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Elle ouvrit une porte. Vic eut un mouvement de recul. Des ongles étaient incrustés dans les murs ensanglantés, rayés de griffures. Le sol était jonché de touffes de cheveux collées par un liquide marron.

— À quoi rime tout ceci ? demanda Wang, brusquement sur ses gardes.

Sylvie s’avança dans la cave.

— Ce n’est pas du vrai sang, je vous rassure. Il s’agit juste d’un ancien décor de cinéma. Mais nous allons faire des travaux, et tout ça va bientôt disparaître.

Ils longèrent le couloir et passèrent devant d’autres portes en bois. Sur l’une d’elles, Vic aperçut le dessin d’un bébé aux membres déformés. Il s’arrêta et se décida à ouvrir. Sylvie se précipita et posa sa main sur celle du jeune lieutenant.

— Non. Pas celle-là.

Vic resta sans bouger, surpris. Sylvie retira brusquement sa main et crut bon de se justifier :

— Mon mari et moi… on ne pourra jamais avoir d’enfant, il souffre de… Non, il ne faut pas entrer là-dedans, Stéphane n’était pas au mieux de sa forme quand il a dessiné toutes les planches à l’intérieur. C’est une vision très, très noire de… la naissance. Cela ne vous donnerait pas une bonne image de lui.

Vic sentit un frisson lui remonter le long de l’échine. Après-demain, Céline faisait son amniocentèse.

— Je voudrais quand même voir, s’il vous plaît.

Sylvie hocha la tête sans conviction.

— Sans moi, alors. C’est le seul endroit où je… je ne peux pas pénétrer. L’interrupteur se trouve sur la gauche.

Les deux flics entrèrent l’un derrière l’autre. Vic referma la porte et alluma la lumière. Chuintement électrique.

Sur les quatre murs, du sol au plafond, se déroulait une fresque immense. Des centaines et des centaines de dessins au fusain.

— Ce type est un taré, chuchota Wang. Si on omet le coup de l’alibi au restaurant, on pourrait tenir notre homme.

Vic ne répondit pas. Devant eux se déployait un ensemble titanesque de monstruosités. Chaque illustration représentait un bébé difforme, avec, en dessous, le nom de l’anomalie dont il souffrait. On y parlait d’anomalies simples, comme les hémitexies, l’hermaphrodisme, les monstres siamois. Mais aussi de monstres autosites, comme les sirènes, les exemcéphaliens, les otocéphaliens, les cyclocéphaliens, avec un œil unique au milieu du front. Puis, plus on avançait, pire c’était. Les monstres omphalosites, genre anidiens, au corps réduit à une bourse cutanée avec un cordon ombilical, les monstres doubles parasites…

Wang s’approcha de la représentation de la sirène.

— Tu as vu ? Drôle de coïncidence, non ?

Vic se positionna entre deux miroirs placés face à face, et regarda son reflet se démultiplier à l’infini.

— On baigne dans les coïncidences depuis le début, et à mon avis, on en cherche un peu trop. Je veux dire, tout cela, cette sirène, ces monstres, ne font pas de lui un coupable. Son univers me paraît somme toute logique, cohérent avec les Parques ou Dupuytren. Comme dit sa femme, on ne fait qu’empiéter sur son territoire. Nous sommes les intrus, pas lui.

Wang continuait à avaler chaque dessin de ses petits yeux noirs.

— La femme, elle te paraît comment, justement ? Elle nous cache quelque chose, non ?

— Apparemment, ils ont des problèmes de couple. Elle ignore où il se trouve, et elle parle de lui comme d’un étranger. Tu sais, les gens habitent parfois de grandes maisons pour se fuir l’un l’autre. On sort ? Je ne me sens pas à l’aise ici.

— Je reste encore une minute.

— OK, je t’attends dans le couloir.

Vic alla rejoindre Sylvie, qui patientait un peu plus loin.

— Je comprends mieux ce que vous vouliez dire. C’est très impressionnant.

