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Tel un rouleau compresseur, Wang s’approcha et demanda :

— Il y a une couverture, dans le coin, et une tonne de gobelets de café à côté. Votre mari dort ici, dans les sous-sols ? Souffre-t-il de troubles de la personnalité ? A-t-il déjà consulté un psychiatre ?

Sylvie se redressa, avec l’horrible impression que le flic avait fouillé dans ses pensées.

— Mais pour qui vous prenez-vous ? Vous venez ici, chez moi, pour accuser mon mari ! Et à présent, vous le traitez de malade mental ?

La mélodie de Rhapsody in Blue interrompit leur dialogue. Sylvie s’empara de son portable. Sur l’écran s’affichait un prénom : « Stéphane ». Elle voulut ouvrir le clapet, mais Wang l’en empêcha et la briefa rapidement :

— Alors comme ça, vous n’aimez pas les portables, hein ? Vous mettez le son, et vous lui demandez où il est. Et ne lui dites surtout pas que nous sommes ici, où je vous garantis que tout ceci va très mal se terminer. On est d’accord ?

Sylvie ôta sa main d’un mouvement sec, enclencha le haut-parleur et répondit :

— Stéphane ? Où es-tu, bon sang ? Il est presque 19h00 !

— Écoute ! J’ai besoin que tu fasses une recherche sur Internet ! Et sans poser de questions, OK ?

D’un signe de la tête, Wang l’incita à accepter. Sylvie se précipita sur l’ordinateur et, après quelques secondes, ouvrit un navigateur.

— Je t’écoute.

— Va sur le site de cinéma, il est dans les favoris. Et tu tapes Les Secrets de l’abîme, c’est un film de 1988.

Sylvie s’exécuta. Elle sentait la présence oppressante des deux policiers, juste derrière elle.

— C’est bon ? fit Stéphane. Tu regardes la fiche détaillée de ce film et tu me donnes le nom du chef décorateur.

Un clic. Sylvie se figea. Wang, accroupi, nota son trouble.

— C’est… C’est John Lane.

— C’est ça ! C’est lui qui…

— Qu’est-ce que tu fais ? l’interrompit Sylvie. Rentre s’il te plaît, j’aimerais qu’on passe une soirée tranquille, tous les deux.

— Non, je quitte Méry, je fonce chez Hector Ariez.

Sylvie baissa les paupières. Stéphane continuait à parler.

— Tu ne me croiras jamais, mais Mélinda, elle…

Elle raccrocha hâtivement. Moh Wang lui sauta dessus.

— Pourquoi vous avez raccroché ?

La jeune femme se sentait de plus en plus mal.

— Parce que je refuse d’étaler notre vie privée devant vous. Je ne sais même pas si votre visite est légale. Alors maintenant, partez.

— Qui sont John Lane et Hector Ariez ?

— Une seule et même personne. John Lane est un pseudonyme.

— D’accord. Pouvez-vous me donner une adresse ?

Sylvie attrapa un crayon et la griffonna sur un papier. Vic remarqua que ses doigts tremblaient. Les antidépresseurs ?

— Qui est cet homme ? demanda-t-il.

Sylvie n’en pouvait plus, il fallait qu’ils disparaissent, le plus vite possible.

— Un décorateur de cinéma, comme indiqué sur la fiche du site. Lui et Stéphane se sont déjà rencontrés à plusieurs reprises. Et s’il se rend là-bas, c’est sûrement pour discuter travail.

Moh tira son collègue par l’épaule et l’entraîna un peu plus loin.

— Tu vas y aller, ordonna-t-il.

— Quoi, tu plaisantes ? T’as vu l’heure ?

Wang considéra Sylvie. Celle-ci était recroquevillée sur sa chaise, la tête entre les mains.

— Tu files, j’ai dit. Il n’a que trente kilomètres d’avance. En fonçant, tu devrais le rejoindre chez ce Hector Ariez peu après son arrivée. Tu t’assures que ses réponses sont cohérentes avec celles de sa femme. Moi, je reste avec elle, pour éviter qu’elle le prévienne entre-temps. J’en profiterai pour vérifier l’alibi du restaurant.

— T’exagères, bon sang. J’ai une vie, mince !

