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Il ouvrit trois boîtes de latex prévulcanisé et commença son moulage. Ses mains broyaient, lissaient, malaxaient à une vitesse impressionnante. Des bosses, des trous, des courbes prenaient forme. La figure se tordait, devenait monstrueuse, comme sur la vidéo. L’homme portait-il un masque ou pas ? Quelle maladie rongeait les chairs à ce point ?

Stéphane tenait entre ses doigts le faciès abrupt, démoli par la nature, de quelqu’un qui tuait. Un visage qu’il n’était censé voir que dans quelques jours.

Il avait pris de l’avance sur le futur.

Il changeait les choses.

Il releva les yeux vers cette face inhumaine. Un frisson le parcourut, il se recula brutalement. Se dressait, face à lui, le Mal incarné. Un démon qu’il devait affronter. Il avait peut-être ce don de prémonition pour ça…

9 h 45, à sa montre.

Il arrêta tout, fonça vers le robinet pour se rincer les mains et grimpa en quatrième vitesse à l’étage.

Dans la chambre, Sylvie dormait d’un sommeil profond. À côté d’elle, une bouteille de vodka presque vide. Son maquillage avait coulé sur ses joues, sur les draps et sur l’oreiller.

Il aperçut son appareil photo numérique, branché sur l’ordinateur. Il l’avait pourtant laissé dans la Ford. Pourquoi son épouse s’intéressait-elle à son contenu ?

« Surveiller Sylvie », avait noté Stéfur sur les murs de la chambre 6, dans le troisième rêve. Pourquoi ?

Il enfila une chemisette, un jean noir, se passa rapidement un coup de brosse dans les cheveux et disparut.

Il tenait dans une main les clés de sa voiture, ainsi que le masque vert de The Mask. Dans l’autre, un grand couteau de cuisine.

9 h 55. Il arriverait largement à temps à Méry-sur-Oise.

La messe ne débutait qu’à 11 h 00.

39. DIMANCHE 6 MAI, 10 H 23

Vic s’en voulait. Sur le trajet entre Boulogne-Billancourt et Chevreuse, il n’avait cessé de penser à Céline, à la manière dont il l’avait encore abandonnée ce matin, sans un mot. Leur dispute de la veille, très violente, les avait de nouveau contraints à dormir séparés. Lui dans la pièce du futur bébé, plié en deux sur un matelas gonflable. Et elle, dans leur chambre, en pleurs, recroquevillée sous la couette. Elle menaçait déjà de partir quelques jours chez sa mère à Avignon.

Et ce matin, quand Mortier l’avait interrompu dans son petit déjeuner en solo pour lui annoncer la découverte d’une nouvelle victime, Vic avait tout simplement fui le foyer. Il avait prévu de passer le dimanche à tenter de réparer la casse, mais il était finalement en route vers une scène de crime.

À peine trois semaines de travail, et son couple partait déjà en vrille. Heureusement, dans quelques mois, le bébé allait arriver. Wang avait raison, cette affaire-là n’était pas pour un débutant.

Après quatre jours d’enquête, Vic commençait sérieusement à le constater.

Le jeune lieutenant s’engagea sur le chemin qui menait à la maison de Cassandra Liberman, une belle construction en brique à l’orée de la forêt, sans aucun voisin à proximité. Côté témoins, ça risquait encore d’être léger…

Vic descendit de sa Peugeot et se fraya un passage entre les différents services qui s’affairaient déjà, dont notamment le SRPJ de Versailles, la Scientifique et la gendarmerie. Les hommes au képi bleu étaient en effet arrivés les premiers sur les lieux, suite à l’appel d’une jeune femme rousse nommée Amandine Gosselin, qui avait découvert le corps.

Wang et Joffroy fumaient une clope à l’entrée. Mortier discutait avec le capitaine du SRPJ de Versailles. Partout, des hommes s’activaient, chacun concentré sur sa tâche. Dans le jardin, sur l’allée, aux portes, aux fenêtres et, bien évidemment, dans la demeure. Tous les visages, sans exception, étaient fermés, cadenassés, hermétiques. Vic rejoignit les deux lieutenants de son équipe et les salua.

