression de froideur séculaire.