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— Attends, ça arrive… Maintenant !

Sur la vidéo, il pleuvait des cordes. Tout à coup, une forme se faufila dans le champ jusqu’à atteindre un trou dans un grillage. Elle portait un sac à dos, des gants et un long imperméable noir. Vic fit un arrêt sur image au moment précis où la silhouette passait sous la lumière du lampadaire.

— Voilà notre assassin, dit Vic en finissant sa bière.

— Rien n’a changé. Absolument rien…

Malgré la pluie et la mauvaise définition de l’image, le visage sur l’écran paraissait monstrueux, couvert de boursouflures, les yeux se perdaient sous des amas de peau et on ne distinguait pas les cheveux car l’homme portait une capuche. Vic poussa au maximum la luminosité du téléviseur.

— À ton avis, il porte un masque ?

Stéphane se leva et s’approcha de l’écran. Sous le lecteur de DVD, la chaîne hi-fi indiquait la date et l’heure. Le 13 mai 2007,0h20.

— Je n’en sais rien. On voit rien sur cette vidéo de surveillance. Il fait noir, il flotte. Ça ressemble bien à la prothèse que je t’ai donnée, non ?

— À peu de chose près, oui.

— C’est tout ce qu’on a ?

— Oui. Cet enfoiré est un courant d’air, répondit Vic, la tête baissée.

Il paraissait résigné à accepter son destin.

Stéphane décapsula une autre canette.

— À nos malheurs… dit-il d’un ton horriblement triste.

Il leva sa canette devant lui et ajouta :

— Stéphane, si tu nous regardes. Bon courage. Et à la tienne, mon pauvre gars.

38. DIMANCHE 6 MAI, 04 H 30

Stéphane se réveilla en sursaut. Il se demanda ce qu’il faisait là, couché dans le hall.

Il se redressa doucement et tenta de se rappeler la fin de sa journée. Son entretien avec le flic, devant chez Hector Ariez, son arrêt dans un bar, la ronde des whiskies, la discussion avec Sylvie, puis… le trou noir.

Il avait horriblement mal au crâne. Il se rendit dans le salon et jeta un regard évasif sur la chaîne hi-fi. 4 h 33 du matin, le dimanche 6 mai.

Immédiatement, tout son rêve lui revint en tête. Victor Marchal, la mine ravagée, cigarette aux lèvres. Stéfur, s’approchant de la télé. L’arrêt sur image. La date sur la chaîne hi-fi. Dimanche 13 mai 2007, Oh20.

Ses poings se contractèrent. Il connaissait maintenant précisément le décalage temporel entre ses rêves et la réalité. Six jours et vingt heures.

Stéphane se mit à paniquer. Les rêves se concrétisaient de plus en plus. Et l’échéance du premier approchait à une vitesse effroyable. C’était pour la nuit de mercredi à jeudi.

Il tenta de se calmer, de comprendre aussi. Avec ce songe, il venait de s’assurer que ses personnages du futur évoluaient en temps réel d’un rêve à l’autre. Ils menaient une vie, mangeaient, dormaient, leurs blessures guérissaient… Une véritable existence, avec un écoulement du temps identique à celui du présent. Des heures de soixante minutes, des minutes de soixante secondes.

Donc, si les rêves disaient vrai, la caméra de surveillance avait filmé hier soir, le 5 mai, vers 22 h00.

Hier soir, 22 h 00, un homme au visage monstrueux avait volé quelque chose dans un sac à dos, à l’intérieur d’une usine. Le fameux tueur que cherchait le flic. L’assassin de la blonde, et le futur tortionnaire de la brune, dont on risquait de retrouver bientôt le corps, enroulé dans du barbelé.

Qu’avait-il dérobé ? Comment Stéfur avait-il récupéré cette cassette ?

Stéphane fonça au sous-sol et partit s’enfermer dans Darkland, surexcité. Là, il promena ses doigts sur le haut de sa hanche. Le coup du tatouage avait fonctionné, Stéfur portait sur lui exactement la même inscription, au même endroit.

Stéphane avait réussi à lui transmettre un message. Bien sûr, il s’agissait seulement d’une marque sur un corps, mais au moins, le personnage de ses rêves se savait compris et observé.