— Tu t’es déjà fritté avec ta femme tout à l’heure. Tu n’es plus à ça près.

Vic hésita. S’il refusait, à coup sûr, l’affaire remonterait aux oreilles de Mortier.

— Bon… Il me faut ton portable, le mien est déchargé. Je te le laisse et je te donne aussi mon chargeur. J’appelle en cas de problème.

Wang fit la moue.

— Pas de connerie avec mon joujou, ou je t’étripe.

S’adressant à Vic, Sylvie les interrompit :

— Dites…

Le policier se retourna.

— Oui ?

— Le gant en latex que vous avez volé, il dépasse de votre poche. Je vous garantis que vous allez avoir des ennuis. Tous les deux.

33. SAMEDI 5 MAI, 20 H 28

Stéphane se gara derrière la Porsche rouge de Hector Ariez. En apercevant le numéro de plaque, 8866 BCL 92, il revit défiler tout un fragment de son rêve, « Route vers Sceaux ». Il entendit au fond de lui-même l’annonce de l’avis de recherche, à la radio, concernant la mort de Mélinda. Il vit le mouchoir rose sur son siège, et Stéfur, le front trempé, le crâne rasé, jaillissant de la Ford un pistolet au poing.

— Stéphane Kismet ? s’étonna Victoria Ariez en ouvrant la porte. Encore vous ?

— Je dois voir John. Tout de suite.

La jeune femme blonde eut un léger mouvement de recul.

— Pour quelle raison ?

Stéphane s’avança vers elle avec détermination.

— Parce qu’il le faut.

Victoria le jaugea d’un air suspicieux. Ses cheveux défaits, ses vêtements chiffonnés, l’odeur de sueur… Elle déclara enfin :

— Il est en train de travailler. Entrez, je vous prie. Je vais le chercher.

— Non, je vous accompagne. J’ai besoin de lui parler en tête-à-tête. Mais avant, j’ai une question à vous poser.

— Oui ?

— Vous connaissez l’emploi du temps de votre mari ?

— En partie oui. Pourquoi ?

— Les 8 et 9 mai prochains, qu’a-t-il prévu de faire ?

Victoria réfléchit.

— Je l’ignore. Mais il travaille pas mal sur Le Vallon de sang, en ce moment, et je sais juste que le 9 mai, c’est notre anniversaire de mariage, nous fêtons nos six ans.

— Mes félicitations, répondit Stéphane mécaniquement.

Ils traversèrent des pièces richement meublées avant d’arriver jusqu’au bureau de Hector Ariez. Victoria frappa deux petits coups secs et entrouvrit la porte.

— Chéri ? Je suis avec Stéphane Kismet. Il veut absolument te voir.

— Stéphane Kismet ?

Ils patientèrent quelques secondes, puis la porte s’ouvrit sur un homme de grande taille, au visage fin et au nez légèrement tordu. Il portait un bermuda gris et un polo Lacoste de couleur verte.

— Stéphane ?

— Bonjour Hector. Peut-on discuter en privé ?

Ariez sembla hésiter, et cette hésitation apparemment anodine amena Stéphane à penser qu’il ne se trompait pas. Puis le décorateur l’invita à entrer et à prendre place dans un fauteuil, embrassa son épouse et ferma la porte de son bureau. Sans dire un mot, il empoigna une carafe de whisky en cristal et versa l’alcool dans deux verres épais. Des photos dédicacées d’illustres golfeurs – Tiger Woods, Padraig Harrington, Zach Johnson − ornaient les murs.

— Vos mains tremblent, remarqua Stéphane. Un souci ?

— J’ai besoin de me détendre, j’ai travaillé toute la journée, et ce n’est pas terminé. Je répondais à un mail qui m’a particulièrement mis en rage. Que me vaut votre visite, un week-end, et à une heure aussi tardive ?

Il lui parlait en lui tournant le dos. Stéphane parcourut rapidement le bureau des yeux. Une pièce sobre, ordonnée, sans fioritures : des vitres propres, des crayons bien taillés, et dans un coin, du matériel vidéo – caméra, trépied, appareil photo – bien rangé. Tout l’opposé du fouillis indescriptible de Darkland.