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— A votre avis ?

Hector lui apporta son verre. Son front luisait d’une pellicule de sueur.

— Vous aimez le whisky, je crois me rappeler, dit Ariez. Celui-ci est un Aberfeldy Single Malt vingt-cinq ans d’âge.

Stéphane décida de surprendre son interlocuteur.

— Parlez-moi de Mélinda Grappe.

— Qui ?

— Mélinda Grappe. La gamine de dix ans qui habite Méry-sur-Oise.

Hector Ariez esquissa un imperceptible sourire, qu’il aurait pu dissimuler si Stéphane ne l’avait pas fixé intensément.

— Vous êtes venu ici pour me demander si je connaissais une Mélinda Grappe ?

— Exactement.

— Et cela ne pouvait pas se régler par téléphone ?

— Non.

Ariez porta son verre à ses lèvres et laissa le whisky exciter ses papilles gustatives avant de l’avaler, l’air détaché.

— Ce nom ne me dit rien. Une actrice ?

— Ne vous fichez pas de moi ! Une fillette aux cheveux bouclés, aux yeux verts, avec une dent en moins.

Ariez se recula de quelques pas et éteignit l’écran de son ordinateur.

— Non, désolé, je ne connais pas cette fille.

Stéphane expira par le nez, comme un buffle.

— Et Hennocque, vous connaissez ?

Le décorateur secoua lentement la tête.

— Non plus. Mais que voulez-vous, à la fin ? Victoria m’a déjà parlé de votre comportement pour le moins troublant d’hier. Et cela ne semble pas aller mieux aujourd’hui.

Stéphane avala son whisky, cul sec, sans la moindre grimace.

— Vous ne pouvez imaginer à quel point je vais bien. Vous ne vous rappelez pas, alors je vais vous rafraîchir la mémoire. Vous avez aménagé des décors au fond de la carrière Hennocque pour Les Secrets de l’abîme, un film de 88. Vous étiez le décorateur.

Ariez se tapota la tempe avec l’index.

— Maintenant que vous le dites… Mais je ne me souviens pas de tous les endroits où je monte des décors. Cela date un peu, tout de même, non ?

— Vous mentez. Je sais que vous mentez.

Stéphane parlait de plus en plus fort. Ariez se mit sur la défensive.

— Pouvez-vous enfin m’expliquer ce qui justifie votre venue deux jours d’affilée, avec une attitude pour le moins extravagante, si ce n’est déplacée ? Vous avez des problèmes avec Everard ? Il m’a parlé de ce buste de Martinez, que vous fabriquez. Trop de pression ? Puis-je vous aider ?

Stéphane se leva, claqua son verre sur le bureau et prit un air agressif.

— Je me fiche du buste de Martinez ! Et je n’ai jamais été aussi détendu ! Montrez-moi votre planning ! Je veux connaître votre emploi du temps, les 8 et 9 mai !

— Vous vous moquez de moi ?

Stéphane se précipita sur un agenda et s’en empara. Ariez le lui arracha des mains.

— Ne touchez pas à cela !

Stéphane leva un index menaçant devant lui.

— Vous vous rendez souvent à Méry-sur-Oise ces derniers temps, n’est-ce pas ? Vous… Vous y allez pour observer une petite fille du nom de Mélinda Grappe. Vous ne prenez peut-être pas la Porsche, non, non, c’est bien trop voyant, mais un autre véhicule, une camionnette que vous louez, probablement sous un faux nom. Quel nom ? Quel pseudonyme, cette fois ?

— Mais vous êtes malade ou quoi ? Vous venez m’agresser, ici, chez moi ? Il faut vous faire soigner, Kismet !

Stéphane ne contrôlait plus ses nerfs.

— Je sais ce que vous avez en tête, Ariez. Et je vous garantis que je ne vous laisserai pas faire. Vous ne toucherez pas à cette gamine. Rien de ce qui devait se produire ne se produira.

Hector Ariez le saisit par l’épaule d’une poigne ferme, ouvrit la porte et le poussa dans le couloir.

— Votre femme doit être bien malheureuse avec un taré comme vous ! dit-il. Ce n’est pas un médecin qu’il vous faut, mais un hôpital psychiatrique ! Et maintenant, fichez le camp d’ici !

