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— Alors, madame ? insista Wang. Le musée Dupuytren, Les Trois Parques ?

Sylvie inspira en posant son sac sur la table.

— Il m’a emmenée hier dans cet horrible musée, dans le 6e. Une brusque envie, comme il en a très, très souvent. Mon mari est maquilleur-créateur, il invente des monstres pour le cinéma. Il travaille également avec de nombreux musées de France pour différentes expositions, comme celle qui se déroule en ce moment à Lyon.

Vic la considéra d’un air sceptique.

— Je suis moi-même allé à Dupuytren. Le conservateur a affirmé que monsieur Kismet ne connaissait pas réellement la raison de sa présence là-bas. Il l’a même senti agressif.

— Il a dû se méprendre. Mon mari est assez extravagant et s’emporte facilement. Il a juste fait son numéro, il est doué pour l’improvisation. Il adore tromper son monde. Quand il ne s’exprime pas à travers ses moulages, il le fait autrement. Est-ce un crime ?

Les deux flics étaient debout, à l’entrée de la cuisine, sans qu’elle leur propose de s’asseoir.

— Et pour les Trois Parques ? insista Wang.

Sylvie se tourna vers l’évier et se rinça les mains. Son chat se glissa entre ses talons en ronronnant.

— Je l’ignore. Je ne sais même pas de quoi vous parlez.

— Il s’agit d’un endroit de rencontres un peu décalé. Des gens avec… des particularités physiques repoussantes s’y retrouvent.

Sylvie interrompit brièvement son mouvement, ce qui ne leur échappa pas.

— Il est de votre devoir de raconter tout ce que vous savez, précisa Wang. Dans tous les cas, nous le découvririons par nous-mêmes. Alors autant vous montrer coopérative.

— Et cela vous étonne que Stéphane se trouve là-bas, aux Trois Parques ?

— Plutôt, oui. Ce n’est pas trop le genre de promenade pour un homme marié.

Elle lâcha un petit rire nerveux.

— Eh bien moi, cela ne m’étonne pas, voyez-vous. Stéphane aime le noir, le bizarre, avoir peur et faire peur. Il est continuellement à la recherche de nouvelles sources d’inspiration, pour créer ses monstres. Il ne se base pas uniquement sur l’imaginaire, il puise aussi dans la nature humaine, ses multiples dysfonctionnements. S’il devait descendre aux enfers pour découvrir le véritable visage du diable, je vous garantis qu’il le ferait.

Sylvie s’essuya les mains avec une serviette.

— Vous devriez attendre son retour. Il aura certainement une bonne explication à vous fournir.

— Où est-il ?

— Je ne sais pas.

La jeune femme retourna vers la table et sortit les courses de ses paquets. Elle devait s’occuper les mains, impérativement.

— J’ignore pourquoi vous venez traîner ici, mais mon mari n’a strictement rien fait. Je ne vois rien d’étonnant à ce qu’il se soit rendu dans les deux endroits dont vous me parlez. Tout cela est lié à son travail. Ce n’est pas lui qui foule votre territoire, mais vous le sien, vous comprenez ?

— Nous comprenons parfaitement, rétorqua Wang en se grattant l’arriére du crâne. Que faisait votre mari, dans la nuit du mercredi 2 au jeudi 3 mai, aux alentours de minuit ?

Sylvie réfléchit, et son visage retrouva soudain une certaine sérénité.

— J’avoue qu’avec Stéphane, on ne sort plus souvent ensemble mais là, voyez-vous, nous dînions au restaurant. La Cravache d’argent, à Chantilly.

Elle fouilla encore dans ses sacs et, voyant que les flics ne bougeaient pas, lança :

— Il vous faut plus de détails, évidemment. Alors voilà, nous y sommes arrivés vers 22h00, et sommes repartis… Oh, 1 h30 du matin, au moins. On a eu une grosse, grosse discussion, tous les deux. Et pour les témoins, vous en trouverez des dizaines. Le restaurant était bondé.

Elle fixa Vic droit dans les yeux.

— Vous voulez connaître les menus, aussi ?

— Non, ça ira.