— Alors, même tueur, il paraît ? demanda-t-il d’une voix sans entrain.

— Non, tu crois ? répliqua sèchement Joffroy. J’espère que tu n’as pas petit-déjeuné.

— Cette fois, si. Je n’avais pas vraiment prévu de me pointer ici un dimanche, tu vois ?

— Le genre de choses auxquelles il faudra t’habituer. Ton paternel te l’a jamais dit ?

— Mon père ne me disait pas grand-chose concernant la face noire du boulot.

— Il devait te parler autant qu’une carpe, alors.

Vic fixa leurs cigarettes avec une envie dangereuse. Cette fois, il faudrait entrer là-dedans, sur une scène de crime toute fraîche, et le corps serait encore présent, bien au chaud dans son bain de sang. Il mâcha un chewing-gum, puis essaya de se préparer au pire.

— Que s’est-il passé ? demanda-t-il.

Wang écrasa son mégot du talon. Même lui ne paraissait pas dans son assiette.

— Faut voir par toi-même, mec. Parce que cette fois, je ne peux pas t’expliquer.

— Franchement rassurant, rétorqua Vic en se frottant les mains.

— On n’est pas là pour te rassurer.

Un technicien livide sortit sur le palier et aspira une grosse bolée d’air. Après quelques secondes, il pénétra de nouveau à l’intérieur.

Vic déglutit en silence.

— Deux victimes en moins d’une semaine. Ça vous suggère quoi ?

— Un type qui a pété un câble, et qui frappe sur tout ce qui bouge, répondit Wang.

— Un rapport entre elle et Leroy ?

Joffroy se tapa la tempe avec l’index.

— T’es con ou quoi ? On vient de découvrir son corps, V8 ! Tu piges ça ? Le boulot, c’est toi qui le fais ! T’es plus le spectateur niais devant sa télé qui attend que ça se passe !

D’ordinaire, Joffroy n’était pas à prendre avec des pincettes, mais là, il battait des records. Après tout, lui aussi avait sûrement ses problèmes personnels. Vic s’adressa à Wang.

— Moh ? Tu m’accompagnes à l’intérieur ?

Il secoua la tête.

— Je fume d’abord une nouvelle clope. Faut au moins ça. Tu peux rejoindre Demectin, elle termine les prélèvements avant qu’on emmène le corps. Normalement, elle ne se déplace pas trop. Mais là, depuis quelques jours, c’est la fête.

Vic hésita, jeta un œil vers Mortier, qui discutait avec son homologue de Versailles, et se décida à entrer. Dans le hall, il se débarrassa de son chewing-gum dans une poubelle et récupéra une combinaison auprès d’un technicien.

— Que s’est-il passé ? répéta-t-il d’un ton pincé, à cet homme qu’il ne connaissait pas.

— C’est à l’étage qu’il faut aller. Prenez aussi le masque.

— Pour l’odeur de putréfaction ?

— Oui. Une puanteur ignoble.

Vic enfila en silence le surpantalon, les gants, la charlotte, la blouse, les surchaussures, et le masque.

Il fallait y aller. Tout oublier. Les sourires, les sentiments, l’humanité. Et affronter le Mal. Faire honneur à ce métier horrible.

Une fois à l’étage, l’odeur vint lui tordre l’estomac, comme la première fois. Vic suivit précautionneusement le périmètre fixé par les services de la Scientifique. Il n’était plus certain de vouloir poursuivre. On était dimanche, merde, le jour où les gens se reposent, pratiquent leur sport ou boivent une bière devant la télé.

Il s’autorisa quelques secondes devant la porte de la chambre, ferma les yeux, les rouvrit, essaya de se vider l’esprit, puis entra.

Il se focalisa d’emblée sur le lit, sa couette en plumes, mais ce n’était pas le théâtre du carnage, cette fois. Une inimaginable toile morbide était exposée à sa droite, contre le mur.