Puis il resta silencieux quelques secondes, encore sous le coup de ce qu’il venait de voir. Décidément aujourd’hui… Ici… à Dupuytren… Il se souvint de sa discussion avec le conservateur du musée. Et en particulier de ses explications concernant les anomalies plus ou moins visibles. Il demanda tout bas :

— J’aimerais connaître la maladie de votre mari, celle qui l’empêche de donner la vie. Ça restera entre vous et moi.

Sylvie se rebiffa.

— Pourquoi je vous confierais de quoi souffre mon mari ? C’est extrêmement personnel.

Vic tenta le tout pour le tout.

— Ce que je vais vous dire est aussi très personnel, murmura-t-il. Ma femme et moi, on ne peut pas avoir d’enfant non plus. Chose certaine, je suis le fautif, mais on ignore d’où vient le mal, pour l’instant. Je… J’enchaîne des batteries d’examens, c’est épouvantable de se trouver dans cette situation… Voilà pourquoi cela m’intéresse.

Sylvie voulut se retenir, mais les mots sortirent d’eux-mêmes.

— Mon mari souffre d’une absence congénitale des canaux déférents.

Vic plissa légèrement les paupières.

— C’est une maladie invisible ?

— Invisible ? C’est-à-dire ?

— Je veux dire… De l’extérieur.

— Complètement invisible.

Sylvie baissa la tête, puis la releva.

— Vous allez chercher votre collègue et on termine cette visite, si vous le voulez bien ?

Une minute plus tard, ils avançaient de nouveau de pièce en pièce. Dans une autre cave s’empilaient des centaines d’affiches de films d’horreur, et ailleurs, encore, des tirages couleur d’insectes, agrandis des milliers de fois. Pattes de poux, abdomens d’acariens, trompes de moustiques. Sans compter, de-ci, de-là, les têtes coupées, les bras arrachés, les bidons de faux sang ou de vomi factice.

— En dehors des mannequins, votre mari reproduit-il les odeurs ? demanda Vic.

— Comment ça ?

— Quand il fabrique un cadavre, y associe-t-il l’odeur de putréfaction ? Je crois que certains réalisateurs américains utilisent cette méthode pour rendre les tournages plus réalistes et impliquer les acteurs.

— En Amérique, peut-être, mais certainement pas ici. Vous ne sentirez que l’odeur de l’ammoniac.

Elle les invita à pénétrer dans Darkland. Vic retrouva son regard d’enfant. Il touchait du bout des doigts les mâchoires acérées, les paupières caoutchouteuses, les yeux en verre ou les oreilles en résine. Wang stoppa net devant l’établi.

— C’est… Mais c’est Carla Martinez ?

— Exact, souligna Sylvie. Mon mari travaille sur un film dans lequel elle joue en ce moment, qui s’appelle…

— Le Vallon de sang, compléta Wang en fixant son collègue. Le film qu’ils tournent dans les studios Calendrum, à une centaine de mètres de l’endroit où notre victime a été découverte.

Sa phrase gela l’ambiance. Sylvie s’assit sur un siège à roulettes, un peu abasourdie.

— Et alors ?

Vic s’approcha de Darkness, effroyable monstre composé de deux créatures dont l’une semblait habiter l’autre. Il l’ausculta avec curiosité, alors que Wang poursuivait l’interrogatoire.

— Il est temps que vous nous expliquiez, non ?

— Que je vous explique quoi ? Ces ateliers ne sont-ils pas la meilleure des explications ? L’univers de mon mari est peuplé de monstres ! Tout n’est que… pure coïncidence !

— S’il vous plaît, madame Kismet.

Elle se tortillait les doigts.

— Votre tueur est peut-être un fan de cinéma ? Possible, non ? Je… Je n’ai plus rien à vous dire. Sortez, maintenant.

Vic, qui venait d’apercevoir une paire de gants en latex, dit d’une voix apaisante :

— J’ai vu des cachets à proximité du réfrigérateur, dans votre cuisine. Des Effexor. Votre mari est sous antidépresseurs ?

Sylvie se rétracta comme une huître.

— Non, c’est moi… c’est moi qui ai des problèmes.

La jeune femme sentait sa poitrine se serrer de plus en plus. Elle ne voulait pas raconter l’histoire de Stéphane, pas à des inconnus prêts à tout pour l’accabler.