— Vous avez vos réponses ? Alors, si vous permettez…

— C’est qu’on aimerait bien rencontrer également votre mari, pour avoir sa version des faits et vous laisser définitivement tranquilles.

— Je répète, je ne sais pas où il est !

— Il a bien un téléphone portable, vous pouvez essayer de le joindre, non ?

— Désolée, mais j’ai horreur des portables.

Sylvie déballa deux belles statuettes en céramique et se tourna vers les flics.

— Vous voyez, ces jumelles saigonnaises, c’est aussi en rapport avec les recherches de mon mari, ses rêves, ses fantasmes, que je les ai achetées… D’ordinaire, je n’y aurais pas fait attention. Mais là, il m’en avait tellement parlé…

Elle s’avança dans le hall, suivie par les deux policiers. L’une des statuettes trouva exactement sa place sur une tablette en bois noir. Stéphane n’avait pas tort : cet emplacement lui convenait à la perfection. Elle posa l’autre statuette dans un coin, derrière une caisse.

Vic s’approcha de la Saigonnaise et la caressa lentement.

— Vous nous avez dit que votre mari fabriquait des monstres. Peut-être le trouverons-nous sur son lieu de travail ?

— Je ne pense pas. Son lieu de travail est au sous-sol.

— Et peut-on y faire un tour ? Juste quelques minutes ?

Sylvie hésita. Ces types étaient pires que des teignes.

— D’accord. Vous comprendrez ainsi pourquoi mon mari se rend dans des musées sur les maladies congénitales ou dans d’autres endroits tout aussi insolites. Si cela peut le disculper de je ne sais quoi.

Wang félicita son collègue d’un clin d’œil, alors que Sylvie s’avançait déjà vers une porte.

— Comment en vient-on à créer des monstres ? lui demanda le jeune lieutenant en la rejoignant.

Ils descendirent tous les trois les escaliers, dans l’obscurité.

— Mon mari est venu sur Paris sans rien dans les poches, pour faire de la figuration, avec le secret espoir de devenir acteur. Il a un véritable don pour ça. Mais tout est si difficile dans ce milieu… Alors il arrivait tout juste à survivre, de casting en casting, jusqu’à ce qu’il réussisse à obtenir un poste de chef de file, pour organiser la figuration. En même temps, il a commencé à travailler dans un atelier de maquillage pour le cinéma, et il s’est rendu compte qu’il avait un certain talent.

— Quel genre de talent, plus précisément ?

— Celui de créer des figures extraordinaires. Des créatures que l’on ne croise nulle part sur Terre, hormis dans l’esprit des gens. Stéphane excelle dans son métier.

Vic se plia soudain en deux, la main gauche sur l’avant-bras droit. Il serra les dents. Wang se retourna.

— Eh, Marchal ? Un problème ?

Vic se redressa, les traits tirés.

— Ce n’est… Ce n’est rien… fit-il en contractant les mâchoires. Une petite douleur dans l’avant-bras. Je… Je fais pas mal de rameur chez moi, ces derniers temps. J’ai dû me froisser un muscle, ou me choper une tendinite. Avancez, je… j’arrive…

— Vous êtes sûr ? demanda Sylvie.

— Absolument.

Quand ils lui tournèrent le dos, il serra très fort le poing, une dizaine de fois. L’atroce douleur finit par s’estomper, et il les rattrapa.

— Cette odeur ? demanda-t-il.

Sylvie se frottait les épaules, il faisait froid au sous-sol.

— Ammoniac, un stabilisateur du latex. Moi, je ne le sens même plus.

— Ces caves sont gigantesques. Combien de pièces ?

— Une bonne quinzaine. Vous évoluez dans un ancien refuge de chasse. Avant, ici-même, se déployait toute l’intendance nécessaire pour accueillir une famille entière d’aristocrates. Les buanderies, les cuisines, ainsi que des salles où l’on entreposait, écorchait et fumait le gibier. D’où les crochets de boucherie, au plafond. Puis, voilà une quarantaine d’années, ce domaine a été loué pour des tournages de films. Certaines pièces, à l’étage ou ici, au sous-sol, sont encore en l’état.