« Stéphane, si tu nous regardes… Bon courage. Et à la tienne… » Ces mots ne cessaient de circuler dans sa tête. Et cette image : Stéfur brandissant sa canette à sa santé. Il sentit la rage monter en lui.

— Espèce de poivrot ! s’écria-t-il en brisant un crayon à papier. Tu n’as rien d’autre à faire que de boire des bières ? Pourquoi tu ne m’as pas dit quelle cassette tu regardais, hein ? C’était trop compliqué pour ta petite cervelle dérangée ?

Il frappa du poing sur son établi et, d’un revers de la main, balança le buste de Carla Martinez sur le sol. Au diable Everard et tout le reste. Tout avait maintenant si peu d’importance par rapport à ce qu’il vivait.

Pourquoi Stéfur ne l’aidait-il pas ? Pourquoi n’avait-il pas inscrit des phrases partout autour de lui, afin que lui puisse les lire et comprendre ?

Stéphane se prit la tête dans les mains. Sans doute son double futur n’avait-il pas eu le choix. Après tout, lui aussi vivait des situations qui l’empêchaient certainement d’agir à sa convenance. En plus, il ignorait probablement quand Stéphane rêvait de lui, et les songes ne duraient que quelques minutes à peine.

Stéfur avait-il pu retourner aux Trois Parques ? Et si les circonstances l’en avaient empêché ? Que faisait-il au domaine accompagné de Victor, à boire des canettes, alors que toutes les polices de France le recherchaient ? Qu’avait-il bien pu se passer pour que la situation change à ce point ?

Etait-ce à cause de lui, Stéphane ? De ses actions présentes, de ses recherches ?

Il se redressa en claquant des doigts. Oui, peut-être ! Et si ses agissements présents avaient empêché le meurtre de Mélinda ? Et si son enquête avait modifié la marche programmée des événements, avec une répercussion sur le futur ?

Oui, oui ! Les menaces à l’encontre d’Ariez l’avaient sûrement dissuadé d’agir.

Stéphane se jeta sur un gros marqueur noir et se mit à écrire sur les murs de Darkland. Le coup du tatouage avait fonctionné. Donc, celui des messages devait marcher également. Si Stéfur habitait de nouveau le domaine, comme le laissait supposer ce dernier rêve, alors il passerait la majeure partie de son temps dans son antre. Et il verrait nécessairement ces phrases.

Stéphane nota donc : « Tu dois tout me raconter pour Mélinda. Comment as-tu revu le flic Victor ? Qui cherche-t-il ?

Quelle cassette regardez-vous ? Parle-moi de l’enquête. Je sais que tu ignores quand je rêve de toi, mais par pitié… Écris sur les murs et reste dans la pièce, à les fixer. Tes yeux me serviront de caméra. Je dois savoir ! On peut changer la suite des événements ! Sauver des gens ! »

Et il écrivit, encore et encore.

Puis il s’assit sur sa chaise à roulettes. Tout y était. L’ensemble des questions qui lui brûlaient les tripes. Sur lui, sur Stéfur, sur ces phénomènes inexplicables.

Il suffisait juste que Stéfur réponde, écrive à son tour sur les parois, et tout s’éclairerait.

Gonflé à bloc, le jeune homme se versa un reste de café froid. Le futur n’était peut-être pas aussi immuable que le prétendait Jacky, le physicien. On pouvait maîtriser sa destinée, modifier la marche programmée des événements. On était libre.

Stéphane sortit son carnet et nota sur les pages correctement reliées le contenu de son rêve. Les images de la cassette de surveillance. Les dates, les horaires. Puis il s’attacha à la description du visage du monstre. Certaines notes étaient ultraprécises, d’autres beaucoup moins. Le dialogue entre Victor et Stéfur lui paraissait par exemple complètement incohérent. Les deux hommes avaient parlé d’un masque. D’après leurs dires, Stéfur aurait donné une prothèse ressemblant au visage du tueur à Victor. Où, et quand ? Dans combien de jours ?

Stéphane eut alors une incroyable idée. Il lâcha son stylo et se précipita vers une pièce annexe, remplie de têtes de mannequins, de bras, de jambes en polystyrène ou en plastique. Il fouilla, trouva une tête qui lui convenait et vint la positionner sur son établi, à la place du buste de Martinez.