Stéphane était aussi rouge qu’une braise. Avant de sortir, il s’adressa à Victoria Ariez :

— Surveillez votre mari, madame ! Il n’est pas celui que vous croyez !

Il rejoignit la Ford. Et, alors qu’il s’apprêtait à démarrer, hors de lui, la portière passager s’ouvrit. Un homme s’installa à ses côtés, manquant d’écraser l’appareil photo numérique qui traînait sur le siège.

Stéphane sut alors immédiatement qu’il s’agissait du fameux Victor de ses rêves.

34. SAMEDI 5 MAI, 20 H 48

— Garez-vous plus loin, s’il vous plaît, dit Vic en rempochant sa carte de police. Là-bas, juste derrière ma voiture.

La couleur, le pare-brise fissuré… Stéphane reconnut le véhicule croisé sur le parking des Trois Parques.

— Comment m’avez-vous retrouvé ?

Ce fut la seule phrase qui lui vint à l’esprit. Vic l’observa, légèrement surpris.

— C’est si important que cela ?

Stéphane se demanda s’il ne perdait pas la tête.

— Votre arme, c’est un Sig Sauer ?

— Exact. Vous vous y connaissez ?

— Je… On… On les utilise, pour les tournages de polars.

Stéphane ne savait plus ce qu’il devait dire, ni ce qu’il devait faire. L’arme de ses rêves appartenait probablement à ce flic. Comment arriverait-elle en sa possession ?

— Il y a quelque chose d’étrange, dit Vic en constatant la nervosité de Stéphane. Un policier débarque dans votre voiture, et vous ne lui demandez pas ce qu’il fait là, mais comment il vous a retrouvé. Dans votre métier, vous en voyez souvent, des policiers de la Criminelle s’installer dans votre véhicule ?

Malgré toutes les questions qui l’assaillaient, Stéphane savait qu’il devait la jouer serré. Les flics n’étaient pas le genre de personnes avec qui on pouvait parler de prémonitions. Pour eux, ce mot risquait fort de rimer simplement avec préméditation. D’un autre côté, il fallait qu’il en apprenne le plus possible au sujet de ces femmes mutilées. Il improvisa.

— Le réceptionniste des Trois Parques m’a parlé d’un policier qui semblait me chercher. Je suppose que vous menez une enquête qui vous a conduit vers ce sinistre établissement, et que vous souhaitez m’interroger parce que je m’y suis rendu ? Enquête de routine ?

Vic hocha la tête en souriant. Stéphane lut dans ce sourire toute la jeunesse et l’inexpérience de son interlocuteur.

— Tout à fait exact, répliqua Vic. Vous m’ôtez les mots de la bouche. A croire que vous devinez l’avenir.

— Peut-être, après tout. Il s’agit d’une affaire de meurtre ?

— De mieux en mieux. Vous en savez des choses.

— La Criminelle se déplace rarement pour des histoires de sacs volés. Ce qui me surprend plus, c’est votre âge. Votre accent… Vous êtes nouveau ?

Vic remballa sa bonne humeur pour prendre une expression plus déterminée.

— Bon, venons-en au fait. Vous travaillez pour un film intitulé Le Vallon de sang, qui se tourne en ce moment même dans les studios Calendrum. Vous vous êtes rendu dans cette zone récemment ?

— Pas depuis une bonne quinzaine de jours. Pourquoi ?

— Que faisiez-vous aux Trois Parques hier ?

Stéphane garda un ton calme.

— J’observais.

Vic jeta un œil vers l’appareil photo numérique qu’il avait posé en face de lui.

— Vous observiez… Quoi, les oiseaux migrateurs ? Les glands dans les chênes ?

— Un policier avec de l’humour ? C’est bien ce que je pensais. Vous débutez. Je cherche l’inspiration pour la création de nouveaux monstres. Je parcours ainsi tous les lieux insolites qui me tombent sous la main. Catacombes, laboratoires de biologie, nécropoles, hôtels bizarroïdes, et j’en fais ensuite une espèce de grosse soupe, dans mon cerveau.

Vic regarda loin devant lui, les yeux mi-clos.